Développement durable, santé et droits de l’enfant
Pour améliorer de manière durable la santé et le bien-être des enfants, il est nécessaire d’articuler travail clinique, prévention, promotion de la santé et mesures structurelles. Comment construire ce cadre ?
Par Andrea Lutz, assistant d’enseignement et de recherche, Centre interfacultaire en droits de l’enfant, Université de Genève (Valais Campus), Dr Olivier Duperrex, responsable de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire du canton de Vaud, chargé d’enseignement à l’Institut de santé globale, Université de Genève [1]
En 2015, la communauté internationale s’est dotée d’un nouveau programme pour le développement, en adoptant 17 objectifs de développement durable visant à améliorer les conditions de vie des êtres humains à l’échelle de la planète et à faire face aux grands enjeux humanitaires de l’époque contemporaine, avec pour horizon l’année 2030 [Nations Unies 2015] [2].
Ce sujet a été choisi comme thématique principale de la 33e réunion annuelle de la Société internationale de pédiatrie sociale et de santé de l’enfant [3]. Le comité d’organisation a voulu lancer un défi aux professionnels de la santé et de l’enfance, en leur demandant de réfléchir aux liens qui peuvent être tissés entre la réalité locale de leurs pratiques et les enjeux globaux et internationaux qui touchent à la santé et au bien-être des enfants dans le monde. Ce colloque a réuni plus d’une centaine de professionnels du monde entier (29 pays), travaillant dans des multiples champs disciplinaires (médical, paramédical, droit, psychologie, travail social, études du développement) et secteurs d’activité (public, ONG, privé, académie) en lien avec la santé et le bien-être des enfants. Il a été conçu comme un lieu d’échange multidisciplinaire ouvert sur l’international [4].
Une approche globale de la santé de l’enfant
Dans la perspective de la pédiatrie sociale [Spencer et al. 2005], la santé de l’enfant est toujours pensée en relation avec le contexte social, environnemental, scolaire et familial dans lequel évolue l’enfant. Elle articule des aspects de traitement, de prévention, de promotion de la santé et de santé publique. La pédiatrie sociale part donc d’une définition holistique et multidisciplinaire de la santé de l’enfant, qui tient compte de ses déterminants sociaux. Plus globalement, elle questionne la manière dont les collectivités et les communautés politiques, de par leurs actions et interventions, influencent la santé et le bien-être des enfants.
Puisqu’elle fait rentrer des dimensions contextuelles dans ses réflexions sur la santé de l’enfant, l’approche de pédiatrie sociale touche à des débats politiques et de société, liés au vivre ensemble, au partage des ressources, à la non-discrimination et au respect des droits humains. Elle s’engage dans des questionnements à valeur globale et universelle. C’est ici que les objectifs de développement durable trouvent leur place. En tant qu’instruments de bonne gouvernance internationale, ces objectifs visent à créer des sociétés plus égalitaires, plus équitables et plus justes, où les enfants, au même niveau que les adultes, peuvent vivre dignement et voir leurs droits humains réalisés [Nations Unies 1989].
Dans leurs pratiques quotidiennes, les professionnels de la santé et de l’enfance sont parfois confrontés au sentiment que les situations auxquelles ils doivent faire face dépassent leurs compétences et le pouvoir d’action que leur confère leur profession. Le travail en réseau et en équipes multi-professionnelles constitue un premier élément de réponse, mais n’est de loin pas la solution à tous les problèmes. Pour améliorer de manière durable la santé et le bien-être des enfants, il est nécessaire d’agir sur plusieurs niveaux, en articulant travail clinique, prévention, promotion de la santé et mesures structurelles. La question qui se pose est cependant de savoir comment le lien entre ces différents niveaux d’action peut être construit. Quel est le rôle des professionnels de la santé et de l’enfance dans cette articulation ? A travers quels moyens et quelles ressources ce travail peut être réalisé ? C’est autour de ces questions que se sont construites les discussions du colloque ISSOP 2015, avec pour fil rouge le programme de développement durable post-2015.
Qu’est-ce que le développement durable ?
Les Objectifs de développement durable (ci-après ODD) sont des instruments que les Nations Unies et les chefs des gouvernements du monde entier ont adoptés dans le but d’orienter et coordonner leurs politiques à partir de principes communs de gouvernance visant à favoriser le développement et l’épanouissement de tous les êtres humains dans le respect de la planète. Ils s’inscrivent dans une logique de continuité avec les 8 Objectifs du millénaire pour le développement (qui ont valu pour la période 2000-2015). Les nouveaux objectifs souhaitent pourtant retravailler et élargir l’action dans un programme plus ambitieux et universel et ne plus s’appliquer qu’aux pays du Sud. Les ODD comprennent les 17 objectifs suivants :
- éliminer la pauvreté ;
- éliminer la faim ;
- favoriser la santé et le bien-être pour tous ;
- donner accès à l’éducation à tout le monde ;
- favoriser l’égalité des sexes ;
- garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement ;
- garantir l’accès aux services énergétiques ;
- promouvoir la croissance économique et le travail décent ;
- soutenir l’industrie, l’innovation et l’infrastructure ;
- réduire les inégalités entre pays et au sein des pays ;
- créer des environnements urbains ouverts, sûrs et durables ;
- établir des modes de consommation et de production durables ;
- lutter contre les changements climatiques ;
- conserver la vie et les ressources marines ;
- protéger les écosystèmes terrestres ;
- promouvoir la paix et la justice ;
- renforcer le partenariat mondial pour le développement durable.
L’une des nouveautés principales des ODD est d’avoir été élaborés selon un processus démocratique à travers la consultation de différents acteurs de la société civile (auparavant, le processus était uniquement interne aux Nations Unies). Cela a permis de développer un programme davantage inclusif, consensuel et universel. Ils ont en outre renforcé l’accent mis sur les droits humains, en mettant en avant des notions telles que l’équité, la non-discrimination, l’égalité entre les sexes, la paix et la justice.
En matière de santé (objectif 3), la focale demeure centrée sur (3.1) la santé des mères, (3.2) des nouveau-nés et des enfants de moins de 5 ans et (3.3) les maladies transmissibles. D’autres problématiques sont cependant aussi mises en avant, telles que (3.4) les maladies non-transmissibles, la santé mentale, (3.5) l’abus de substances, (3.6) les accidents, (3.7) la santé sexuelle et reproductive et (3.9, 3.d) les facteurs de risque. La perspective des droits humains est également très visible dans la manière de conceptualiser la santé et le bien-être, puisque les ODD souhaitent amener (3.8) un accès équitable et universel aux systèmes de santé, en veillant à protéger les personnes les plus vulnérables et démunies.
Les 17 objectifs qui composent le programme sont conçus comme strictement interdépendants. En matière de santé, cela signifie que pour réaliser l’objectif 3, à savoir « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge », il est nécessaire d’agir également au-delà du secteur de la santé, en prenant en compte l’ensemble de ses déterminants, à travers les 16 autres objectifs de développement durable.
Enjeux de traduction et de mise en œuvre
En adoptant le programme de développement post-2015, les gouvernements des différents Etats du monde se sont engagés à mettre en place des mesures concrètes pour atteindre les objectifs définis. Plusieurs d’entre eux ont été repris par le Conseil fédéral dans sa Stratégie pour le développement durable 2016-2019 annoncée par communiqué de presse le 27 janvier 2016 [Conseil fédéral, 2016]. Pour faciliter ce processus, les Etats peuvent avoir recours à la coopération internationale, telle que définie dans l’objectif 17. Ce partenariat permet aux pays les plus démunis en ressources de bénéficier d’une aide extérieure.
A l’échelle nationale et locale, la question qui se pose à présent est de savoir quels acteurs sont responsables d’effectuer la mise en œuvre des objectifs de développement, avec quels moyens et quelles stratégies d’action. Les discussions qui ont eu lieu dans le cadre du colloque ISSOP2015 ont permis de constater qu’il existe une volonté claire de la part des professionnels de la santé et de l’enfance de s’investir dans ce programme et d’être impliqués dans le travail de traduction du développement durable dans les pratiques de terrain.
Pour faire cela, il est cependant nécessaire de disposer de ressources pédagogiques pour former et sensibiliser les professionnels à la problématique du développement durable et des droits humains. La mise en œuvre des ODD doit passer par la collaboration entre les différents secteurs de la société et l’articulation entre niveaux d’action publique (clinique, prévention, promotion de la santé, mesures structurelles). Elle doit également favoriser la participation de la société civile, y compris des enfants et des jeunes. De plus, il y a un besoin urgent de développer des indicateurs et des mesures quantitatives et qualitatives fiables pour évaluer les actions entreprises en faveur de la santé et du bien-être des enfants, en tenant compte de leurs différentes temporalités.
[1] Les deux auteurs s’expriment au nom du Comité d’organisation de ISSOP2015.org
[2] Références citées
- Conseil fédéral suisse. Stratégie pour le développement durable 2016-2019. Confédération suisse ; 2016. Disponible en ligne. Consulté le 17.03.2016. Voir aussi le communiqué de presse du Conseil fédéral du 27 janvier 2016, en ligne. Consulté le 17.03.2016.
- Nations Unies. Assemblée Générale 1989. Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Disponible en ligne. Consulté le 17.03.2016.
- Nations Unies. Assemblée Générale 2015. Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Disponible en ligne. Consulté le 17.03.2016.
- Spencer N, Colomer C, Alperstein G, Bouvier P, Colomer J, Duperrex O, et al. Social paediatrics. J Epidemiol Community Health. 2 janv 2005 [cité 7 sept 2015] ;59(2):106 8. Disponible en ligne. Consulté le 17.03.2016.
[3] Colloque ISSOP2015, du 7 au 9 septembre 2015 à Genève, intitulé Objectifs de développement durable (post-2015) : une opportunité pour la santé de l’enfant et les droits de l’enfant. L’organisation du colloque a été pilotée par le Comité romand de pédiatrie sociale, avec l’aide et le soutien de l’Institut de santé globale (Faculté de médecine, Université de Genève), du Centre interfacultaire en droits de l’enfant (Université de Genève), de l’Institut international des droits de l’enfant, du Canton de Vaud, de la Consultation santé jeunes (Hôpitaux universitaires de Genève), et de l’Intercultural Network for Development and Peace.
[4] Plusieurs informations et ressources sont accessibles depuis la page web du colloque : bibliographie thématique, fichiers PPT/PDF des présentations des intervenants principaux, enregistrements vidéos des séances plénières, ensemble des abstracts.