Bouger, un défi pour les étudiant·es
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Les étudiant·es font face à la réalité de la sédentarité dans leur parcours académique, alors que son impact négatif est reconnu. Pour questionner ce défi de santé publique, deux Hautes écoles romandes ont mené un sondage exploratoire.
Par Mathilde Hyvärinen [1], collaboratrice Ra&D, Hayman Lotfy [1], [2], collaborateur Ra&D, et Jennifer Wegrzyk [1], professeure HES associée, Haute école de santé Vaud, Lausanne
Les recommandations en matière d’activité physique ont été révisées par l’Organisation mondiale de la santé en 2020 et comprennent désormais les activités sédentaires. Ces lignes directrices définissent un comportement sédentaire comme une activité prolongée avec une dépense énergétique faible et proche de celle du repos : le fait de rester immobile devant un écran par exemple (Bull et al., 2020). Il a été constaté que le risque de mortalité augmente à partir de six à huit heures par jour d’activité sédentaire et que ce comportement est associé à un risque accru de développer des maladies chroniques, indépendamment du niveau d’activité physique (Patterson et al., 2018). Par semaine, un·e adulte est donc encouragé·e à pratiquer entre 150 et 300 minutes d’activité physique d’intensité moyenne, effectuer deux fois des exercices de renforcement musculaire et limiter les activités sédentaires.
En Suisse, presque la moitié des personnes professionnellement actives reste assise six heures par jour ou plus, contre 42% des personnes sans activité professionnelle. Les adolescent·es et les jeunes adultes s’avèrent particulièrement sédentaires. En effet, 60% des 15 – 24 ans se tiennent assis au moins six heures par jour (Storni et al., 2019). De plus, la prévalence de la sédentarité est plus élevée chez les étudiant·es universitaires que chez les jeunes adultes non universitaires, et cette prévalence a augmenté au cours des dix dernières années (Castro et al., 2020). Ces constats s’avèrent inquiétants étant donné que les habitudes de vie acquises pendant la transition de l’adolescence à l’âge adulte présentent plus de probabilité d’être maintenues jusqu’à la fin de la vie (Gordon-Larsen et al., 2004).
Dans les Hautes écoles spécialisées, les moments prolongés en position assise rythment la majorité des journées des élèves. La plateforme Ingénierie-Santé [3] a donc réalisé un sondage exploratoire [4] intitulé « Promotion de l’activité physique au sein de la HES-SO : développer une application mobile pour les enseignant-e-s et les étudiant-e-s » (Maillefer, 2022). Dans ce cadre, un questionnaire en ligne a été envoyé aux 1’114 étudiant·es en Bachelor de HESAV et 1'608 de la HEIG-VD en 2022. Les objectifs étaient d’estimer leur temps quotidien total passé à réaliser des activités sédentaires et celui de marche.
Constat du niveau élevé de sédentarité
Sur les 517 étudiant·es ayant participé à l’étude (soit un taux de participation de 19%), 52% étaient des femmes et 48% des hommes. La tranche d’âge la plus représentée était celle des 18-24 ans (n=362), suivie par celle des 25-30 ans (n=120).
La majorité des participant·es (84%) a déclaré passer au moins six heures par jour à réaliser des activités sédentaires, tandis que seulement 16% y consacraient moins de six heures. Parmi les participant·es de HESAV, 73% ont affirmé passer au moins six heures par jour à réaliser des activités sédentaires contre 90% à la HEIG-VD (Figure 1).
Près de la moitié des répondant·es (53%) ont mentionné marcher trente minutes par jour ou plus. La majorité des sondé·es de HESAV (68%) marchaient plus de trente minutes par jour, alors que 56% des participant·es de la HEIG-VD marchaient moins de trente minutes par jour (Figure 2). De plus, 76% des étudiant·es interrogé·es déclaraient s’engager dans une activité physique de loisirs hors du temps scolaire. Cette tendance est relativement similaire pour les élèves des deux écoles (HESAV 81%, HEIG-VD 74%).
En ce qui concerne la satisfaction des participant·es vis-à-vis de l’offre en activité physique proposée par leur école respective, les résultats indiquent une répartition relativement similaire. À HESAV, une proportion de 55% d’entre elles et eux considèrent que l’offre proposée par l’école n’est pas satisfaisante, tandis que 21% sont neutres et 24% sont satisfait·es. À la HEIG-VD, 51% des personnes ayant répondu ne sont pas satisfait·es, 26% sont neutres et 23% sont satisfait·es.
La sédentarité estudiantine: un défi à relever
La majorité des participant·es des deux Hautes écoles a déclaré passer au moins six heures par jour en position sédentaire. De plus, près de la moitié d’entre eux et elles a annoncé marcher moins d’une demi-heure par jour. Il est intéressant de noter que les étudiant·es de HESAV tendent à avoir un niveau d’activité physique plus élevé et un temps de sédentarité plus faible que ceux et celles de la HEIG-VD. Ces constats correspondent à des études récentes au niveau international et national. Une étude a en effet relevé que les étudiant·es universitaires estimaient leur temps de sédentarité moyen à sept heures par jour (Castro et al., 2020). En comparant les mesures effectuées avec un accéléromètre, l’étude a révélé que ce temps de sédentarité quotidien s’élève en réalité à près de dix heures par jour. Les résultats concordent également avec les données des sondages en Suisse qui démontrent que 60% des 15 — 24 ans restent assis·es plus de six heures par jour (Storni et al., 2019).
Il est préoccupant de constater un niveau insuffisant de mouvement quotidien chez les étudiant·es, caractérisé par une sédentarité élevée et une faible durée de marche. Les recommandations internationales et nationales soulignent l’importance de bouger régulièrement au quotidien, par exemple en se levant, en montant les escaliers et en marchant trente minutes par jour (Bull et al., 2020 ; Office fédéral du sport OFSPO et al., 2022).
Les différences de comportement entre les sites peuvent être attribuées aux contenus des programmes d’études. En effet, les formations de Bachelor dans le domaine de la santé incluent davantage d’activités en mouvement lors des enseignements théoriques et des stages, qu’à la HEIG-VD. De plus, une partie des étudiant·es du Domaine Santé sont amené·es à discuter des recommandations en matière d’activité physique au cours de leur formation, ce qui pourrait favoriser et expliquer leurs comportements physiquement plus actifs.
Ces résultats permettent d’entrevoir des opportunités de mouvement que les établissements d’enseignement supérieur pourraient mettre en place de manière transversale. À HESAV, il a déjà été testé la réalisation de pauses actives pendant les cours théoriques, afin de favoriser la concentration et les apprentissages des étudiant·es tout en promouvant leur santé (Peiris et al., 2021). Par exemple, les élèves étaient incité·es à se lever grâce à un quiz actif composé de questions à choix multiples sur la théorie enseignée. Ils et elles utilisaient leur corps, en prenant une certaine position, pour y répondre. En plus d’identifier les aspects qui méritent d’être clarifiés, cette activité apporte un aspect ludique et dynamique aux enseignements théoriques.
En perspectives, des séances d’information sur les recommandations en activité physique pourraient être proposées, tout comme une application mobile pour limiter les moments prolongés d’inactivité physique spécifique à la vie estudiantine. Pour finir, l’intégration du programme de Campus Santé de la Fédération internationale du sport universitaire [5] semble être une piste intéressante pour développer un environnement propice à adopter un mode de vie sain et durable.
Une solution gagnant-gagnant
L’adoption de nouvelles habitudes actives au quotidien a un impact significatif sur la santé, surtout pour ceux et celles qui n’atteignent actuellement pas les recommandations en activité physique (Bull et al., 2020 ; Office fédéral du sport OFSPO et al., 2022). L’implémentation de mouvement en classe, telle que les pauses actives et l’apprentissage physiquement actif, peut soutenir les étudiant·es à adopter des comportements plus actifs pendant leur formation. Il a été démontré que ce type d’intervention se veut bénéfique à la fois pour la santé et la formation, entraînant une réduction de la sédentarité, de la fatigue, ainsi qu’une amélioration de la concentration et des apprentissages chez les étudiant·es universitaires (Lynch et al., 2022 ; Peiris et al., 2021).
La promotion d'environnements favorables à l'activité physique requiert donc une approche globale, allant au-delà de l'aspect structurel, en y incluant les pratiques des enseignant·es (World Health Organisation, 2019). Les Hautes écoles, conscientes de leur rôle, promeuvent des directives en faveur d’une santé durable. Actuellement, un déséquilibre persiste entre ces directives et un environnement scolaire qui reste peu propice à l'activité physique. Cependant, une réflexion sur les contenus d'apprentissage est déjà en cours, notamment grâce aux nouveaux programmes d'études cadres qui intègrent la promotion de la santé.
De plus, l’innovation pédagogique est soutenue pour challenger la manière traditionnelle d’enseigner. Un de ces projets [6] vise l'intégration systématique dans l’enseignement de la promotion de l’activité physique pour favoriser le bien-être global des étudiant·es et futur·es professionnel·les, ainsi qu’encourager la pratique professionnelle de la promotion de l’activité physique.
Références
- Bull, F. C., Al-Ansari, S. S., Biddle, S., Borodulin, K., Buman, M. P., Cardon, G., Carty, C., Chaput, J.-P., Chastin, S., Chou, R., Dempsey, P. C., DiPietro, L., Ekelund, U., Firth, J., Friedenreich, C. M., Garcia, L., Gichu, M., Jago, R., Katzmarzyk, P. T., … Willumsen, J. F. (2020). World Health Organization 2020 guidelines on physical activity and sedentary behaviour. British Journal of Sports Medicine, 54(24), 1451‑1462.
- Castro, O., Bennie, J., Vergeer, I., Bosselut, G., & Biddle, S. J. H. (2020). How Sedentary Are University Students? A Systematic Review and Meta-Analysis. Prevention Science, 21 (3), 332‑343.
- Gordon-Larsen, P., Nelson, M. C., & Popkin, B. M. (2004). Longitudinal physical activity and sedentary behavior trends. American Journal of Preventive Medicine, 27(4), 277‑283.
- Lynch, J., O’Donoghue, G., & Peiris, C. L. (2022). Classroom Movement Breaks and Physically Active Learning Are Feasible, Reduce Sedentary Behaviour and Fatigue, and May Increase Focus in University Students : A Systematic Review and Meta-Analysis. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(13), 7775.
- Maillefer, D. (2022). Promotion de l’activité physique au sein de la HES-SO : développer une application mobile pour les enseignant-e-s et les étudiant-e-s. Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), Haute École spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)
- Office fédéral du sport OFSPO, Office fédéral de la santé publique OFSP, Promotion Santé Suisse, Bureau de prévention des accidents bpa, Réseau suisse Santé et activité physique hepa., & Réseau suisse Santé et activité physique hepa. (2022). Recommandations suisses en matière d’activité physique. Bases. OFSPO.
- Patterson, R., McNamara, E., Tainio, M., de Sá, T. H., Smith, A. D., Sharp, S. J., Edwards, P., Woodcock, J., Brage, S., & Wijndaele, K. (2018). Sedentary behaviour and risk of all-cause, cardiovascular and cancer mortality, and incident type 2 diabetes : A systematic review and dose response meta-analysis. European Journal of Epidemiology, 33(9), 811‑829.
- Peiris, C. L., O’Donoghue, G., Rippon, L., Meyers, D., Hahne, A., De Noronha, M., Lynch, J., & Hanson, L. C. (2021). Classroom Movement Breaks Reduce Sedentary Behavior and Increase Concentration, Alertness and Enjoyment during University Classes : A Mixed-Methods Feasibility Study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(11), 5589.
- Storni, M., Stamm, H., & Lamprecht, M. (2019). Enquête suisse sur la santé 2017 Activité physique et santé. Office Fédéral de la Statistique.
- Weber, D. (2020). Rapport de base. Égalité des chances dans la promotion de la santé et la prévention en Suisse. Définitions, introduction théorique, recommandations pratiques. Promotion Santé Suisse (PSCH), Office fédéral de la santé publique (OFSP), Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS).
- World Health Organisation. (2019). Global action plan on physical activity 2018–2030 : More active people for a healthier world. Organisation Mondiale de la Santé, Licence : CC BY-NC-SA 3.0 IGO.
[1] Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV), HES-SO
[2] Haute Ecole d'Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), HES-SO
[3] Cette plateforme est portée par HESAV et la HEIG-VD
[4] Ce sondage a été effectué dans le cadre d’un travail de Bachelor proposé par HESAV et encadré à la HEIG-VD
Cet article appartient au dossier Sport et mouvement
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Mathilde Hyvärinen, Hayman Lotfy, et Jennifer Wegrzyk, «Bouger, un défi pour les étudiant·es», REISO, Revue d'information sociale, publié le 4 janvier 2024, https://www.reiso.org/document/11816