Des cercles d’écoute au service du bien-être social
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Si la relation aux autres est un facteur déterminant de santé mentale, l’écoute représente un moyen puissant de vivre ce lien à autrui. Un lien qui, par le fait d’être aimé·e et intégré·e à un réseau social, répond à un besoin indispensable.
Par Marie Torres, responsable communication, minds, Genève et Yaël Liebkind, directrice, La Main Tendue, Genève
« Nous sommes des animaux sociaux, sociables, fragiles et nous devons notre survie aux liens solidaires et d’entraide »
Comment consolider les liens qui unissent les êtres humains ? Si la pandémie et les crises successives fragilisent, elles révèlent aussi la solidarité dont est capable l’espèce humaine. Quoi qu’il arrive, hommes et femmes auront toujours besoin de lien social et d’empathie.
En parallèle, encourager à parler de ce qui ne va pas est un leitmotiv de la promotion de la santé mentale. Cependant, il ne se révèle pas toujours évident de trouver, en retour, une véritable écoute. Qu’elle semble anodine, ou qu’on la croie réservée aux psys, l’écoute est une vraie rencontre, un pont entre soi et l’autre.
Né de la crise sanitaire liée au coronavirus, le projet des Cerces d’écoute vise précisément à répondre aux nécessités de liens sociaux bienveillants dans la population genevoise. Porté par La Main Tendue Genève et l’Association minds, ce programme a également pour objectif de prévenir les effets psychosociaux des crises collectives qui touchent les sociétés de façon globale, et du stress qu’elles engendrent.
Qu’est-ce qu’un cercle d’écoute ?
Les cercles d’écoute sont libres d’accès et confidentiels. Dédiés à toutes et à tous, ils offrent la possibilité d’être écouté·e par un groupe de manière non-jugeante et inconditionnelle, et de pratiquer à son tour une véritable écoute.
Lancés en 2021, ces espaces gratifient la population genevoise de nombreux bienfaits et répondent à des objectifs multiples : offrir, d’une part, des espaces d’écoute accessibles ouvertement et, d’autre part, aider à prévenir les effets psychologiques et sociaux d’un contexte mondial inquiétant.
S’il représente donc un espace libre, un cercle d’écoute ne vise ni à prodiguer des conseils, ni à résoudre des problèmes. Ce n’est pas un lieu d’interaction, d’interpellation, ni de questions-réponses. C’est un endroit où l’on dépose, en toute sécurité et dans la bienveillance, ce qui se vit intérieurement ou éventuellement ce qui est blessé. Il est par ailleurs tout à fait possible de faire le choix de garder le silence.
Chaque cercle est conduit par un ou une modérateur·trice. Son rôle est d’accompagner les participant·e·s, sans pour autant aider ou dispenser des recommandations. En ce sens, cette personne n’est pas responsable du groupe.
Les multiples bienfaits de l’écoute
L’écoute et ses bienfaits sont à la portée de chaque individu. Cependant, c’est une compétence qui se pratique. L’écoute authentique, centrée sur la personne plutôt que sur le problème, ne s’improvise pas et n’est pas aussi naturelle qu’il y paraît. Approfondir cette aptitude, c’est faire le choix, en conscience, de créer un pont entre soi et l’autre. En fin de compte, cela signifie créer les conditions d’une véritable rencontre.
La formation « Les sens de l'écoute » [1] explore ces dimensions de l’être et de la rencontre avec l’autre, grâce à la mobilisation des cinq sens, auxquels s’en ajoute un sixième, celui de l'intuition. En effet, l’écoute, lorsqu’elle laisse une place à l’intuition et fait appel à l’ensemble des sens, représente une expérience puissante : elle donne un cap alors que tout paraît confus. Parler de ce qui est intime, en face de quelqu’un d’attentif, ancré, présent, aide à se réorienter, à retrouver un sens. A l'inverse, l’absence d'écoute désoriente et déboussole.
Après plusieurs décennies de formation à l’écoute par téléphone des bénévoles, La Main Tendue a constaté que l’écoute parfaite n’existe pas, et la technique idéale pour y parvenir non plus. Une attention véritable se déploie grâce à un ensemble de facteurs et de prédispositions. Elle est conditionnée par la capacité de chacun·e à se rendre disponible à l’autre et à la rencontre. L’écoute appartient donc à un moment unique et repose sur trois piliers interconnectés : un temps donné, un espace particulier et une présence singulière.
Il existe une croyance que l'écoute prend du temps, qu'en l'offrant, on s'expose au risque d'ouvrir la porte à un discours sans fin commençant par « lorsque j'étais petit... ». En réalité, lorsqu’elle est basée sur une présence attentive et intègre, elle donne la possibilité d’aller rapidement à l'essentiel, et la peur d'être envahi·e par l'autre se révèle infondée.
Les bienfaits de cette expérience puissante sont mesurés par l’Observatoire de minds avant et après chaque cercle, dans une démarche evidence based. Les résultats préliminaires globaux de cette étude indiquent d’ores et déjà que l’état émotionnel des participant·e·s s’est amélioré après leur participation à une rencontre.
Le soutien social, une ressource précieuse
Entre absence et retrouvailles, les liens entre les êtres ont été un sujet majeur pendant la crise sanitaire [2]. La situation a mis en lumière les différents bienfaits des relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales ou simplement de voisinage. Et si « les autres » s’avèrent être une ressource pour le bien-être psychologique, chaque individu représente également un soutien potentiel pour son entourage. Les cercles d’écoute concrétisent parfaitement ce besoin d’échange.
Tout le monde peut développer, au cours de sa vie, des compétences qui permettent d’être à l’écoute de soi et des autres, de s’entraider, d'être présent·e·s et solidaires. Développer et utiliser les supers pouvoirs des relations humaines, c’est avoir la capacité de se faire du bien et de faire du bien aux autres.
Expérimenter et mettre en pratique
minds et La Main Tendue proposent des sessions d’expérimentation des cercles d’écoute depuis plusieurs mois auprès des acteurs et actrices de terrain à Genève. Les objectifs sont multiples, à commencer par faire l’expérience de l’écoute active et tester les possibilités de mise en œuvre dans le tissu local genevois.
Lancés de manière officielle le 14 mars 2022 lors de la journée de l’écoute, les cercles d’écoute rencontrent progressivement leur public : plus d’une trentaine de cercles ont été expérimentés depuis mai 2021 à Genève. Un site internet dédié au projet a vu le jour en décembre 2021, avec le but de donner un maximum de visibilité à chaque initiative.
L’intérêt pour ces rencontres est, depuis lors, grandissant. Les deux associations continuent de proposer des séances d’expérimentation, mais aussi de former les personnes qui souhaitent créer et modérer leur propre cercle. Dans cette perspective, La Main Tendue a formé cette année plus d’une cinquantaine d’étudiant·e·s de la Haute école de travail social de Genève à la pratique et la méthodologie de ces pratiques.
Le réseau des cercles est aussi grand que le nombre de personnes qui le porte, et quiconque ayant expérimenté une rencontre peut à son tour devenir modérateur·trice. Les individus intéressés doivent alors participer à une séance d’information.
minds et La Main Tendue ont à cœur de proposer un cadre rassurant aux modérateur·trices en herbe et prévoient également des séances d’intervision afin de partager les expériences, ressentis ou de faire part d'éventuelles difficultés rencontrées.
Références
- Minds, « Les autres, c’est fantastique ! »
- Site dédié au projet des cercles d’écoute,
- Minds, « Les déterminants de la santé mentale », synthèse de la littérature scientifique
[1] Formation dispensée par La Main Tendue
[2] minds a consacré un dossier complet à l’importance de ces liens, intitulé « Les autres, c’est fantastique ! »
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Cet article appartient au dossier Intimité(S)
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Marie Torres et Yaël Liebkind, «Des cercles d’écoute au service du bien-être social», REISO, Revue d'information sociale, publié le 7 juillet 2022, https://www.reiso.org/document/9284