Autour de l’accueil de mères et d’enfants Roms dans un abri PC à Genève, la polémique s’est emballée. Qui a dit quoi ?
1er épisode
Cet hiver à Genève, le nouvel abri nocturne de Protection civile destiné aux enfants roms et à leurs mamans a accueilli, par intermittence, entre 20 et 25 personnes. Faute d’affluence, il a fermé à trois reprises et est d’ailleurs actuellement fermé depuis une semaine.
- Alexis Barbey, élu libéral au Conseil municipal : « Les chiffres sont là, ces conditions d’accueil généreuses ont amené un transfert de Roms venus d’autres villes. »
- Simon Brandt, radical : « C’est la preuve que l’appel d’air a bien été créé. Nous devons accueillir la grande précarité locale, mais pas celle venue d’ailleurs. »
- Manuel Tornare, responsable socialiste du Service social en Ville de Genève : « Parler d’appel d’air pour 20 ou 25 personnes me fait rigoler. On est quand même loin du tsunami. Pour moi, il n’est pas question de laisser un enfant dormir dehors par grand froid, d’où qu’il vienne. »
2e épisode
Mercredi 20 janvier, le Conseil d’Etat genevois annonce sa décision de protéger les enfants impliqués dans la mendicité.
La police devra désormais signaler les cas au Service de protection des mineurs (SPMi) qui pourra prononcer la "clause péril". Cette disposition de la législation genevoise s’applique lorsque la protection et la sécurité des enfants sont menacées (lorsque, par exemple, ils sont exposés au grand froid). Dans certains cas, elle peut déboucher sur une mesure vigoureuse : le retrait de garde parentale. Après examen de leur situation, les jeunes qui accompagnent un mendiant adulte ou font seuls la quête pourront, le cas échéant, être envoyés en foyer et scolarisés.
- Charles Beer, ministre socialiste de l’Education : « On voit de plus en plus d’enfants utilisés pour la mendicité, soit des bébés de quelques mois dans les bras de leur mère, soit des enfants de 10 ou 12 ans qui mendient tout seuls. Le devoir d’éducation est violé lorsque les parents font mendier leurs enfants au lieu de les scolariser. Notre décision ne répond qu’à une seule préoccupation : la volonté de traiter les mineurs roms comme tous les autres enfants de la République, en accord avec la Convention des droits de l’enfant et avec nos lois. »
- Dina Bazarbachi, présidente de l’association Mesemrom : « Ce ne sont pas des mesures sociales. Elles perdent de vue le côté humain. On veut juste arracher des enfants à leurs parents. Pour prononcer un retrait de garde, il faut que l’enfant soit en danger de mort ou qu’un danger imminent le guette. Ces enfants ne sont pas en danger ! Je me battrai contre chaque décision de retrait, jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut. Les autorités n’ont tiré aucune leçon de l’Histoire et du programme mis en place dès 1926 par Pro Juventute pour enlever à leurs parents, scolariser et sédentariser 586 enfants.
- Charles Beer : « Nous n’allons pas retirer des enfants à leurs parents demain. Mais notre volonté est de ne plus voir d’enfants mendier d’ici deux à trois mois. »
- May Bittel, président de la Mission tsigane suisse : « Je suis vraiment choqué. Ça me fait revivre ce que j’ai vécu dans ma jeunesse. On rouvre de vieilles plaies qui ne sont toujours pas cicatrisées. Dans mon enfance, j’ai dû fuir continuellement pour ne pas être enlevé à mes parents. »
- Charles Beer : « Cette comparaison avec l’opération de Pro Juventute est monstrueuse. Il ne s’agit nullement de stigmatiser une communauté, mais d’éviter aux mineurs de s’exposer à la mendicité et de leur donner l’instruction à laquelle tous les enfants ont droit. »
3e épisode
Le lendemain, à 6 h 30 du matin, trois enfants de 3, 6 et 9 ans sont conduits par la police au Service de protection des mineurs (SPMi). Leur mère est également interpellée. (Elle sera libérée un jour plus tard et les enfants confiés à leur tante).
- Dina Bazarbachi : « Ils veulent faire un exemple et terroriser la population rom, c’est le début des dérives. La police dit qu’elle souhaite agir avec humanité, elle n’en prend pas le chemin. C’est d’ailleurs cette même police qui a systématiquement détruit l’an dernier les campements des Roms. »
- Charles Beer : « Je constate qu’il y aura des dégâts si on ne fait rien. Je n’ai pas envie de me reprocher le décès d’un enfant. La police, plus précisément la brigade des mineurs qui se chargera de ce travail est composée de gens humains et compétents. »
- Claude Pahud, responsable du dossier à la police : « La police ne va pas arracher les enfants à leurs parents. On emmène les parents et l’enfant au poste, puis on fait intervenir le Service de protection des mineurs. Pendant que la police auditionne les parents, le SPMi dresse un bilan de santé de l’enfant puis prononce, s’il le faut, une "clause péril". »
Dialogue de sourds ? Pourquoi les milieux associatifs en contact régulier avec cette population n’ont-ils pas été consultés ? Pourquoi un vrai programme visant à offrir une forme de scolarisation aux enfants ainsi qu’à aider leurs familles à briser la spirale de la mendicité n’a-t-il pas été conçu, en Roumanie, à Genève ? Pourquoi les expériences de ce genre menées ailleurs en Europe ne sont-elles pas présentées ?
Marylou Rey
Les citations ci-dessus sont tirées de : Le Matin, Le Temps, Le Courrier, La Tribune de Genève, Romandie.com, TSR, ATS.