Jeunes et télévision : comment les accompagner ?
Dans les foyers pour enfants et adolescents en difficultés, la télévision a droit de cité. Comment l’équipe éducative réglemente-t-elle son utilisation collective ? Quelles réactions suscitent les films et les dessins animés ?
Par Margot Ekoli, travail de Bachelor à la Haute école de travail social – Fribourg
C’est à la suite d’une expérience vécue dans un centre d’accueil de jour pour enfants et adolescents en difficultés sociales, scolaires et/ou familiales de Moudon qu’est née l’idée de la recherche [1] présentée dans cet article.
Un matin, un garçon de 8 ans est arrivé particulièrement agité à l’accueil de jour. Il mimait des bruits d’explosion avec sa bouche ; il criait tout en se lançant sur les canapés. Cet événement a aussitôt suscité l’étonnement de l’équipe éducative. Une fois tranquillisé par l’intervention des éducateur·trice·s, l’enfant a expliqué qu’il avait reproduit une scène vue la veille à la télévision. Suite à cet épisode, l’équipe a décidé d’entrer en discussion avec la mère du garçon. Elle souhaitait obtenir davantage de renseignements sur le contenu des images visionnées par l’enfant. Elle a également décidé de réfléchir à son rôle d’accompagnement des jeunes dans leur rapport à la télévision.
La recherche s’est axée sur quatre points :
- La manière dont les professionnel·le·s voient leur rôle dans l’accompagnement des enfants autour des programmes télévisés et l’importance qu’ils y attachent.
- La manière dont ils et elles les accompagnent autour de la télévision.
- L’identification des ressources et moyens éducatifs autour du petit écran.
- La place de la télévision comme support éducatif.
Des entretiens qualitatifs ont été menés auprès de trois éducateurs et deux éducatrices travaillant avec des enfants et adolescents dans un centre d’accueil de jour et des foyers des cantons de Vaud et de Fribourg.
Les règles institutionnelles sur la télévision
Les cinq personnes ont évoqué les règles institutionnelles autour de la télévision en vigueur sur leur lieu de travail. Ces règles établies avant leur arrivée sont reformulées chaque année en compagnie des enfants et adolescents. Elles définissent d’abord le temps maximum de télévision permis pendant une journée. En moyenne, ce temps avoisine les trente minutes quotidiennes. Cependant, en cas de phénomènes particuliers, comme le Mondial de football ou des soirées-films, ce temps peut alors être rallongé.
Les trente minutes journalières ont été définies en fonction de plusieurs critères. En effet, au-delà de cette durée, les enfants parfois s’agitent ou ne parviennent plus à suivre ce qui se passe à l’écran. Lorsque la télévision est installée dans un lieu commun, les éducateur·trice·s vérifient le temps passé par chaque enfant devant le petit écran. Si elle est installée dans une pièce fermée, son accès est aussi clairement réglementé. Les enfants et les adolescents doivent formuler des demandes précises auprès des accompagnant·e·s. Précisons que, en ce qui concerne la télécommande, elle est en possession du personnel éducatif.
Deuxième règle institutionnelle stricte : le contrôle de l’âge autorisé pour visionner des films ou des émissions. Les personnes interrogées sont attentives à ce critère et se renseignent sur les âges conseillés pour les films aux travers de sites internet ou sur les pochettes de films.
Des images et des questionnements
Chaque éducateur·trice a vécu une ou plusieurs expériences liées à ce que regardent les enfants. Un questionnement est apparu régulièrement chez les plus jeunes, âgés de 6 à 9 ans : ils se demandent ce qui est réel et ce qui ne l’ai pas dans les images visionnées. Pour les préadolescents et les adolescents, une question récurrente concerne la téléréalité. Certains jeunes adorent ce type d’émission ; ils pensent et rêvent d’y participer plus tard. Les travailleuses et travailleurs sociaux ont constaté qu’ils peinent à se rendre compte qu’il s’agit d’une vision éloignée de la réalité.
Des thèmes complexes apparaissent dans des émissions ou des films télévisés et les enfants n’hésitent pas à en parler. Des images les amènent parfois à poser des questions sur le racisme, la pauvreté ou encore la sexualité. Bien souvent, ces interrogations ressortent directement lors du visionnage des images. Parfois, elles sont évoquées un peu plus tard, lors d’un moment plus intime : le coucher des enfants par exemple.
Du côté des expériences positives vécues par les enfants face à la télévision, les éducateur·trice·s mentionnent justement ces thèmatiques du racisme ou de la pauvreté qui apparaissent dans des films et suscitent des discussions intéressantes. Les échanges qui suivent sont riches et formateurs pour les jeunes. Mais la télévision génère aussi des expériences négatives. C’est le cas quand des enfants ont regardé un contenu non-approprié à leur âge. Ils profitent du moment du coucher pour se confier et livrer leurs craintes au personnel éducatif. Il ressort aussi que l’identification des enfants à des personnages peut s’avérer problématique. Dans certaines circonstances, des enfants perdent un peu le contact avec la réalité. Mais plus généralement, les personnes interrogées repèrent un aspect positif à la télévision ainsi réglementée parce qu’elle aide les enfants à mieux appréhender le quotidien, à apprécier et à valoriser les caractères de certains personnages fictifs.
Entre loisir et outil éducatif
Les cinq professionnel·le·s perçoivent la télévision comme un loisir avant d’être un outil éducatif. Concernant le contenu, l’intérêt des adolescents pour la téléréalité est revenu de manière récurrente, avec ses leurres et ses dangers. A propos des dessins animés, les éducateur·trice·s pensent que certains d’entre eux ont un contenu sans intérêt, remplis d’images de bagarres qui suscitent souvent une certaine excitation chez les enfants. L’intuition et l’expérience ont une grande importance dans le choix des films, des émissions et des dessins animés. En effet, même si un film est considéré comme adapté à « tout public », il peut offrir de mauvaises surprises. Les travailleuses et travailleurs sociaux veillent à visionner les films avant les jeunes afin de s’en faire une idée précise.
Finalement, la recherche a démontré que les personnes travaillant avec des enfants les accompagnent en s’appuyant sur plusieurs critères. Il y a le temps quotidien maximal de télévision, la cohérence entre le contenu du film et l’âge des jeunes. De plus, les éducateur·trice·s incitent les enfants à leur montrer ce qu’ils visionnent et entrent en dialogue avec eux sur les contenus. Comprendre les raisons pour lesquelles les jeunes cherchent à voir tel ou tel film permet d’aller à leur rencontre et d’entrer en relation. Aussi, les professionnel·le·s perçoivent-ils leur rôle comme celui d’accompagnant·e·s capables de répondre aux questionnements des enfants et d’aménager au besoin des espaces de discussion.
Bibliographie sélective :
- Bach, J., Houdé, O., Léna, P. & Tisseron, S. (2013). L’enfant et les écrans - Avis de l’Académie des Sciences. Paris, France : Le Pommier.
- Frau-Meigs, D. (2011). Socialisation des jeunes et éducations aux médias. Toulouse, France : Érès.
- Henno, J. (2004). Les enfants face aux écrans. Pornographie : la vraie violence. Paris, France : SW-Télémaque.
- Ottavi, D. & Dufour, D. (2011). L’enfant face aux médias : quelle responsabilité sociale et familiale ? Bruxelles, Belgique : Fabert.
- Tisseron, S. (2013). 3-6-9-12 : Apprivoiser les écrans et grandir. Toulouse, France : Érès.
[1] Ekoli M. (2015), « Non mais allô quoi ! T’as vu ce que tu regardes ? Autour de la télévision : quel est l’accompagnement pour les enfants au sein des foyers ? ». Travail de Bachelor, non publié. Haute Ecole de travail social, Fribourg, Suisse.