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Retraité de sa fonction de médecin cantonal vaudois, Jean Martin réagit à l'instructive Journée mondiale des soins palliatifs qui s’est déroulée le 27 septembre à Morges.
L’approche des soins que propose la médecine intégrative — et d’autres alternatives, comme la médecine psychédélique ou la médecine chamanique — peut-elle encore être ignorée par la médecine classique ? Quels sont les apports incontestables que ces domaines peuvent transmettre à la médecine allopathique ?
Le 27 septembre dernier à Morges, des professionnel·les des soins utilisant différentes méthodes sont venu·es partager leurs pratique, constats et réflexions avec le public venu en nombre assister à la Journée mondiale des soins palliatifs organisée par palliativevaud. Sans amoindrir les présentations riches de chacun·e, on relèvera ici particulièrement la prestation du premier orateur de cet événement : le professeur Jacques Besson a en effet brillamment questionné le sujet, nourrissant ses propos de réflexions convaincantes et interpelantes, aboutissant à la conclusion que « le matérialisme est une idéologie à dépasser pour redonner ses lettres de noblesse à la science. »
Thérapie assistée par les psychédéliques, importance de la spiritualité, chamanisme, canabis thérapeutique... S’il fallait ne retenir qu’un élément commun à la majorité des présentations, nul doute qu’il s’agirait de la thématique du « sens ». Guérir le corps peut-il encore faire l’économie de réfléchir au sens de la vie, des valeurs ? Peut-on vivre en bonne santé dans un monde qui ne satisfait pas des besoins primaires, y compris au niveau spirituel ? Que faire quand la vie semble n’avoir plus de sens pour parvenir à en retrouver et se rétablir, ou accueillir l’idée de la fin de sa vie plus paisiblement ? « C'est beau de donner du sens et d'accompagner les patients, si eux veulent en mettre un », a ainsi relevé la dre Natacha Bordry, cheffe de clinique au Centre de médecine intégrative du CHUV.
Dans le public, l’ancien médecin cantonal Jean Martin a suivi les exposés avec attention et y réagit pour REISO.
(REISO) Jean Martin, quel regard portez-vous sur le développement de la médecine intégrative ?
(Jean Martin) Je trouve que c’est un développement récent tout à fait intéressant, souhaitable. On ne parlait pas du tout de méthodes non enseignées à la Faculté à l’époque de mes études, si ce n’est pour dire qu’elles n’avaient aucune valeur ou pour ironiser. La situation ne s’était pas beaucoup modifiée quand je suis entré au Service de la santé publique une douzaine d’années plus tard, en 1976.
Et aujourd’hui, de quel œil l’ancien médecin cantonal que vous êtes voit-il l’entrée de la médecine intégrative à l’hôpital ?
D’un fort bon œil. Au moment de la création du Centre de médecine intégrative et complémentaire (CEMIC) du CHUV, en 2015, j’ai été heureux que notre hôpital universitaire se montre ainsi à la pointe, fasse preuve d’une certaine audace.
Que retirez-vous des conférences données dans le cadre de la Journée des soins palliatifs, le 27 septembre à Morges, notamment au sujet de l’emploi de psychédéliques et du chamanisme en complément aux soins de médecine allopathique ?
Je salue, en général, l’ouverture d’esprit que met en évidence une telle journée. Tenant à distance certaines idées reçues, il en ressort entre autres une ouverture à expérimenter, à essayer — dans le respect le plus complet du ou de la patiente, de ses droits et de sa libre détermination —, dans des situations où les recherches en suivant les règles scientifiques usuelles ne sont pas toujours aisées (difficile de contrôler tous les paramètres, pas ou guère de standardisation, petits nombres de participant·es, etc.). Dans les soins palliatifs et à la fin de la vie (même si les soins palliatifs ne se limitent pas à la fin de vie, cela a été rappelé) en particulier, l’objectif est de vivre le mieux possible ce qui est (encore) à vivre. Il paraît ainsi tout à fait légitime de chercher le potentiel de méthodes autres, complémentaires, alternatives. Je crois que, adéquatement mis en œuvre, les psychédéliques peuvent apporter des contributions utiles. Et le chamanisme probablement aussi, même s’il y a là des pratiques peu connues chez nous.
Il demeure trop simple d’affirmer qu’il ne s’agirait que d’autosuggestion, d’imagination
Certaines de ces techniques font l’objet de peu d’études scientifiques, mais des résultats empiriques montrent leur efficacité. Que dire aux sceptiques qui s’accrochent à l’absence de preuves scientifiques pour renier, voire parfois dénigrer, le recours aux médecines complémentaires ?
J’ai été formaté, biberonné, aux sciences dures et à leur respect. Toutefois, la vie m’a appris à ne pas refuser dogmatiquement ce qui n’est pas conforme à leurs canons. Par exemple, alors que l’homéopathie reste mystérieuse dans son action, depuis longtemps je ne veux plus balayer du dos de la main les témoignages de personnes parfaitement crédibles, dont on n’a aucune raison de mettre en doute les affirmations sur d’autres sujets de la vie quotidienne. Lorsque ces personnes disent comment, après avoir souffert durant vingt ans d’une sinusite ou autre maladie chronique pour laquelle les traitements des spécialistes allopathes ont été des échecs, elles ont été débarrassées de leur problème en tentant l’homéopathie, je n'ai aucune raison de douter... Il demeure trop simple d’affirmer qu’il ne s’agirait que d’autosuggestion, d’imagination. S’agissant de l’acupuncture et de l’hypnose, qui étaient vues avec réticence voire plus il y a quelques décennies, leurs potentiels thérapeutiques ne sont plus discutés aujourd’hui et elles sont largement utilisées, en toute légitimité.
Plusieurs participants et participantes françaises présentes à Morges ont regretté la position de la France au sujet des médecines complémentaires, et salué l’ouverture et la curiosité positive de la Suisse à ce sujet. Comment analysez-vous cette différence ?
C’est effectivement un fait de la vie. Le fait est que nos voisins et amis hexagonaux sont encore marqués par un cartésianisme trop rigide, qui freine et limite une certaine audace, l’exploration de nouveaux chemins. Dans plusieurs domaines, on constate que la France peine à se libérer d’un corps de doctrines, parfois des dogmes, qui devraient être objectivement et sérieusement mis en question. À mon avis, cela a à voir avec ce qui reste, dans le fonctionnement français, d’une dimension héritée de la monarchie, un respect excessif des hiérarchies.
Dans la pratique médicale, la médecine française conserve une tradition excessive du « docteur qui sait ce qui est bon pour vous », voire qui décide pour la personne, alors que depuis un demi-siècle en Suisse l’accent a été mis sur la constante libre détermination du ou de la patient·e, qui a notamment le droit strict, à tout moment, de refuser des investigations ou soins qu’on lui recommande. Le principe majeur à cet égard est « Le professionnel propose, le patient dispose », tout à fait librement, après avoir été informé adéquatement.
Cette position de pouvoir du corps médical se retrouve donc également dans les parcours de fin de vie...
La tradition médicale outre-Jura peine en effet à admettre cette « libération » du malade. C’est en particulier le cas pour la question de la fin de vie et de la liberté de la personne de vouloir mettre un terme à une existence qu’elle-même juge trop douloureuse, trop difficile à porter. Plusieurs décennies après les autres, le Parlement français s’apprête (si la situation politique générale se calme) à débattre d’une ouverture à l’assistance à mourir, sous une forme ou l’autre. Mais des résistances dogmatiques sont fortes encore, au nom de « valeurs françaises » qui me paraissent discutables (et ceci notamment au sein du corps médical).
Quel message avez-vous envie de partager à des confrères et consœurs qui resteraient peu convaincus de la complémentarité des approches ?
C’est probablement surprenant venant d’un ancien médecin cantonal qui a été (ceci dit avec un clin d’œil) durant 17 ans le « grand-prêtre de l’orthodoxie médicale » dans son canton, mais je me sens proche de la vision anglo-saxonne qui veut qu’en principe, chacun·e a le droit de proposer à son prochain de lui faire du bien ! À condition bien entendu que le patient potentiel reste entièrement libre de ses décisions et que celui ou celle qui propose des soins n’exerce aucune pression, n’exploite pas et ne fasse aucun mal. De mon point de vue, c’est dans ces derniers cas seulement qu’on devrait sanctionner les rebouteux, « mèdzes », guérisseurs profanes, et c’est dans ce sens que j’ai fonctionné, en refusant d’entamer des combats futiles vis-à-vis de la « pratique illégale de la médecine ». Mon message alors à mes collègues et aux soignant·es en général est : personne ne veut vous forcer à vous intéresser à ces modalités nouvelles, qui pourtant dans certains cas apportent une vraie aide, un réel soulagement, un véritable plus aux personnes souffrantes. Mais gardez l’œil et l’esprit ouverts !
(Propos recueillis par Céline Rochat)
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