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250’000 bénéficiaires d’une rente AI ont franchi la barrière des 65 ans. Si leur espérance de vie augmente, ils ne trouvent pas toujours un accompagnement adapté dans les EMS. Comme cette situation concerne de nombreux travailleurs sociaux, nous relayons l’article du journaliste Patrice Favre paru dans La Liberté.
La bonne nouvelle, c’est que les handicapés arrivent à l’âge de la retraite. Autrefois, ils mouraient très jeunes. La mauvaise, c’est que le grand âge pose des problèmes imprévus : a priori, un EMS n’est pas pensé pour accueillir un handicapé profond. Et des milliers ? Telle est la question que se posaient quelque 300 participants au symposium organisé à Fribourg le 6 mai dernier*. Avec plus d’inquiétudes que de solutions. Quelques flashs retenus parmi les 16 conférenciers (!) qui se sont succédé au micro.
Le papyboom en chiffres
Aujourd’hui, 250’000 bénéficiaires d’une rente AI ont franchi la barrière des 65 ans. Tous ne sont pas dépendants. Mais, chaque année, 1600 à 1800 handicapés considérés comme « lourds » atteignent l’âge de l’AVS, selon le sociologue François Höpflinger de l’Université de Zurich. Et ce n’est que le début.L’exemple fribourgeois, présenté par la conseillère d’Etat Anne-Claude Demierre, est éclairant : en 2006, les handicapés de 70 ans et plus vivant en institution n’étaient que 13 (ce chiffre comprend les handicapés physiques, psychiques et mentaux). Mais ils étaient déjà 33 dans la tranche d’âge de 64 à 69 ans. Et 81 pour les 58 à 63 ans. Le « papyboom » des handicapés en institution est programmé.
De nombreux handicapés vivent avec leurs parents, soit en permanence, soit le week-end. « Les professionnels nous reprochent parfois de les infantiliser. Ils oublient que, jusqu’à notre mort, ils restent nos enfants », a témoigné Erika Tuller, une Neuchâteloise mère d’un adulte handicapé. Mais que se passe-t-il lorsque les parents eux-mêmes entrent dans le 4e âge ? A Fribourg toujours, tous les handicapés sont placés en institution quand ils ont 65 ans. Ce qui augmente les coûts.
« Son éducatrice le tutoie »
« Et quand je ne serai plus là , qui s’en occupera aussi bien que moi ? » Cette question dit l’importance de la dimension affective. Et donc, l’importance de la relation entre les parents vieillissants et les professionnels qui doivent prendre la relève. Or, avec l’âge, la communication se fait plus difficile : les parents sont moins motivés, ils décrochent, ils sont parfois déroutés. Ainsi ce témoignage : « Mon fils handicapé a 54 ans, son éducatrice de référence en a 26. Elle est très jeune. Et en plus elle le tutoie ! » Les pros, eux, insistent sur la qualité de l’animation et des soins donnés en institution.
« Les éducateurs manquent d’expérience avec les handicapés âgés », a expliqué un formateur. Car le grand âge a des effets psychiques importants : le présent s’éloigne et le passé revient. Les souvenirs d’enfance ou d’école refont surface, et ce sont parfois de mauvais souvenirs. « La personne handicapée n’a pas de passé, pas de biographie sur laquelle revenir. Toute son histoire est dans la tête des accompagnants. » Un résident de la Maison des Chavannes, à Lausanne, vient de fêter ses 75 ans, dont 70 ans dans la maison, qui est sa seule famille.
Trop de cloisons administratives
Les handicapés ont une loi, l’AI. Les retraités ont la leur, l’AVS. Les premiers peuvent compter sur Pro Infirmis, les seconds sur Pro Senectute. Dans les cantons, des fonctionnaires différents répondent aux besoins des handicapés et des retraités. Mais quand les handicapés passent à l’AVS ? Le manque de passerelles entre les deux systèmes préoccupe depuis longtemps Ruth Lüthi, présidente de la commission fédérale AVS/AI.Sur le terrain, des parents très âgés voudraient entrer en EMS avec leur enfant handicapé, mais les structures ne sont pas prévues pour cela.
Chaque jour, l’assurance-invalidité perd 4 millions de francs. Soit 1,5 milliard de déficit annuel, financé par le fonds AVS, qui a déjà égaré 13 milliards dans l’affaire. Et la votation prévue le 27 septembre 2009 pour renflouer l’AI n’est pas encore gagnée. Les organisateurs du colloque de Fribourg ont dit leur inquiétude face à une possible dégradation des conditions faites aux handicapés.Il y a plus important encore que l’argent. Ces personnes posent la question de la valeur de chacun. Comme l’a dit Jean- Luc Lambert, de l’Université de Fribourg : « Vaincre les sentiments d’inutilité et de dévalorisation qui accompagnent les personnes déficientes âgées est le défi central ».
Patrice Favre, La Liberté