Protection de l’adulte : le secret médical ébréché
Les nouvelles dispositions de protection de la personne posent d’épineuses questions sur la façon d’annoncer et/ou de transmettre les informations aux autorités. Elles modifient sensiblement les contours du secret médical.
Par Odile Pelet, Docteur en droit, avocate au Barreau vaudois, spécialiste FSA en responsabilité civile et droit des assurances, chargée de cours à la Faculté des Sciences de la Vie de l’EPFL
Le nouveau droit de protection de l’adulte bouleverse fondamentalement les procédures d’adoption des mesures. Cette réorganisation s’accompagne d’aménagements en matière d’annonces de situations ou de transmission d’informations. La nature même des mesures en cause a pour conséquence que ces communications touchent fréquemment au secret médical. Les problématiques sont en effet le plus souvent de l’ordre du soin et les tiers concernés par ces situations sont généralement des professionnels de la santé. Les nouvelles dispositions ont ainsi un impact direct sur le secret médical, dont elles modifient les contours de manière sensible.
I. L’obligation d’annoncer
Le nouveau texte introduit un droit de signalement, à l’autorité de protection de l’adulte, de toute personne qui « semble avoir besoin d’aide » (art. 443 al. 1 nCC). Ce droit d’annonce ne s’étend pas aux professionnels astreints à la confidentialité, puisque le texte réserve les dispositions relatives au secret (art. 443 al. 2 nCC) [1].
La loi introduit par contre un devoir d’annonce à charge de toute personne qui serait confrontée à une telle situation « dans l’exercice de sa fonction officielle » (art. 443 al. 2 nCC). Le terme de fonction officielle doit être compris au sens large et désigne « l’activité de toute personne qui exerce des compétences de droit public, même si elle n’occupe pas une fonction de fonctionnaire ou d’employée dans une collectivité publique » [2]. Cette disposition constitue ainsi une dérogation au secret de fonction, qui oblige à la confidentialité toute personne exerçant une tâche de droit public (art. 320 CP).
Il se trouve cependant que les individus tenus à cette obligation d’annonce seront fréquemment soumis également au secret professionnel, puisqu’ils exerceront souvent une profession soignante. Pour que l’annonce soit possible, il faut dès lors comprendre la disposition comme impliquant simultanément une levée du secret médical. Dans l’hypothèse inverse, les soignants de la fonction publique seraient libérés de leur secret de fonction, mais resteraient tenus par l’obligation de confidentialité découlant de la relation de soins.
Cette nouvelle disposition a dès lors une incidence évidente sur la relation thérapeutique, puisqu’elle introduit une levée du secret de fonction et du secret professionnel. Elle définit cependant tellement rudimentairement les conditions dans lesquelles l’annonce est obligatoire qu’il est impossible, pour le patient comme le praticien, d’anticiper les situations qui donneraient lieu à signalement.
Il importe de souligner que la disposition autorise de surcroît les cantons à étendre les obligations d’aviser. Le Conseil fédéral précise en effet que la solution retenue par le droit fédéral ne constitue qu’une « prescription minimale » [3].
II. L’obligation de collaborer
Afin que l’autorité compétente dispose des informations nécessaires pour exercer ses tâches, le nouveau droit prévoit une obligation de « collaborer à l’établissement des faits » (art. 448 al. 1 nCC). Ainsi, les personnes parties à la procédure et les tiers concernés sont tenus de transmettre à l’autorité les indications qui permettront à cette dernière de statuer. Les professions soignantes, soit les médecins, les dentistes, les pharmaciens, les sage-femmes et leurs auxiliaires, sont soumis à cette obligation. La disposition ne les libère néanmoins pas du secret professionnel, mais subordonne la transmission d’informations à l’autorisation de la personne concernée ou à celle de « l’autorité supérieure », soit celle de l’ordre professionnel en cause [4]. Ainsi, l’effet de l’article 448 al. 2 nCC n’est pas d’instaurer une exception légale au secret, mais de s’assurer que, lorsque le secret est levé, par la personne concernée ou l’autorité compétente, le professionnel de la santé transmette effectivement les indications pertinentes.
Cette procédure remet en question l’un des fondements de l’obligation de confidentialité. Les professionnels soumis au secret peuvent toujours être libérés de leur obligation sur décision de l’autorité compétente. Cependant, seul le praticien concerné peut solliciter d’être délié. L’autorité statue en effet « sur la proposition du détenteur du secret » (art. 321 ch. 2 CP), soit du praticien concerné. Or, selon le nouvel article 448 al. 2 nCC, les professionnels de la santé doivent collaborer si l’autorité supérieure les a déliés du secret « à la demande de l’autorité de protection de l’adulte ». Cette disposition bouleverse ainsi le système en place. La disposition sur le secret professionnel fait du praticien concerné le « gardien » du secret, en ce qu’il est seul compétent pour décider d’engager ou non la procédure de levée du secret. Si le patient ne peut pas ou ne veut pas délier son médecin, et que ce dernier juge que la confidentialité doit être maintenue, aucun tiers n’est habilité à saisir l’autorité compétente pour faire délier le praticien [5].
Le nouveau droit affaiblit cette position du médecin, en permettant précisément à un tiers d’engager cette procédure. Il appartiendra dès lors aux instances compétentes en matière de secret d’accueillir avec prudence les demandes des autorités de protection de l’adulte. Il semblerait en particulier judicieux qu’elles recueillent les déterminations du praticien concerné, puis statuent en préservant les intérêts du patient, puisque le médecin n’est plus en mesure d’y veiller.
III. La levée du secret en cas de danger
Le lien thérapeutique fait du médecin un observateur privilégié de la santé, notamment mentale, de son patient. De nombreuses dispositions légales exploitent ce rapport privilégié, notamment à des fins de prévention. Le nouveau droit de protection de l’adulte ne déroge pas à cette tendance, puisqu’il autorise la transmission d’informations confidentielles lorsqu’il existe « un réel danger qu’une personne ayant besoin d’aide mette en danger sa vie ou son intégrité corporelle ou commette un crime ou un délit qui cause un grave dommage corporel, moral ou matériel à autrui ». Dans cette hypothèse, les praticiens sont autorisés à communiquer les informations « nécessaires » à l’autorité (art. 453 al. 2 nCC). En d’autres termes, en cas de risque pour le patient ou un tiers, les praticiens sont déliés de leur obligation de confidentialité à l’égard des autorités de protection de l’adulte.
Le Conseil fédéral justifie cette solution par l’argument que, dans des situations « exceptionnelles », l’autorité de protection de l’adulte doit collaborer avec les « services concernés » [6] et la police, pour protéger « des tiers ou la personne ayant besoin d’aide ». Cette collaboration permettrait « implicitement un échange d’informations ». L’article 453 al. 2 nCC autorise dès lors les personnes soumises au secret professionnel à communiquer à l’autorité de protection de l’adulte les informations nécessaires [7]. La doctrine souligne également que cette possibilité est réservée à des situations « extraordinaires » [8].
Une levée du secret doit répondre à certaines exigences pour être valable. Elle doit en particulier être spécifique, afin que le patient puisse déterminer précisément l’étendue de la confidentialité. Toute libération du secret devrait ainsi définir clairement quelles informations sont transmises, à qui, quand et dans quel but.
La disposition susmentionnée ne respecte pas ces principes. D’une part, il est impossible de déterminer, sur la base du texte légal, dans quelles situations le secret est levé. De quel type de danger doit-il s’agir pour justifier la levée du secret ? Le praticien est-il appelé à dénoncer tout danger potentiel ou seul un danger immédiat ? S’il est question de danger imminent, de quel délai parle-t-on, soit quelques heures ou plusieurs jours ? En présence d’un risque hétéro-agressif, exige-t-on des menaces spécifiques ou des menaces générales sont-elles suffisantes ? Des victimes précises doivent-elles être visées ou un risque public satisfait-il aux conditions légales ? La disposition fédérale évoque un dommage corporel, moral ou matériel grave : selon quels critères un dommage est-il grave ? Et surtout, quand la prédiction est-elle possible ? En d’autres termes, quel est le barème qui permet à un praticien de constater l’existence d’un danger, et à partir de quel seuil sur l’échelle de la dangerosité le secret est-il levé ?
Quant aux indications à transmettre, le législateur indique simplement que ce sont les informations « nécessaires ». Quels renseignements satisfont à ce critère ? Le praticien doit-il révéler le diagnostic, le traitement mis en place, des indications sur la compliance au traitement ? N’est-il question que de données médicales ou le médecin peut-il communiquer des confidences qu’il aurait recueillies, par exemple au sujet d’infractions commises par le patient ? La disposition ne répond malheureusement à aucune de ces questions.
Quelle transparence pour le patient ?
Le nouveau droit a notamment pour vocation de « favoriser le droit de la personne de disposer d’elle-même » [9], soit de renforcer son autonomie. Or, chaque fois qu’une disposition organise la transmission d’informations confidentielles sans le consentement de l’individu, cette autonomie est mise à mal. Il est dès lors indispensable que les hypothèses dans lesquelles l’obligation de confidentialité s’efface soient définies précisément, afin de permettre au patient d’appréhender les limites du secret de la consultation. L’individu doit avoir une compréhension claire des mécanismes qui peuvent amener son médecin à le signaler à une autorité ou à transmettre à celle-ci des données recueillies dans le cadre de la consultation. Seule cette transparence lui permet de conserver les clés de son suivi et d’en maîtriser les contours. Les nouvelles dispositions ne satisfont pas à cette condition, ce qui crée une incertitude forcément préjudiciable au lien thérapeutique. La solution retenue est d’autant plus critiquable que des alternatives existent. Le législateur pouvait tenter de définir précisément les contours du signalement ou de l’obligation de collaborer, plutôt que d’adopter des concepts aussi vagues qu’une personne qui « semble avoir besoin d’aide » ou des informations « nécessaires ». Il était également possible de se reposer sur les mécanismes existants, qui habilitent chaque praticien à interpeller le médecin cantonal, au cas par cas, lorsqu’une situation semble requérir l’intervention de tiers ou que des données confidentielles sont sollicitées.
[1] Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6708.
[2] Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6708.
[3] Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6709.
[4] MEIER/LUKIC, Introduction au nouveau droit de la protection de l’adulte, Genève, 2011, p. 54.
[5] Arrêt non publié de la Ière Cour civile du Tribunal fédéral du 7 novembre 2006, 4C.111/2006, cons. 2.3.1.
[6] Soit « par exemple, les services sociaux et psychiatriques, l’aide aux victimes, les soins à domicile, le conseil en matière de dettes, l’institution de l’assurance sociale, les tribunaux, les autorités de poursuite et les autorités d’exécution des peines » Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6723.
[7] Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6722-6723.
[8] MEIER/LUKIC, Introduction au nouveau droit de protection de l’adulte, Genève, 2011, p. 66.
[9] Message concernant la révision du code civil suisse (Protection de l’adulte, droit des personnes et droit de la filiation), du 28 juin 2006, pp. 6635 ss, spéc. 6636.