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Sophie Martin Duc, dirige le service social-emploi du CMS de la région de Sierre. Elle livre ses observations sur l’évolution des enjeux autour de l’insertion. Interview.
Sophie Martin Duc, dirige le service social-emploi du CMS de la région de Sierre. Elle livre ses observations sur l’évolution des enjeux autour de l’insertion. Interview.
Cette interview est intégrée au dossier Journée d’automne 2024 de l’Artias. Explorant la thématique de l’insertion sociale et professionnelle, ce dossier réalisé en collaboration entre REISO et l’Artias compile les articles et interviews de la majorité des oratrices et orateurs ayant contribué à cette rencontre des acteurs et actrices de l’action sociale en Suisse latine, déroulée le 28 novembre 2024 à Lausanne.
(Amanda Ioset) Sophie Martin Duc, vous êtes directrice du service social-emploi du Centre médico-social régional de Sierre depuis sept ans. Quelles sont les missions de votre service ?
Sophie Martin Duc © Artias(Sophie Martin Duc) Le Service social-emploi se compose de trois secteurs d’activités avec des champs d’intervention propres. Le domaine des Prestations sociales (service social régional) se charge de l’accompagnement des personnes en difficultés financières, sociales et/ou administratives selon la loi sur l’intégration et l’aide sociale (LIAS). La COREM organise des mesures d’insertion socioprofessionnelles pour les bénéficiaires de l’assurance-chômage, de l’aide sociale, de l’office de l’asile et de l’office AI. Enfin, la Curatelle officielle régionale assume les mandats confiés par l’APEA (Autorité de protection de l’enfant et l’adulte).
Vous distinguez deux approches en matière d’insertion professionnelle : celle issue de l’aide sociale et celle issue du milieu de l’insertion socioprofessionnelle. En quoi cette distinction est-elle pertinente dans votre quotidien professionnel ?
Effectivement, afin d’appréhender au mieux les perspectives d’insertion, il me paraît intéressant d’utiliser ces deux angles d’approches pour constater le chemin déjà parcouru. Le domaine de l’aide sociale et le milieu de l’insertion socioprofessionnelle répondent à des missions différentes. Leurs modes de financement et types d’organisations divergent également.
Avant de diriger le service social-emploi, vous avez été responsable du service social. Avec le recul de votre expérience, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’insertion dans l’aide sociale au cours des dernières années ?
L’évolution en la matière a été considérable. L’activation des bénéficiaires a toujours fait l’objet de pressions politiques, tant au niveau stratégique des politiques d’action sociale cantonale qu’à un niveau individuel lors de l’ouverture d’un dossier d’aide financière auprès d’une commune ou d’une commission sociale. Avec le temps, la perception des mesures d’insertion s’est muée de contre-prestation pure et dure, pour sortir du « confort » de l’aide sociale, en stratégie d’insertion individuelle souvent formalisée au travers de contrats d’insertion. Le milieu politique a également accepté l’existence d’un socle incompressible de personnes exclues du marché du travail avec la reconnaissance de mesures d’insertion à visée sociale uniquement.
Quand on parle d’insertion, on considère souvent que la mise à disposition d’un temps suffisant pour le conseil et l’accompagnement — et donc l’allocation des moyens nécessaires pour cela — favorise la sortie de l’aide sociale ou la diminution de l’aide matérielle. Ainsi, la réorganisation de la prise en charge des bénéficiaires au sein de services sociaux avec des équipes d’accueil (Intake) et des équipes de suivi-insertion a pu mener à l’augmentation de l’activation des bénéficiaires.
Et quels constats pouvez-vous émettre par rapport aux profils des bénéficiaires ?
L’évolution est également notable de ce point de vue. La bonne situation économique favorise la reprise d’emploi de certain·es bénéficiaires ou leur évite un passage à l’aide sociale. En revanche, nous constatons une augmentation des personnes avec des problématiques de santé, et surtout de santé mentale, notamment parmi les jeunes.
On constate ici l’importance de développer des programmes qualifiants ou des formations continues pour favoriser l’insertion durable
Qu’en est-il de la vision du milieu de l’insertion socioprofessionnelle ?
Le monde du travail a connu des changements rapides : la mondialisation, l’automatisation croissante, la numérisation, puis l’intelligence artificielle. Certains métiers, dont ceux nécessitant une faible qualification, tendent à disparaître alors que d’autres émergent. Toutefois, même les métiers peu qualifiés requièrent aujourd’hui une augmentation des compétences, notamment numériques. Face à ces mutations, le milieu de l’insertion socioprofessionnelle a donc également connu de nombreuses transformations. Les organisateurs de mesures ont dû faire preuve d’une grande capacité d’adaptation, mais également d’innovation pour développer des offres répondant à la demande. En quelques années, l’accompagnement des participant·es aux ateliers d’insertion socioprofessionnelle est passé d’une prise en charge de type occupationnelle, centrée sur l’activité, à une prise en charge insertionnelle, centrée sur l’apprentissage et le développement des soft skills (compétences sociales et personnelles). Les prises en charge se veulent aussi plus dynamiques et évolutives durant la mesure, notamment par des placements en stage sur le premier marché du travail après un début de stage pratique en atelier. Et face à la diversité des publics, les coachings individualisés se développent afin d’apporter des solutions personnalisées. Finalement, nous avons vu également l’émergence de formations spécifiques portant sur des groupes cibles (50+, jeunes) ou portant sur des thématiques précises (domaine des soins, intendance, le service).
Quels sont pour vous les principaux enjeux et les principales perspectives pour l’insertion de demain ?
La baisse du taux de chômage et la pénurie de main-d’œuvre dans des domaines comme la santé, la vieillesse, l’hôtellerie ou l’informatique se présentent comme des opportunités pour développer des programmes d’insertion professionnelle qualifiants, confirmés par un certificat de branche reconnu, par exemple celui d’auxiliaire santé de la Croix-Rouge. La COREM expérimente d’ailleurs un projet pilote en collaboration avec la Croix-Rouge Valais et dix-huit EMS depuis bientôt trois ans. Déployé sur l’ensemble du Valais romand, celui-ci concerne pour l’instant un public de bénéficiaires de l’assurance chômage, mais s’ouvre progressivement aux bénéficiaires de l’aide sociale. Il remporte un vif succès avec un taux de réinsertion de plus de 81%. D’autres programmes d’insertion de ce type existent. Il faut dire que plus de 50% des bénéficiaires d’aide sociale n’ont pas effectué de formation initiale, ce qui les précarise sur le marché du travail. On constate ici l’importance de développer des programmes qualifiants ou des formations continues pour favoriser l’insertion durable. Toutefois, si l’obtention de qualification favorise grandement le retour à l’emploi, ces emplois restent faiblement rémunérés, et ne suffisent pas toujours pour sortir de la précarité.
Effectuer une mesure d’insertion sur le premier marché du travail, en plus de l’aspect valorisant que cela comporte, fait du sens et favorise l’employabilité
Comment lisez-vous ces transformations du point de vue des organismes d’insertion socioprofessionnelle ?
Un enjeu important réside autour du développement d’outils et d’approches de travail utilisés dans les processus d’insertion. Le développement de formations spécifiques pour la promotion des compétences, du job coaching, du case management, des différentes techniques de communication (capsule vidéo, classe inversée) et de recherche d’emploi afin d’optimiser le suivi des participant·es lors de mesures s’avère essentiel. Il s’agit désormais de faire de l’individualité dans le groupe. Et de poursuivre le soutien à des publics définis comme les jeunes adultes.
Qu’en est-il de celles et ceux qui travaillent dans des mesures d’insertion sociale ?
Pour les bénéficiaires d’aide sociale, effectuer une mesure d’insertion sur le premier marché du travail, en plus de l’aspect valorisant que cela comporte, fait du sens et favorise l’employabilité. Pour y parvenir, une excellente connaissance du réseau et le développement des relations avec les entreprises du premier marché sont des éléments primordiaux, et ce, sans négliger l’importance de la coordination des différents dispositifs d’insertion lors de l’approche des entreprises.
Quel rôle les politiques vont-ils jouer ?
Le domaine de l’aide sociale a toujours été un domaine sensible du point de vue politique. Il est impossible de parler de perspectives sans évoquer l’importance d’obtenir un appui des politiques d’action sociale. Nous connaissons l’importance du développement et de l’innovation dans le domaine de l’insertion, innovation qui nécessite des financements généralement issus des finances publiques. La réalisation de projets innovants et agiles dépendra donc fortement de la volonté politique et des budgets disponibles, même si l’efficacité des mesures n’est pas toujours quantifiable à court terme. Nous devons alors rappeler que l’arrivée de projets d’insertion sociale est primordiale pour de nombreux·ses bénéficiaires de l’aide sociale. Elle permet la lutte contre l’isolement, la promotion de la santé et de retrouver une place au sein de la société.
Finalement, quelle réflexion conclusive vous faites-vous sur l’entrecroisement des pratiques et des débats entre insertion socioprofessionnelle et insertion sociale ?
Pour terminer, une réflexion pourrait être menée sur un juste milieu à trouver entre l’insertion professionnelle sur le premier marché et l’insertion sociale plus bas seuil. Pour des bénéficiaires avec une certaine employabilité, mais des difficultés à retrouver le marché du travail et y rester durablement, pour diverses raisons, une piste pourrait être la promotion du bénévolat avec une reconnaissance de cette participation à la vie sociale, tout comme pour les activités au sein du cercle familial (proches aidant·es, gardes d’enfants). De quoi relancer le débat sur le revenu de base inconditionnel ou conditionnel.
(Propos recueillis pour l’Artias et REISO par Amanda Ioset)