Des ateliers philosophiques pour les enfants
C’est peu dire que les enfants se posent des questions existentielles sur la vie, la mort, la peur. Des ateliers leur donnent un espace pour construire leur propre pensée.
Par Julie SCHNYDRIG, adjointe de direction, Isabelle KOVACS, adjointe de direction ; Maryjan MAITRE, responsable, Eveil culturel et artistique ; Emmanuelle PSZOLA, directrice, Madeleine des Enfants, et Suzanne STOFER, collaboratrice scientifique, Service de la petite enfance de la Ville de Genève
« Il ne reste qu’à attendre que la semence germe. Avec assez d’eau et de lumière et d’air, un arbre puissant poussera, la terre étant riche en substances nutritives. En voulant mettre trop d’engrais, on tuerait la plante qui est en train de grandir. » [1]
Fruit de la rencontre entre la philosophie et la psychanalyse, les ateliers philosophiques menés dans « l’atelier franco-allemand pour une vie créatrice » ont vu le jour à Berlin [2]. Clara Welten a projeté sa pensée, enracinée dans l’esthétique de l’existence de Foucault et dans la théorie critique, sur le développement des enfants. Elle constate alors qu’ils adorent conquérir leur espace, ils aiment tester le monde qui les entoure, jeter un regard sur lui, l’interroger.
L’idée des ateliers philosophiques est partie de trois postulats et/ou réflexions. A proprement parler, ne rien faire n’existe pas. L’espace mental est toujours rempli d’idées qui ne peuvent que se développer, à condition évidemment de ne pas intervenir. Et c’est dans l’inaction que l’individu peut ressentir ce qui l’anime, laisser aller sa pensée et la construire.
Deuxièmement, l’expérience montre que les enfants se posent les mêmes questions que les adultes, mais à leur manière : les enfants se préoccupent de la vie, de la mort, de la peur, des soucis. Eux aussi cherchent des réponses. Les ateliers philosophiques permettent aux enfants de découvrir qu’ils ne sont pas les seuls à avoir ces questions. Cette communauté d’interrogations permet à l’enfant de se sentir en confiance. Or la confiance est à la base de la créativité. Seul celui qui a confiance en lui a le courage d’être lui-même, de penser jusqu’au bout, de faire valoir son avis, de le défendre, de l’assumer.
La troisième raison qui a incité à créer ces ateliers philosophiques est presque pédagogique. Il est en effet constaté que les adultes, les parents, ont de moins en moins le temps de répondre aux questions existentielles souvent posées avec insistance par les enfants. Par ailleurs, il existe moins de réponses stéréotypées, inspirées et/ou dictées par les religions (« c’est Dieu qui fait ça », « grand-maman est partie au ciel », etc.). Selon Clara Welten, l’adulte aujourd’hui n’est plus autant empli de croyances et est en quête de vérité, il a donc de la peine à répondre aux questions entières de l’enfance, puisque lui-même n’a pas forcément la réponse.
Un espace adéquat, mais surtout du temps…
Les ateliers philosophiques accueillent des groupes d’une quinzaine d’enfants au maximum, dès l’âge de 4 ans, accompagnés de leur éducatrice. Ils durent environ 60 minutes. L’espace est aménagé de manière confortable. Il s’agit de transmettre un sentiment de sécurité qui, comme explicité plus haut, est source de confiance et donc de créativité.
La méditation. Elle ne dure que quelques minutes, au début de la séance. Comme il n’est pas évident d’amener des enfants à se mettre dans cette situation de silence et de calme, cette méditation est accompagnée et le silence est initié par l’animatrice de l’atelier. Pour ce faire, elle décrit une image, comme par exemple une feuille qui tombe, des nuages qui passent dans le ciel, un champ fleuri, etc. Les enfants sont assis en tailleurs et ferment les yeux. Ils se laissent aller dans leurs images intérieures. Tous les enfants se calment, même les plus turbulents, en début de séance.
Le récit. Le sujet à aborder est amené à travers la narration d’une fable. Les thématiques peuvent porter sur différents sentiments comme le pardon, la peur, l’amour, l’amitié, la mort, la naissance, etc.
La peinture. Après avoir médité et écouté l’histoire, les enfants se mettent à peindre. 25 minutes se sont déjà écoulées, 25 minutes très intenses, de silence et d’images intérieures. Une feuille blanche et des crayons se trouvent à portée de main. Dans cette transition vers l’action, les enfants commencent à gazouiller, ils se détendent, puis rapidement redeviennent silencieux, spontanément. Pourtant, la qualité du silence n’est plus la même, elle est moins profonde, plus active, productive. Les enfants se concentrent.
La parole s’impose. Lorsque le silence est égal à la réflexion, lorsque la pensée créatrice se reproduit dans le dessin, le mot est en train de se former, les pensées se matérialisent. Les enfants sont maintenant prêts à formuler leurs questions, à se souvenir du récit, à concrétiser leurs pensées. Elles jaillissent spontanément, chacun veut parler en premier.
C’est dans cette dernière partie d’environ 15 minutes, que les enfants prennent conscience du thème évoqué. Chacun a droit à la parole et exprime ce qu’il a dessiné, y compris les adultes présents.
L’atelier s’arrête là. Aucune réponse à proprement parler n’est donnée aux enfants, mais à travers le dialogue, l’écoute des interrogations des autres, l’enfant construit sa propre pensée, ne se sent plus seul, mais légitime dans sa réflexion au monde.
Même si ces ateliers philosophiques sont proposés à des enfants dès l’âge de 4 ans, cette démarche implique un certain nombre de questions généralisables à la petite enfance, et pourquoi pas quelques pistes pour l’accueil des tout-petits. Le temps, la place du silence et son importance dans la construction de la pensée de l’enfant peuvent être donnés, suite par exemple à la lecture d’un livre, suite à un spectacle.
Ce genre d’activités suggère en effet à l’enfant un certain nombre de pensées, de réflexions, d’interrogations. Il est important de lui laisser le temps de conscientiser ces informations, de pouvoir ressentir les émotions que cela lui a procuré, de les comprendre, puis de les exprimer ou non. Toute la réflexion autour de l’éveil culturel et artistique chez les tout-petits est axée d’ailleurs autour de cette liberté et du temps à disposition, que ce soit dans la réception de l’art, son assimilation ou sa production par l’enfant.
Il est alors légitime de se poser différentes questions au sujet de l’apprentissage des enfants :
- Est-il nécessaire de les submerger constamment avec de nouvelles activités pédagogiques, planifiées, dirigées et orientées vers un but défini par l’adulte ?
- Que se passe-t-il lorsque les enfants ne font rien ? L’ennui, l’inactivité sont-ils aussi importants que les activités que l’on peut leur proposer pour le développement de l’estime de soi ? Comment l’adulte ou le professionnel peut-il se positionner dans les activités proposées à l’enfant. Quand, comment à quelle fréquence, pourquoi doit-il intervenir ou ne pas intervenir ? Comment justifier sa pratique, sa formation auprès des parents, des médias, etc. lorsqu’on ne « fait rien » ?
- Quelle est la clé ? Le temps ? Il est certain que le temps permet aux enfants de se découvrir, de faire la différence entre les différents sentiments qui les animent, apprendre à identifier l’ensemble de leurs émotions et comprendre que chacun d’entre eux a une bonne raison d’être.
Ce n’est qu’ensuite qu’ils apprendront à doser ces émotions dans la collectivité. Les règles comportementales ou sociales commenceront à se concrétiser et à s’exprimer chez eux.
[1] C. Welten, communication au colloque petite enfance « Et si on jouait à rien ? », 18 novembre 2011.
[2] Article repris de la revue Les cahiers pédagogiques, Service de la petite enfance de la Ville de Genève, N° 1, « Et si on jouait à rien », Genève, 2012, 38 pages. Télécharger le cahier en format pdf (7.8 Mo) :