Les nouveaux instruments du droit de protection
La révision du Code civil relative à la protection de la personne introduit les curatelles modulables, deux mesures personnelles anticipées et deux cas de représentation légale. Quels sont les objectifs de ces nouveaux instruments ?
Par Parisima Vez, Dr en droit, avocate, prof. tit. à l’Université de Fribourg
Les principaux objectifs du nouveau droit sont notamment d’assouplir les mesures de protection de l’adulte, en remplaçant les institutions au contenu prédéterminé, par des mesures individualisées en fonction des particularités de chaque cas (1.), de promouvoir l’autodétermination de la personne à travers divers instruments lui permettant de disposer d’elle-même au-delà de la survenance d’une incapacité de discernement (2.) et de réduire au minimum l’intervention étatique pour renforcer la solidarité familiale (3.). La réforme poursuit encore d’autres objectifs importants, tels que l’amélioration de la protection des personnes incapables de discernement résidant en institution, le renforcement de la protection juridique des personnes placées à des fins d’assistance ou l’unification de la réglementation des traitements psychiatriques. La présentation de ces aspects dépasse le cadre de la présente contribution.
1. Des mesures taillées sur mesure
Actuellement, les trois mesures de protection que sont la mise sous tutelle (interdiction), le conseil légal et la curatelle fixent de façon rigide le champ d’action du mandataire tutélaire. De ce fait, soit les autorités appliquent servilement la loi, au risque de violer le principe de la proportionnalité, soit elles inventent des mesures et sont alors en porte-à-faux avec la loi. L’entrée en vigueur de la révision du Code civil permettra de limiter l’assistance étatique, dans chaque cas, au minimum nécessaire. Les mesures actuelles seront remplacées par une seule institution, la curatelle, laquelle pourra prendre quatre formes différentes :
- La curatelle d’accompagnement (art. 393) [1] est instituée, avec le consentement de la personne protégée, lorsque celle-ci doit être assistée pour accomplir certains actes, tels que des démarches administratives. Le curateur n’a aucun pouvoir pour représenter la personne concernée ni administrer ses biens.
- La curatelle de représentation (art. 394 s.) est instituée si la personne protégée ne peut pas accomplir certains actes elle-même et doit être représentée. Le pouvoir de représentation du curateur peut être exclusif ou non exclusif. S’il n’est pas exclusif, la personne concernée peut continuer à agir elle-même, mais elle est aussi liée par les actes du curateur (art. 394 al. 3) ; s’il est exclusif, la personne concernée est limitée dans l’exercice de ses droits civils (art. 394 al. 2). Ce type de curatelle peut concerner soit certains actes déterminés par l’autorité, soit la gestion du patrimoine (art. 395), dans ce dernier cas, il appartient à l’autorité de déterminer les biens qui seront gérés par le curateur (gestion du tout ou partie des revenus et/ou de la fortune) ; ainsi peut-on confier au curateur la gestion du salaire, ce qui aujourd’hui n’est possible qu’en passant par une interdiction.
- La curatelle de coopération (art. 396) est instituée si, pour sauvegarder les intérêts d’une personne, il est nécessaire de soumettre certains de ses actes au consentement du curateur. Contrairement au droit actuel [2], la loi ne contient plus un catalogue exhaustif et limitatif d’actes susceptibles d’être concernés. De ce fait, l’autorité pourra déterminer les cas dans lesquels le concours du curateur est nécessaire, en fonction des besoins spécifiques de la personne à protéger.
- La curatelle de portée générale (art. 398) équivaut à l’actuelle interdiction. Cette mesure n’entre en ligne de compte que si les autres curatelles, individuellement ou combinées entre elles (art. 397), ne suffisent pas à protéger de façon adéquate la personne concernée. Elle recouvre l’assistance personnelle, la gestion du patrimoine et les relations juridiques avec les tiers (art. 398 al. 2). Le curateur a qualité de représentant légal de la personne concernée. Elle entraîne de plein droit la privation de l’exercice des droits civils (art. 398 al. 3).
2. La promotion de l’autodétermination
Sous l’appellation générique de mesures personnelles anticipées (art. 360 ss), le nouveau droit introduit deux nouvelles institutions :
- Le mandat pour cause d’inaptitude (art. 360 ss) permet à une personne majeure et capable de discernement ayant l’exercice des droits civils (c.-à-d. n’étant pas sous curatelle de portée générale) de désigner une personne physique ou morale (un ami ou une association telle que Pro Senectute) qu’elle charge de lui fournir une assistance personnelle, de gérer son patrimoine ou de la représenter dans les rapports juridiques avec les tiers au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Ce mandat doit revêtir la forme olographe ou authentique (art. 361 al. 1) et la personne concernée peut – mais ne doit pas – en requérir l’inscription à la banque centrale de données de l’état civil (art. 361 al. 3) ; cette inscription permet à l’autorité de prendre connaissance du mandat, lorsque la personne sera frappée d’incapacité de discernement.
- Les directives anticipées (art. 370 ss) permettent à toute personne – majeure ou mineure – capable de discernement, de fixer de manière contraignante les traitements médicaux qu’elle accepte ou qu’elle refuse au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Elle peut en outre désigner une personne physique appelée à décider en son nom les soins médicaux à lui administrer si elle ne pouvait plus s’exprimer à ce sujet. Elle peut enfin fixer les critères sur lesquels les médecins et le représentant légal doivent se baser pour établir sa volonté présumée. Les directives doivent être consignées par écrit, datées et signées par leur auteur (art. 371 al. 1). Outre l’information donnée par la personne concernée à son médecin et ses proches, celle-là peut faire inscrire l’existence et le lieu du dépôt des directives sur sa carte d’assuré (art. 371 al. 2).
3. Le renforcement de la solidarité familiale
Selon le droit actuel, si une personne devient durablement incapable de discernement, l’autorité tutélaire doit intervenir en nommant un tuteur ou un curateur. Comme cette procédure est lourde, les proches redoutent généralement de s’adresser aux autorités. Ils ont recours à des solutions certes pragmatiques, mais insatisfaisantes. Le nouveau droit renforce la solidarité familiale et réduit l’intervention de l’Etat. Ainsi, pour tenir compte des besoins des proches des personnes incapables de discernement de prendre elles-mêmes certaines décisions, le nouveau droit prévoit deux nouveaux cas de représentation légale :
- La représentation légale par le conjoint ou par le partenaire enregistré (art. 374). L’introduction d’un mécanisme de représentation légale limitée donne une assise juridique claire à l’assistance « privée » fournie à une personne incapable de discernement et permet de dispenser parfois l’autorité d’intervenir.
Le pouvoir de représentation est subordonné au respect de deux conditions cumulatives : 1° Il faut que les conjoints ou partenaires fassent ménage commun ou que l’un fournisse à l’autre une assistance personnelle régulière (pour tenir compte des cas où la personne concernée réside dans un EMS). 2° Il faut que la personne n’ait pas fait de mandat pour cause d’inaptitude ou qu’elle ne soit pas placée sous une curatelle impliquant un pouvoir de représentation.
L’étendue du pouvoir légal de représentation est uniquement déterminée par l’art. 374 al.2 ch. 1 à 3 : faire tous les actes juridiques généralement nécessaires pour satisfaire les besoins de la personne représentée (p.ex. retirer de l’argent à la banque pour payer son loyer), procéder à l’administration ordinaire des revenus et d’autres biens et ouvrir son courrier et y répondre, pour autant que ce soit nécessaire, c.-à-d. seulement si le représentant est en droit de penser, de bonne foi, qu’une enveloppe contient une facture ou que la politesse exige de répondre à une lettre ou à un courriel sans trop attendre [3].
- La représentation légale dans le domaine médical (art. 377 ss). Le nouveau droit régit les situations dans lesquelles le consentement aux soins à prodiguer à une personne incapable de discernement doit être donné par une personne légalement habilitée à représenter le patient.
Cette représentation est possible sauf dans trois situations : 1° Si le patient a rédigé des directives anticipées avant de perdre sa capacité de discernement (art. 377 al. 1). 2° En cas d’urgence, auquel cas le médecin doit administrer des soins conformément à la volonté présumée et aux intérêts de la personne incapable de discernement ou dans le respect de ses directives anticipées s’il en existe (art. 379). 3° Si la personne incapable de discernement est placée à des fins d’assistance dans un établissement psychiatrique et doit y recevoir un traitement en raison de ses troubles psychiques (art. 380 et 433 ss).
L’art. 378 détermine l’ordre dans lequel les proches d’une personne incapable de discernement sont habilités à consentir ou non à des soins médicaux : la personne désignée dans les directives anticipées ou dans un mandat pour cause d’inaptitude, le curateur qui a pour tâche de le représenter dans le domaine médical, le conjoint ou le partenaire enregistré pour autant qu’il fasse ménage commun avec elle ou lui fournisse une assistance personnelle, la personne qui fait ménage avec elle et lui fournit une assistance personnelle régulière (concubin, ami), les descendants, les père et mère et les frères et sœurs, pour autant que dans ces trois derniers cas, ils fournissent à la personne concernée une assistance personnelle régulière. En cas de pluralité de représentants, le médecin peut, de bonne foi, présumer que chacun agit avec le consentement des autres (art. 378 al. 2).
Le médecin et le représentant médical établissent ensemble un plan de traitement, ce qui suppose que le médecin doit dûment renseigner le représentant sur le traitement envisagé (art. 377 al. 1 et 2).
[1] Sauf précision contraire, les articles cités sont ceux du Code civil, dans sa version modifiée par la novelle du 19 décembre 2008.
[2] Cf. art. 395 al. 1 ch. 1 à 9 CC en vigueur aujourd’hui.
[3] FF 2006, 6668.