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Solidarités entre les générations
Jean-Pierre Fragnière, Editions Réalités sociales, Lausanne, 2010, 148 pages
L’évolution démographique nationale est archi-connue, son impact sur la vie en société l’est beaucoup moins. Ainsi, pour Jean-Pierre Fragnière, le phénomène n’a rien à voir avec une tranquille évolution, il a abouti à une « transformation majeure du paysage », une transformation comme « on n’en a jamais vue auparavant ».
La solitude dans tous ses états
Prenons un seul exemple : la vie en solo ! Il y a à peine cinquante ans, la vie en situation de solitude était une exception. Aujourd’hui, mis à part les Tanguys, les jeunes gens restent longtemps célibataires, les personnes divorcées se multiplient et les personnes âgées, particulièrement les femmes, vivent souvent seules. Dans nombre de grandes villes, la majorité des ménages comptent une seule personne. Mais qui a vraiment intériorisé le fait que « vivre seul-e » occupe bientôt une période dominante dans les parcours de vie ? Et l’auteur de souligner l’importance des solidarités familiales et des relations intergénérationnelles face à une si profonde réorganisation sociale.
Ces nouveaux modes de vie ont naturellement une profonde influence sur les relations entre les générations. Vont-elles se déclarer la guerre pour assurer leur autonomie financière aux dépens de la plus jeune ou de la plus âgée, selon la logique compétitive très en vogue en ce XXIe siècle ? Jean-Pierre Fragnière rigole. « La guerre des générations est une formule médiatique qui resurgit de temps à autres depuis plus de quinze ans », fait-il remarquer. Rien de neuf sur ce front. La guerre n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu si chacun – les politiques en particulier – mesure les enjeux réels de la situation. Car les sources de tension existent effectivement. L’auteur rappelle à bon escient la jolie citation de François Mauriac : « Ce n’est pas parce qu’on a un pied dans la tombe qu’il faut se laisser marcher sur l’autre . » Une forme d’avertissement sur les conflits qui peuvent naître entre les jeunes et les moins jeunes.
Les enjeux de la cohésion sociale
Face à cette situation totalement nouvelle, il importe donc d’imaginer des solutions novatrices. Au-delà des beaux discours qui utilisent le mot « Générations » comme un sésame de branchitude, Jean-Pierre Fragnière propose des règles basiques à respecter pour planifier une meilleure solidarité entre les âges (cf pages 90-91 en particulier). Il explique aussi et surtout que la cohésion sociale dépend de la sécurité sociale. Ce n’est pas en rognant sur les prestations chômage des jeunes ou en diminuant les primes AVS que la société va favoriser les solidarités entre les générations. Au contraire, il importe que les prestations sociales soient soigneusement pensées pour qu’elles évitent la reproduction des inégalités.
Un seul exemple, parmi d’autres, qui irritera bien des lecteurs. L’auteur estime en effet que la diminution de l’impôt sur les successions est une « démarche aveugle, irresponsable et porteuse de renforcement des inégalités ». A ses yeux, et ses arguments nous ont d’abord heurtés puis convaincus, il importe d’« éviter ou au moins de freiner le mouvement de féodalisation du pays ». Ses propositions ?
Chacun de nous a envie de transmettre ses biens (acquis à la sueur de son front !) à ses descendants ou héritiers. Mais est-ce la bonne façon de promouvoir les solidarités entre les générations ? C’est l’enjeu social très actuel que développe ce livre. Au-delà des problèmes de société, il pose à chacun d’entre nous des questionnements intimes sur nos façons de concevoir la transmission et la cohésion dans nos sociétés contemporaines.
Marylou Rey