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«Replacer notre rapport à la mort au cœur du débat»

Mardi 05.07.2022

Au mois d’octobre à Lausanne, le colloque « Les Couleurs de la mort », destiné tant aux professionnel·le·s qu’au public, explorera la fin de vie afin de contribuer à une nouvelle politique de santé publique.

(Lausanne, le 8 octobre 2022)© palliativevaudOrange, jaune, vert, bleu... La mort se pare-t-elle de couleurs particulières ? C’est ce que va explorer, du 5 au 8 octobre, un colloque organisé par palliative vaud et de nombreux partenaires, dont la HETSL, l'UNIL, le CHUV et l’Institut des humanités en médecine. Interview de Laure-Isabelle Oggier, directrice de palliative vaud.

(REISO) Quatre jours de colloques autour de la mort, cela peut sembler beaucoup. La fin de vie est-elle si peu abordée qu’elle doit être investie pendant autant de temps ?

(Laure-Isabelle Oggier) Quand bien même nous savons notre finitude certaine, le sujet de la mort était peu débattu en place publique jusqu’à peu. Elle relève la difficulté de se préparer à sa propre mort ou à celle de ses proches, ou de tout simplement en parler alors qu’elle constitue la seule certitude que la vie nous réserve.

Cette absence de visibilité dans la société relève la difficulté de se préparer à sa propre mort ou à celle de ses proches, ou tout simplement d’en parler alors qu’elle constitue la seule certitude que la vie nous réserve. L’épisode Covid a toutefois replacé la mort au centre de toute notre attention, allant même jusqu’au décompte des morts en direct au téléjournal. Dans le contexte actuel, il semble essentiel de replacer notre rapport à la mort au cœur du débat, « d’ouvrir les yeux sur cette réalité avant de les fermer ».

Est-ce que la perte du Sacré dans nos sociétés occidentales fait que le sujet de la mort est abordé juste au moment où celle-ci se présente ?

Contrairement aux Peuples Premiers, nous n’intégrons pas dans notre quotidien la conscience que la vie est un miracle précieux et fragile, et que la mort peut survenir à chaque instant. Rien dans notre quotidien ne nous rappelle que nous sommes juste de passage, éphémères comme des papillons. Nous pensons-nous immortel·le·s et tout puissant·e·s ? La vie se constitue pourtant d’une suite de pertes et de deuils : dès l’enfance et l’adolescence, nous voyons disparaître nos animaux de compagnie, des ami·e·s, des membres de notre famille, et une partie de nos illusions. Plus tard, nous perdons peut-être nos grands-parents, nos parents, un travail, la santé. Toutes ces pertes ne nous préparent-elles finalement pas au deuil ultime, celui de notre propre vie ?

À palliatif vaud, quels sont les constats que vous faites sur la place de la mort dans notre société ?

En 2018, j’ai été engagée comme directrice. Durant ma première année, je me suis rendue à différentes conférences, journées thématiques, symposiums, et autres congrès. De nombreux sujets y étaient traités : le vieillissement démographique et la problématique du manque futur de places dans les hôpitaux et EMS, les coûts de la santé, les nano-technologies destinées à réparer cœurs et cerveaux pour faire de nous des plus que centenaires, la difficulté de faire reconnaître les soins palliatifs comme étant un accompagnement au long cours, et tant d’autres sujets... Ce qui m’a frappée, c’est que le sujet de la mort n’était jamais abordé. Pourquoi ? C’est de ce constat qu’est partie l’idée d’organiser un événement autour de la mort, événement qui s’est ensuite corrélé avec le dépôt du postulat Porchet au Grand Conseil vaudois. Ainsi, cet événement répond aux demandes formulées dans ce texte puisqu’il permettra d’examiner la mort sous différents aspects avec une implication du grand public.

La mort est-elle appréhendée différemment par les professionnel·le·s et le grand public, ou la peur de cette issue ultime est-elle présente partout ?

Les individus en général se posent beaucoup de questions sur la fin de vie et la mort. Ce n’est pas tant la mort qui fait peur, mais souvent la souffrance qui la précède.

Quel est le rôle des professionnel·le·s, selon vous, dans l’appréhension, au sens didactique du terme, de la fin de la vie ?

Pour les professionnel·le·s travaillant en soins palliatifs, il s’agit d’un accompagnement de l’autre, une qualité de présence bienveillante, où que soit la personne, dans ce cheminement, à travers son existence jusqu’à sa propre finitude.

La personne est accompagnée dans sa globalité, dans le respect de son autonomie et de ses particularités. Par le prendre soin, le·a professionnel·le lui restitue sa capacité d’agir, à son rythme, vers là où elle veut aller. C’est une manière d’être, une posture, une reconnaissance. Celle-ci comporte différentes étapes, comme informer, écouter, être dépositaire de la parole de l’autre, instaurer une relation de confiance. Ainsi, la qualité de la présence, la patience, le dialogue et l’écoute entre le·a professionnel·le et le·a patient·e sont essentiels.

Vous orientez votre colloque autour des couleurs de la mort. Quelles sont-elles ?

Ces journées ont été construites autour de questions qui ont émergé lors des focus groups citoyens constitués par le ColLaboratoire (UNIL). Nous avons souhaité répondre à une partie de ces interrogations teintées de différentes couleurs. Le sujet est tellement vaste, nous aurions pu organiser un mois entier de conférences !

Quels sont les buts de cet événement ?

L’ambition de cet événement est de nourrir la réflexion du Département de la santé et de l’action sociale afin de permettre une nouvelle politique de santé publique, plus proche des préoccupations et des souhaits des citoyen·ne·s.

La santé publique est aujourd’hui rattrapée par la réalité démographique. Demain, les baby-boomers arriveront au seuil des hôpitaux et des EMS. Dès lors, le sujet devient une préoccupation majeure qui constitue un nouveau défi pour notre époque. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une société doit faire face à un tel enjeu.

Les affects, valeurs et croyances sont interrogés, voire ébranlés, et de nouvelles questions éthiques s’imposent, d’autant que les notions d’individualité et d’autodétermination ont pris de l’ampleur par rapport au souci du collectif

Même s’il est incontestable que les avancées de la médecine technologique ont contribué à améliorer globalement l’état de santé de la population et à prolonger l’espérance de vie, elle a aussi repoussé ce moment de face à face avec l’inéluctable. Cependant, ce prolongement de l’existence ne va pas sans écueils. En effet, la population des personnes âgées de 80 ans et plus est très souvent touchée par plusieurs maladies chroniques de manière simultanée. Cette situation génère une forte augmentation des coûts dans notre système de santé qui, de fait, voit son fonctionnement interrogé, même remis en question. Cependant, est-ce vraiment à lui qu’incombe cette réflexion de fond ou ne serait-ce pas plutôt le regard que nous portons sur la mort qui nécessiterait d’être revisité ?

Dans ce contexte de prolongement de l’espérance de vie, à partir de quel moment parlez-vous de « fin de vie » ?

Il devient difficile de définir précisément quand elle commence. Auparavant, les termes de « soins palliatifs » étaient utilisés lors des derniers jours qui précédaient le décès. Actuellement, ils sont évoqués dès l’annonce d’une maladie chronique potentiellement mortelle. De profonds changements surviennent dans notre manière d’appréhender la dernière phase de la vie. Le·a citoyen·ne peine avec ce glissement sémantique. En fait, les affects, valeurs et croyances sont interrogés, voire ébranlés, et de nouvelles questions éthiques s’imposent, d’autant que les notions d’individualité et d’autodétermination ont pris de l’ampleur par rapport au souci du collectif. Ces concepts sont assez récents, dans la société comme au sein du monde médical.

Autrefois, les balises des religions offraient différents codes moraux, familiaux, et sociétaux. La mort avait ses propres rituels. Aujourd’hui, le monde virtuel est-il plus présent que notre rapport partagé, communautaire, au monde ? Quels sont les risques pour la mort réelle de passer à la trappe ?

Dans d’autres cultures, la mort est appréhendée de manière très différente de chez nous. Comment ces aspects culturels apparaîtront-ils dans ce colloque ?

D’autres cultures appréhendent en effet la vie et la mort de manière très différente ; la mort n’est pas vécue comme un échec. Elles reposent sur une représentation du cercle de la vie, la sacralité de celle-ci, l’importance de vivre en harmonie avec ce qui nous entoure, le respect de notre Mère la Terre et de chaque être vivant avec qui nous partageons cette magnifique planète bleue. Pour avoir une autre perspective sur la vie et la mort, loin des dogmes imposés par les religions traditionnelles, nous avons invité des Natifs d’Amérique.

Finalement, quels seront les points forts du colloque à ne pas manquer ?

Cet événement permettra d’examiner la mort sous différents aspects avec une implication du grand public. Chaque journée sera différente et riche en intervenant·e·s de qualité. La conférence d’ouverture sera donc donnée par le Dr. Anton Treuer, un Natif d’Amérique de la Nation Ojibwé. Lors de la deuxième soirée, Daniel Koch parlera de son vécu et de ses regrets quant à la gestion de la pandémie. D’autres thèmes seront abordés, comme la mort numérique, l’humusation des corps, les thanadoulas, les expériences de mort imminente… Mais je ne veux pas dévoiler tout le programme… Patience !

(Propos recueillis par Céline Rochat)

 

Infos pratiques

  • Date : du 5 au 8 octobre 2022
  • Lieu : Aula des Cèdres, HEP, Avenue de Cour 33, Lausanne
  • Horaires :
    • Mercredi : 18h30-21h (accueil 18h)
    • Jeudi : 15h30, cinéma Pathé galeries : projection du film Immortels, en présence de la réalisatrice, échanges à la fin de la projection; PUIS 18h30-21h (accueil 18h)
    • Vendredi : 13h30-21h
    • Samedi : 9h-12h15 et 13h30-20h

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