Quel accompagnement spirituel en institution?
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Une fondation qui suit des personnes en proie à des troubles psychiques lourds a choisi d’intégrer la spiritualité dans sa démarche vis-à-vis des bénéficiaires. Une décision basée sur l’identification du besoin et sur des bases scientifiques démontrées.
Par Nadia Ben Zbir, accompagnante spirituelle et thérapeute avec le cheval, Fondation Domus, Ardon et La Tzoumaz (Valais)
Les liens entre spiritualité et psychiatrie sont éminemment complexes. Si, durant des millénaires, médecine et spiritualité étaient intimement liées, il n’en va plus de même dans nos sociétés contemporaines occidentales. Il est d’ailleurs couramment admis que la spiritualité des bénéficiaires n’est pas du ressort des accompagnant·e·s.
Il faut relever que le vécu spirituel est sans doute une expérience des plus intimes. Il touche aux valeurs de la personne, à sa vision et à son rapport au monde. Dans ce contexte peut se poser la question de la légitimité pour les professionnel·le·s de s’enquérir, voire de s’occuper, de la spiritualité des bénéficiaires. C’est pourquoi la mise en place d’un accompagnement spirituel dans le cadre d’une institution sociale doit être pensée et clairement définie.
Élément significatif dans le processus de rétablissement
L’idée de mener un projet sur cette thématique à la Fondation Domus a germé à la suite d’une évaluation menée à l’interne, qui montrait que cet aspect n’était pas suffisamment considéré. Pour y répondre, la direction a souhaité s’intéresser aux bénéfices potentiels d’un accompagnement spirituel, à ses modalités, à la définition même de la spiritualité, ou encore aux ressources qui seraient nécessaires.
Le projet s’est déployé en deux temps. Lors de son travail de CAS en Santé, médecine et spiritualité [1], la responsable de projet a d’abord conclu que l’accompagnement spirituel joue un rôle significatif dans le processus de rétablissement des bénéficiaires. Sur cette base, un groupe de travail a été constitué. Il s’est composé de délégué·e·s des différents secteurs des prestations de l’institution, complété par des représentant·e·s des usagers·ères. Sous la supervision du Professeur Jacques Besson, le groupe a défini les modalités spécifiques, les ressources nécessaires et un plan de mise en œuvre.
Définir le rôle des professionnels, éviter le prosélytisme
Réfléchir à un accompagnement spirituel implique de prendre en compte les multiples enjeux liés à la définition de l’être humain et de la spiritualité. Cela signifie également composer avec la vision du monde de chacun·e, bénéficiaires et collaborateur·trice·s de chaque groupe professionnel, sans oublier les compréhensions diverses des notions de santé et de maladie.
L’interdisciplinarité, et notamment la définition des rôles professionnels, doit également être intégrée dans la réflexion, afin de déterminer qui traite de spiritualités et comment. S’agit-il d’une personne spécialisée, comme un·e aumônier·ère ? L’accompagnement spirituel est-il le fait de tous les collaborateur·trice·s ? Comment l’accompagnement interdisciplinaire se construit-il ?
Dans ces considérations, le contexte externe, à commencer par les partenaires du réseau de soin et le ou les mandataires, ne doit pas être oublié. De fait, ils pourraient ne pas comprendre le but d’une telle prestation, voire craindre une dérive prosélyte. Font également partie du contexte externe les traditions religieuses et culturelles locales, et les institutions ou les représentant·e·s religieux·ses ou spirituel·le·s, avec lesquels une collaboration pourrait être souhaitable.
Spiritualité et rétablissement : des effets bénéfiques
La mission institutionnelle consistant notamment à promouvoir le rétablissement de personnes qui présentent une maladie psychique, il s’agissait en premier lieu d’identifier si un accompagnement spirituel soutiendrait cet objectif.
Dans le cadre de la maladie psychique, le rétablissement psychologique se caractérise comme un processus qui vise à se construire une vie épanouissante et pleine de sens, ainsi qu’une identité personnelle positive. Espoir et autodétermination représentent les fondements essentiels du rétablissement, tout comme la connexion avec les autres.
Or, la religion ou la spiritualité peuvent avoir un impact sur le processus de rétablissement. En effet, les croyances et les pratiques religieuses ou spirituelles sont directement en lien avec les valeurs personnelles et la conception du monde de chacun·e. Elles définissent la manière dont la personne conçoit sa place dans le monde et comment elle s’y relie. Elles peuvent ainsi jouer un rôle important dans la construction ou la redéfinition de l’identité personnelle, soit l’un des éléments essentiels du processus de rétablissement. De plus, ayant trait à d’importantes questions existentielles comme le pourquoi de la vie, de la mort ou de la maladie, elles permettent de donner ou redonner un sens à sa vie et aux expériences ou événements qui jalonnent l’existence. L’espoir peut également émaner des croyances spirituelles ou religieuses qui permettent d’avoir foi en l’avenir. Enfin, l’aspect communautaire de la plupart des traditions religieuses ou spirituelles, comme le simple fait de partager une vision du monde ou des croyances et d’avoir la possibilité d’en parler, favorise la connexion avec les autres.
Amélioration de la gestion des symptômes
Une étude portant sur les relations entre pratiques religieuses et spirituelles vient par ailleurs corroborer l’influence positive de la spiritualité dans le rétablissement [2]. En plus des éléments énoncés ci-dessus, cette étude, menée à Genève sur un groupe de personnes avec un diagnostic de schizophrénie, montre que « les stratégies spirituelles et religieuses peuvent aider à prendre de la distance face aux délires et aux hallucinations, à diminuer l’angoisse, la peur, la colère qui y sont associées, ainsi que certains comportements inadaptés. La prière ou la méditation peuvent aussi aider face à la dépression et à l’angoisse. La religion protège de la consommation de drogues, surtout les personnes ayant souffert de toxicodépendance dans le passé. » [3]
Une spiritualité active peut donc non seulement agir sur les éléments qui relèvent de la promotion de la santé, comme l’espoir, la redéfinition de l’identité ou le fait de trouver un sens à sa vie, mais elle peut aussi influencer de manière positive la gestion des symptômes tels que les hallucinations, l’angoisse ou la dépression.
Cependant, il arrive parfois que les effets sur la santé se révèlent négatifs. Ainsi, 14% des personnes qui ont pris part à l’étude menée à Genève considéraient la spiritualité comme une source de souffrance et de désespoir [4]. Ces souffrances peuvent conduire à la consommation de substances, voire au suicide. Par ailleurs, même un vécu positif de la spiritualité peut engendrer des effets négatifs sur la santé, par exemple si « la souffrance terrestre et trop grande et que l’au-delà se présente comme un avenir meilleur. » [5] Dans ce type de circonstances, un risque suicidaire est à envisager. Il apparaît donc primordial que les professionnel·le·s soient formé·e·s à reconnaître les potentielles dérives et les risques liés au vécu spirituel de chacun·e.
Les croyances ou les expériences spirituelles peuvent en outre entraver les traitements médicamenteux ou thérapeutiques. C’est le cas pour 23% des personnes qui ont pris part à l’étude menée à Genève [6]. Certain·e·s patient·e·s recherchent en effet une guérison spirituelle à la place de suivre un traitement et d’autres considèrent que le traitement entrave leur vie spirituelle.
Il apparaît donc que la spiritualité revêt une importance particulière dans la vie de la majorité des individus qui font face à une maladie psychique. Dans la plupart des cas, elle peut être considérée comme un facteur de rétablissement. Et s’il arrive qu’elle l’entrave, il paraît primordial d’identifier quels croyances, faits ou expériences sont en cause. Dans ce sens, intégrer la spiritualité dans l’accompagnement en psychiatrie se révèle particulièrement indiqué.
Former des équipes, selon l’intérêt de chacun·e
Dans le cadre de ce projet, le concept d’accompagnement de la Fondation Domus a été revu pour intégrer la spiritualité, puis validé par la direction et le conseil de fondation.
Sa mise en œuvre débutera au premier trimestre 2023. Concrètement, il est prévu que les collaborateur·trice·s de tous les services se voient dispenser une formation de base afin qu’ils et elles puissent inclure la spiritualité dans leur accompagnement et dans leurs interactions avec les bénéficiaires. Il s’agira par exemple d’offrir une écoute dénuée de préjugés, ou encore de soutenir les personnes qui le souhaitent dans l’exécution de rites tels que prière ou méditation.
Les plus intéressé·e·s par la spiritualité pourront suivre des formations plus approfondies leur permettant d’aller à la rencontre de cette thématique avec les bénéficiaires, de les accompagner dans leurs liens avec la communauté religieuse de leur choix ou encore de pratiquer des supervisions d’équipe.
Enfin, un poste d’accompagnant·e spirituel·le à mi-temps sera créé. En plus d’organiser des interventions en individuel et en groupe, sa mission consistera à travailler en interdisciplinarité avec les autres secteurs des prestations. Personne de référence pour l’ensemble des collaborateurs et des collaboratrices, elle proposera notamment des supervisions à ce sujet et développera également un partenariat avec les représentant·e·s régionaux·les des religions traditionnelles. Afin de garantir une pratique réflexive en lien avec les besoins des bénéficiaires, ce·tte professionnel·le sera supervisée par un·e spécialiste et continuera à se former.
La Fondation Domus
Institution valaisanne de réhabilitation psychosociale, la Fondation Domus est emmenée par le leitmotiv « Une force pour demain ». Ce fil rouge guide ses différentes prestations (hébergement, ateliers socioprofessionnels, thérapies) destinées à des personnes faisant face à des troubles psychiques lourds et chroniques. Près de 130 collaboratrices et collaborateurs offrent ainsi un accompagnement mixte (socio-éducatif, thérapeutique, médico-infirmier) à 170 bénéficiaires : une soixantaine d’entre eux et elles réside dans les deux foyers, les autres sont suivi·e·s à domicile. En 2023, la Fondation célébrera son 50e anniversaire.
Bibliographie
- Besson, J. (2019). Addiction et spiritualité. Spiritus contra spiritum. Toulouse : Editions érès.
- Brandt, P.-Y., & Besson, J. (2016). Spiritualité en milieu hospitalier. Genève : Labor et Fides.
- Favrod, J., & Maire, A. (2012). Se rétablir de la schizophrénie. Guide pratique pour les professionnels. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson.
- Mohr, S., Borras, L., Gillieron, C., Brandt, P.-Y., & Huguelet, P. (2006, Septembre 20). Spiritualité, pratiques religieuses et schizophrénie : mise au point pour le praticien. Revue Médicale Suisse, II(79).
- Sulmasy, D. P. (2022, Mai 31). A Biopsychosocial-Spiritual Model for the Care of Patients at the End of Life. The Gerontologist, 42, pp. 24-33.
- WPA Section on Religion, Spirituality and Psychiatry. (2017). Spirituality and Religion in Psychiatry.
[1] Ce CAS est dispensé à l’Université de Lausanne, sous la supervision notamment du professeur Jacques Besson.
[2] (Mohr, Borras, Gillieron, Brandt, & Huguelet, 2006)
[3] ibid.
[4] (Mohr, Borras, Gillieron, Brandt, & Huguelet, 2006, p. 2096)
[5] Ibid.
[6] Ibid.
Cet article appartient au dossier Intimité(S)
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Nadia Ben Zbir, «Quel accompagnement spirituel en institution?», REISO, Revue d'information sociale, publié le 24 octobre 2022, https://www.reiso.org/document/9781