Travailler ensemble pour le bien des bénéficiaires
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Dans les institutions du handicap, le vieillissement des bénéficiaires implique que les professionnel·le·s des soins et du social travaillent toujours plus de concert. Une recherche a ciblé les enjeux d’une bonne collaboration interprofessionnelle.
Par Alida Gulfi, professeure, Haute école de travail social Fribourg
Dans les institutions du handicap, la question de la collaboration entre des professionnel·le·s du travail social et des soins infirmiers se pose avec acuité. L’avancée en âge des bénéficiaires et l’évolution de leurs problématiques impliquent des besoins accrus en matière d’accompagnement et de soins.
Quels sont les facteurs déterminants de la collaboration interprofessionnelle, les enjeux qu’elle soulève ainsi que ses avantages pour les bénéficiaires, les professionnel·le·s et les institutions ? Une recherche effectuée dans douze structures résidentielles du handicap des cantons de Fribourg et Vaud a tenté de répondre à ces questions [1]. Elle a été réalisée à partir de 36 entretiens semi-directifs avec des directions, ainsi qu’avec des éducateurs·trices sociaux·ales et infirmier·ère·s travaillant ensemble au sein d'équipes socio-éducatives.
Partager une vision et des objectifs
Selon les personnes interrogées, la collaboration interprofessionnelle est influencée par des déterminants, à savoir des facteurs qui la facilitent ou l’entravent. Si le·la bénéficiaire, sa situation spécifique, la complexité de ses besoins ou son projet de vie sont au cœur de la pratique collaborative, celle-ci dépend également d’autres éléments liés aux relations entre les professionnel·le·s, à l’organisation dans laquelle ils·elles travaillent ainsi qu’aux contextes économiques, sociaux, politiques et culturels externes à l’institution (Bronstein, 2003 ; D’Amour et Oandasan, 2005 ; San Martín-Rodríguez, Beaulieu, D’Amour et Ferrada-Videla, 2005).
Sur le plan relationnel, le travail d’équipe et les rapports interpersonnels apparaissent comme un facteur clé de la collaboration interprofessionnelle aux yeux des participant·e·s. Partager une vision et des objectifs centrés sur le·la bénéficiaire et son entourage, pouvoir communiquer et échanger au sein de l'équipe sont perçus comme favorables.
Inversement, les enjeux de pouvoir et de territoire, qui risquent d’apparaître lorsque des professionnel·le·s adoptent une perspective et des attitudes centrées sur leurs professions respectives, ainsi que le travail en silo seraient une importante barrière à la pratique collaborative.
Pour créer une relation propice à celle-ci, il est essentiel d’avoir une bonne compréhension et acceptation du rôle et de l’étendue de la pratique de chaque profession. En revanche, le manque de connaissance et de reconnaissance des rôles et expertises de l’autre corps de métier est considéré comme peu propice.
Les personnes interrogées relèvent l'importance et le besoin de respect mutuel, de confiance en soi et envers les collègues, d’écoute, de compréhension. Faire preuve de transparence, d’adaptation et d’ouverture envers celles et ceux issu·e·s de domaines différents sont également des éléments influençant positivement les relations interprofessionnelles.
Sur le plan personnel, les participant·e·s sont d’avis que les deux métiers doivent avant tout avoir la volonté de travailler ensemble et y être préparés, notamment grâce à la formation interprofessionnelle et aux expériences vécues antérieurement.
Soutenir et formaliser la collaboration
Pour ce qui est de l’organisation, divers facteurs ont été mis en évidence comme déterminants de la collaboration interprofessionnelle, à commencer par le positionnement institutionnel. Une philosophie et des valeurs institutionnelles qui soutiennent la collaboration ainsi que l’existence de documents qui y font référence (chartes, concepts d’accompagnement, règlements) sont vus comme de véritables soutiens. Inversement, un flou au niveau de l’attitude ou des attentes de l’institution envers la pratique collaborative nuit à celle-ci.
Deuxièmement, l’organisation de l’institution et du travail. Une attribution formelle claire, notamment via les descriptifs de fonction ou les cahiers des charges, des rôles, responsabilités, activités et compétences entre éducateurs·trices sociaux·ales et infirmier·ère·s favorise la collaboration interprofessionnelle. Elle permet à chacun·e de savoir ce qu’il·elle peut faire ou non et ainsi de définir et délimiter son territoire d’intervention.
Si ce processus de spécialisation, caractérisé par une segmentation accrue du travail et une séparation des tâches, font partie intégrante de la dynamique des groupes professionnels (Demazière et Gadéa, 2009), il soulève cependant un enjeu majeur dans le domaine social. Il participerait à une forme d’éclatement de l’intervention sociale, touchant ainsi à ses fondements mêmes, basés sur une prise en charge globale et unitaire par un·e professionnel·le autonome.
Inversement, une répartition formelle des responsabilités et activités trop rigide et déséquilibrée peut cristalliser le fonctionnement des équipes et, par conséquent, entraver la collaboration.
Toujours sur le plan des facteurs organisationnels, les phénomènes de pouvoir et de hiérarchie sont aussi à considérer. Les relations hiérarchiques véhiculées dans les milieux de la santé sont perçues comme étant défavorables à la collaboration interprofessionnelle par les directions et les éducateurs·trices sociaux·ales. Ils·elles estiment que les prises de décisions et la responsabilité des interventions devraient être partagées.
Enfin, selon les participant·e·s, la collaboration interprofessionnelle serait facilitée par la mise à disposition de services et ressources suffisants et adéquats, notamment du temps et de l’espace pour communiquer et se coordonner. La surcharge de travail, et le manque de temps qui en découle, est perçue comme un obstacle. Les professionnel·le·s aimeraient également pouvoir profiter de formations pour apprendre à mieux travailler ensemble.
Au niveau systémique, le manque de personnel socio-éducatif et soignants dans les institutions, nécessaire pour faire face à des situations de bénéficiaires de plus en plus complexes, est un facteur qui prétérite la CIP. En ce sens, les personnes interrogées expriment le besoin d’avoir plus de personnel, tout en considérant cette perspective peu réaliste en raison de la situation économique.
La répartition des travailleur·euse·s sociaux·les et des soignant·e·s au sein des équipes joue également un rôle. En raison de besoins accrus en matière de soins qu’exige le vieillissement des bénéficiaires et l’évolution de leurs problématiques, la tendance est à une augmentation de l’embauche de soignant·e·s. Cela impliquerait un potentiel développement d’une intervention davantage médicalisée au sein des structures résidentielles du handicap, ce qui pourrait remettre en question la nature socio-éducative de la prise en charge des bénéficiaires.
Les directions précisent que les systèmes professionnels et éducatifs constituent des déterminants majeurs de la collaboration interprofessionnelle, car ils sont le véhicule principal des valeurs parmi les (futur·e·s) professionnel·le·s. En effet, par leurs formations et expériences spécifiques, les divers corps de métier sont porteurs de conceptions différentes des bénéficiaires, de leurs problématiques et besoins ainsi que des types d’intervention nécessaires pour faire face aux situations nombreuses et complexes de leur accompagnement.
En ce sens, les directions seraient favorables à introduire dans la formation initiale en travail social et en soins infirmiers des cours communs permettant une meilleure connaissance des métiers respectifs et de les penser en complémentarité.
Meilleure qualité de l’accompagnement et des soins
Selon les participant·e·s, la collaboration interprofessionnelle s’avère propice pour les bénéficiaires. Tout d’abord, elle favoriserait une approche holistique des situations et une prise en charge globale de leurs besoins en soins et accompagnement. Ensuite, elle contribuerait à une amélioration de la qualité des soins, du suivi médical et de leur état de santé. De plus, elle offrirait un certain confort aux bénéficiaires, en assurant une meilleure intégration et continuité du suivi. En outre, le fait de connaître les éducateurs·trices sociaux·ales et les infirmier·ère·s qui les accompagnent au quotidien aurait également un côté rassurant, conférant tranquillité et bien-être aux usager·ère·s.
Pour les professionnel·le·s, la pratique collaborative serait également bénéfique, encourageant le renforcement ou l’acquisition de nouvelles compétences par le partage des regards, connaissances et bagages respectifs. Elle favoriserait la rapidité et l’efficacité de l’intervention auprès des bénéficiaires. Compter sur la présence d'infirmier·ère·s dans l’équipe aurait aussi pour effet de rassurer le personnel éducatif et de diminuer le stress lié à la santé et au suivi médical des bénéficiaires.
Enfin, la collaboration interprofessionnelle serait un atout pour les institutions, car elle permet de fournir aux bénéficiaires un large éventail de prestations d’encadrement, sanitaires et médicales, notamment de réaliser des accompagnements palliatifs, soit d’accueillir et de gérer des situations de fin de vie.
En résumé, la recherche montre que si la collaboration entre éducateurs·trices sociaux·ales et infirmier·ère·s au sein des institutions du handicap fonctionne généralement bien, elle n’exclut pas des difficultés, majoritairement liées à des rapports de forces, à des tensions ou à des attitudes défensives inhérents à chaque champ professionnel. Toutefois, le contexte institutionnel se révèle être un facteur majeur de réussite, celui-ci pouvant encourager et valoriser le travail d’équipe et la reconnaissance.
Une journée consacrée à la collaboration interdisciplinaire
« Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite. » (Henri Ford)
Quels sont les enjeux pour les pratiques professionnelles d’une bonne collaboration entre professionnel·le·s du travail social et des soins infirmiers ? Qu’est-ce qui fait l’essence d’une telle collaboration ? Le 13 avril 2022 à Fribourg, la Haute école de travail social (HETS-FR) et la Haute école de santé (HEdS-FR) ont co-organisé la journée d'étude Entr’Actes, lors de laquelle plusieurs intervenant·e·s ont présenté des projets menés de manière interdisciplinaire. Responsables de l’organisation du colloque, Rita Bauwens et Danièle Buillard Verville ont souligné, dans leur introduction, la nécessité de dialogue entre les deux domaines « pour offrir des réponses plus adéquates aux personnes accompagnées au quotidien ». Les présentations données durant la matinée font l’objet d’une série d’articles publiée dans REISO. Cet article est le premier de ce dossier.
Bibliographie
- Bronstein, L.R. (2003). A model for interdisciplinary collaboration. Social Work, 48(3), 297-306.
- D’Amour, D. & Oandasan, I. (2005). Interprofessionality as the field of interprofessional practice and interprofessional education: an emerging concept. Journal of Interprofessional Care, 19(1), 8-20.
- Demazière, D., & Gadéa, C. (2009) (Dir.). Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis. Paris : La Découverte.
- San Martín-Rodríguez, L., Beaulieu, M.D., D’Amour, D., & Ferrada-Videla, M. (2005). The determinants of successful collaboration: A review of theoretical and empirical studies. Journal of Interprofessional Care, 19(1), 132-147.
[1] Perriard, V., Gulfi, A., & Rossier, A. (2020). La collaboration interprofessionnelle social-santé dans les structures résidentielles du handicap en Suisse romande : quels développements et enjeux pour le champ professionnel du travail social ? Rapport d’activité à l’intention de la Commission scientifique du domaine travail social de la HES-SO. La recherche a été soutenue par ledit domaine.
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Alida Gulfi, «Travailler ensemble pour le bien des bénéficiaires», REISO, Revue d'information sociale, publié le 10 octobre 2022, https://www.reiso.org/document/9706