Du sport pour les personnes sans statut légal
Comment agir pour contrer la fragilité physique et psychique des migrant·e·s sans statut légal ? A Genève, une récente initiative interdisciplinaire propose des activités sportives. Les premiers résultats sont encourageants.
Par Cynthia Loureiro Soares1, Gaëlle Martinez1, Jean-Luc Rossier2, Stéphane Ciutad3 et Yves Jackson4
1. Assistant de projet et responsable projet, Permanences volantes, EPER
2. Haute Ecole de Santé de Genève
3. Programmes de la Forme
4. Médecin responsable, Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires; Hôpitaux universitaires de Genève
Les professionnels des structures socio-sanitaires de Genève ont constaté que de nombreuses personnes migrantes en situation de grande précarité ou d’isolement exercent peu d’activités physiques. Parallèlement, elles présentent souvent des problèmes de santé physique et psychique. Sur cette base, un projet de programmes sportifs, dont les bienfaits pour la santé sont reconnus, a vu le jour. Il a été établi en partenariat avec plusieurs structures socio-sanitaires genevoises : les Programmes de la Forme, la Haute Ecole de Santé (HEdS), la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires (HUG) et les Permanences volantes de l’Entraide protestante suisse. Cet article vise à mettre au jour l’intérêt de ce projet et les résultats observés sur ses bénéficiaires, en particulier en termes d’effets qualitatifs sur leur état de santé.
Les conditions économiques et psycho-sociales
L’état de santé général des migrants est considéré comme plus fragile en raison, entre autres, de la gravité des pathologies, du fait du retard du diagnostic et du traitement, et de l’importance de la souffrance psychosociale [1]. Nonobstant l’existence de structures socio-sanitaires gratuites et confidentielles, tout particulièrement adressées aux migrants sans statut légal (comme, par exemple, la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires), comment peut-on expliquer que la santé des migrants sans papiers soit ainsi fragilisée ?
Dans un premier temps, les conditions matérielles des migrants économiques ont une influence néfaste sur leur état de santé. Plus touchés par le chômage et occupant majoritairement des postes peu qualifiés et relativement pénibles, leur état de santé en pâtit. « L’influence sur la santé du statut socio-économique est aujourd’hui largement démontrée, quelques études canadiennes suggérant même une influence plus importante des conditions de vie et de travail sur la santé des migrants que sur celles des personnes nées au Canada » [2].
Dans un second temps, cette dégradation s’explique également par des difficultés d’accès aux soins vécus par cette population. Ces difficultés sont à la fois d’ordre institutionnel et individuel. Concernant les difficultés institutionnelles, elles résultent de la complexité des réglementations et du système de santé lui-même ; elles sont aussi juridiques du fait de la précarité du statut et, enfin, organisationnelles à l’intérieur des services de santé, avec la participation aux frais, le manque de formation et de coordination des professionnels auquel s’ajoute parfois un manque de motivation et de disponibilité pour traiter la globalité de situations socio-sanitaires complexes [3].
Quant aux difficultés individuelles, elles proviennent des « difficultés de compréhension manifestées par ces personnes immigrées par rapport aux codes d’accès et d’utilisation des structures, l’éloignement des centres de soins, l’expression des besoins de santé, les préoccupations centrées sur bien d’autres sujets que la santé et encore moins sur la prévention, sans parler de la complexité des situations individuelles, du manque d’information, de la peur de la dénonciation et des contrôles » [4].
Entraînement à la course et gym-physiothérapie
Selon une étude du Bureau de recherches bâlois, BSS Volkswirtschaftliche Beratung de 2015, environ 13'000 personnes sont sans-papiers à Genève. Et, selon les estimations du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs, « plus de 10'000 personnes sans autorisations de séjour travaillent dans les secteurs les plus précaires et les moins réglementés » [5]. Parmi elles, on y retrouve des individus tendant à présenter des difficultés à se soigner, ayant un moins bon état de santé général, présentant une certaine solitude et une activité physique diminuée.
Un réseau socio-sanitaire dédié spécifiquement à cette population existe dans le canton, regroupant des associations d’accueil, de soutien, d’information et de formation, ainsi que plusieurs services des HUG et de la HEdS. Lors de ces réunions, le manque d’activités physiques de ces personnes a souvent été évoqué comme un problème majeur. C’est pourquoi les Permanences volantes de l’EPER et la filière Physiothérapie de la HEdS se sont associées pour proposer deux programmes d’activité physique ayant pour objectif de promouvoir la santé, l’activité physique et le bien-être, de lutter contre la sédentarité et de permettre à ces personnes de se rencontrer, et, ainsi, de sortir de l’isolement dans lequel elles se trouvent parfois.
Le premier est constitué d’un cours de gymnastique animé par une assistante de formation et un étudiant physiothérapeute de la HEdS. Cette activité est ouverte, depuis l’automne 2012, dans une maison de quartier de la place. Après consultation auprès des personnes concernées, il est proposé, gratuitement, une fois par semaine. Le cours inclut un entrainement cardio, des exercices de renforcement et d’étirement musculaires, de coordination et de la relaxation. Il est fréquenté par 6 à 20 personnes selon les soirs, la plupart étant des femmes.
Le second est proposé depuis le printemps 2016. Il consiste en une initiation à la course à pied pour des personnes sédentaires. Il est animé par une coache qualifiée de l’association « Je cours pour ma forme », en collaboration avec une personne des Permanences Volantes. Une dizaine de personnes, essentiellement des femmes là aussi, y participent régulièrement. La plupart des personnes ayant suivi le premier cours ont décidé de poursuivre leur entraînement pour participer à la Course de l’Escalade en décembre 2016.
Les cours de gymnastique ont été évalués en 2015 par la HEdS, à travers un questionnaire aux participantes. Il en ressort qu’elles viennent essentiellement pour « faire du bien à leur corps », en particulier « renforcer et assouplir leurs muscles », ainsi « qu’apprendre à protéger leur dos ». Elles se disent tout à fait satisfaites du cours et certaines expriment une diminution de leurs douleurs.
Dans le cadre d’une évaluation externe menée en 2016 par une équipe de chercheurs de la Haute École de travail social [6], les deux programmes cités ont été pris en compte. Se basant sur l’analyse des observations de ces cours et des focus group menés avec les participants à ces activités ainsi qu’avec les animatrices, cette évaluation confirme les effets positifs de ces entraînements sur le bien-être des participants et sur leur état de santé général.
Les améliorations ressenties par les participant·e·s
Les participants à l’entraînement à la course affirment que suivre ces cours leur procure beaucoup d’énergie et un sentiment de bonheur, une meilleure respiration, une amélioration des problèmes de dos, une libération de leur sentiment de stress ainsi qu’une meilleure forme physique. Une personne a souligné que la course lui fait ressentir une amélioration de son bien-être psychologique, une autre que la course lui a permis de regagner confiance en elle après avoir traversé une grave période de dépression. Pour une autre encore, c’est grâce à la pratique de la course que son sommeil et sa faculté de concentration se sont améliorés.
Quant aux cours de gymnastique, les femmes qui le suivent ont souvent été encouragées à le faire par l’EPER et la Haute Ecole de Santé suite à un problème particulier. Elles espèrent améliorer leur forme physique, réduire leur stress et rencontrer d’autres personnes afin d’échanger et d’améliorer leur français. La physiothérapeute a constaté que les participant·e·s ont peur de reprendre certains mouvements et pensent qu’elles ne savent pas les faire, le cours les aide alors à reprendre confiance dans leur corps.
Finalement, au Service de médecine de premier recours, plusieurs patients du Dr Yves Jackson ont confirmé au médecin leur grand intérêt pour ces cours de sport et le plaisir qu’ils ressentent à y participer. Ils confient en ressentir un net avantage en terme de santé et de bien-être, tant du point de vue personnel, par une démarche active de « selfcare », que du point de vue social, dans un lieu d’échange avec des personnes vivant des problématiques similaires aux leurs. Dans le cas particulier d’une patiente souffrant d’hypertension, de cholestérol et de dépression qui a participé régulièrement à ces cours pendant plusieurs mois, le médecin a constaté chez elle une véritable amélioration de son état de santé. Présentant des taux de cholestérol plus bas et une meilleure tension, elle a pu arrêter son traitement médical.
Promouvoir la santé et réduire les inégalités
Ces activités sportives ont donc leur place dans une perspective de promotion de la santé et de réduction des inégalités face aux soins. Pour Gaëlle Martinez, responsable projet des Permanences volantes, ces activités sportives améliorent les conditions physiques des participants et, tout en s’inscrivant dans un projet similaire à la vie de milliers d’autres Genevois, elles offrent des lieux de rencontre et d’échanges avec d’autres personnes susceptibles d’avoir un parcours de vie et des expériences semblables, ce qui, de plus, a un effet bénéfique sur leur santé psychique.
[1] Comiti V.-P., Patureau J., « La santé des migrants en France : spécificités, dispositifs et politiques sanitaires », in : Santé, Société et Solidarité, n°1, 2005, pp. 129-137 p. 130.
[2] Jusot F., Silva J., Dourgnon P. et Sermet C., « Inégalités de santé liées à l’immigration en France : Effet des conditions de vie ou sélection à la migration ? », Revue économique, 2009, p. 1-2
[3] Comiti V.-P., Patureau J., « La santé des migrants en France : spécificités, dispositifs et politiques sanitaires », in : Santé, Société et Solidarité, n°1, 2005, pp. 129-137 p.130. La situation suisse n’est pas très différente de ce qui est décrit dans cette étude française.
[4] ibid
[5] Gakuba. Th.O et Mabillard, J., (2017), Evaluation du projet Permanences Volantes (EPER) pour la période 2013-2016 (rapport final). Genève. Haute Ecole de travail social de Genève. Dans les paragraphes suivants, les commentaires sur les activités sportives lancées à Genève sont tirés de cette étude.
[6] ibid
Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
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Cynthia Loureiro Soares, Gaëlle Martinez, Jean-Luc Rossier, Stéphane Ciutad et Yves Jackson, «Du sport pour les personnes sans statut légal», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 23 novembre 2017, https://www.reiso.org/document/2406