La formation, un réel enjeu d’équité en santé
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Les personnes LGBTIQ+ restent défavorisées en matière d’accès aux soins, notamment par crainte d’être pathologisées. La clé d’une meilleure équité réside dans la formation des professionnel·le·x·s.
Par Nath Weber, psychologue, psychothérapeute en pratique indépendante avec des adultes LGBTIQ+, et formateurice-superviseureuse sur les questions de justice sociale
Nous savons depuis des décennies que les personnes LGBTIQ+ [1] (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, intersexes, queers, en questionnement) souffrent davantage dans leur santé mentale (anxiété, dépression, addictions, pensées suicidaires) que la population générale (Eisner et Hässler, 2024). Ceci n’est pas dû à une défaillance interne intrinsèque, mais à la structure sociétale, pensée par et pour les personnes cisgenres [2] et hétérosexuelles. Pour les personnes concernées, ce cishétérocentrisme transmet le message qu’elles sont anormales et n’ont pas leur place dans cette même société (Dayer, 2017). Il leur est ainsi difficile d’y évoluer sereinement, y compris dans le domaine des soins, dans lequel les préjugés et les discriminations ont aussi court.
Les soignant·e·x·s [3] ont un rôle important à jouer. Ielxs portent la responsabilité d’ajuster leurs théories et leurs pratiques pour être au plus proche des réalités des personnes LGBTIQ+ et répondre à leurs besoins de santé. Cet article se propose d’ouvrir un éventail d’options en guise de base de réflexion.
Un des freins les plus importants dans l’accès des personnes LGBTIQ+ au domaine des soins est la peur de ne pas être traité·e·x correctement, voire d’être pathologisé·e·x. Ces craintes les amènent bien souvent à éviter d’aller consulter, péjorant encore davantage leur état de santé. Cette peur d’être pathologisé·e·x trouve ses racines à la fois dans l’Histoire récente — rappelons que l’homosexualité n’a été retirée de la Classification Internationale des Maladies qu’en 1990, et que le débat est encore en cours en ce qui concerne la transidentité —, ainsi que dans les pratiques actuelles des soignant·e·x·s dont beaucoup n’ont pas été correctement formé·e·x·s à leur accueil. Par exemple, il est encore rare de se voir demander le pronom et les accords par lesquels on souhaite être désigné·e·x, ce qui permettrait pourtant à chacun·e·x, et en particulier aux personnes trans et/ou non-binaires de se sentir mieux accueillies, sans devoir prendre la responsabilité et le risque de corriger lae soignant·e·x (Lexie, 2021).
La formation : un levier central
Il est crucial que les professionnel·le·x·s de la santé et du social se forment aux enjeux rencontrés par cette population, pour en comprendre le vocabulaire, le vécu et les besoins. Afin d’ajuster encore mieux les accompagnements, il est aussi important de prendre en compte les nombreuses zones d’intersection entre cette communauté et d’autres thématiques, telles que la neurodivergence, les addictions, ou les troubles alimentaires.
Une formation adéquate et complète contribue également à déconstruire certains préjugés et idées reçues menant par exemple à supposer la physiologie ou l’identité de genre d’une personne en se basant sur son expression de genre. Cet « automatisme » peut se révéler particulièrement problématique dans le domaine des soins, qu’ils soient somatiques ou psychiques. En se formant, les professionnel·le·x·s évitent ainsi de faire porter aux personnes LGBTIQ+ la charge pédagogique, c’est-à-dire la responsabilité d’éduquer à leurs réalités et d’apprendre à autrui comment bien les traiter.
De plus, il est essentiel de pratiquer un examen approfondi des théories de référence appliquées dans la pratique professionnelle. Une telle démarche contribue à identifier si ces références contiennent des fondamentaux menant inconsciemment à tenter de re-normaliser les corps et/ou les esprits des personnes LGBTIQ+, même sans intention néfaste : les préjugés peuvent malheureusement se situer au sein même des modèles d’intervention (Tilsen, 2021). Il s’agit par exemple de théories qui, plus ou moins explicitement, considèrent que le développement normal d’un·e·x individu résulte en une identité cisgenre et hétérosexuelle. De tels modèles impliquent que toute variante est considérée comme une déviation, voire une déviance, avec les jugements de valeurs et les pratiques de conversion qui peuvent en découler. Il incombe alors aux professionnel·le·x·s de développer des théories et des pratiques ajustées aux personnes telles qu’elles se présentent, avec pour objectif de les soutenir dans leur évolution propre, tout en prenant en compte les facteurs sociétaux défavorables auxquelles elles doivent faire face.
Beaucoup des modèles d’intervention ne préparent pas correctement à considérer le contexte de vie d’une personne au sens large, au-delà de son cercle familial voire amical. Or, comme cela a été évoqué plus haut, la société actuelle crée des souffrances chez les personnes LGBTIQ+, dont il est capital d’identifier correctement l’origine, afin de ne pas pathologiser des réactions compréhensibles. L’approche narrative, qui s’inscrit dans le courant du constructionnisme social et s’inspire des idées poststructuralistes, s’avère d’une aide précieuse dans cette tâche. En effet, elle place au centre de son champ d’observation et d’action les impacts qu’ont sur chacun·e·x les discours dominants qui peuplent la société et auxquels nous sommes constamment exposé·e·x·s (Tilsen, 2021). En considérant les souffrances des personnes minorisées comme des réactions normales à une société visant à les normaliser par le biais d’injonctions et d’oppressions omniprésentes et omnipuissantes, l’approche narrative vise à re-dignifier les personnes, leur permettant ainsi de se raconter et donc de se vivre différemment (Weber, 2024).
Mieux communiquer pour faciliter l’accès aux soins
Un deuxième axe pour améliorer l’accès aux prestations de soins est de communiquer plus ouvertement et plus efficacement sur la façon de travailler : méthode, théories, déroulement de la séance, résultats espérés, etc. Il s’agit alors de prendre en compte les dynamiques de pouvoir inhérentes à une relation thérapeutique, lesquelles sont particulièrement ressenties par les personnes minorisées. Cette façon de pratiquer leur permet de se sentir considérées comme des interlocuteurices légitimes, et contribue à lever au moins une partie de la méfiance qu’elles peuvent éprouver. De plus, cette approche aide les professionnel·le·x·s à se trouver pleinement en relation avec les personnes accompagnées, leur assurant alors de leur indispensable consentement libre et éclairé.
Il est également très rassurant et soulageant pour les personnes concernées que leurs soignant·e·x·s indiquent explicitement leur ouverture à l’accompagnement de la communauté LGBTIQ+, voire leur formation dans le domaine. Cela peut s’effectuer par le biais de leur site internet, d’autocollants apposés à des endroits stratégiques, ou encore grâce à la documentation déposée dans la salle d’attente qui passe un message d’inclusivité.
Enfin, il s’agit de se demander si les prises en charge proposées répondent aux besoins des personnes LGBTIQ+. Par exemple, un accompagnement psychothérapeutique uniquement individuel et sur la base d’un modèle qui s’intéresse essentiellement à la vie intrapsychique risque de transmettre à la personne le message que les souffrances qu’elle éprouve sont de son fait, occultant par là-même les dynamiques d’oppression qu’elle subit (Tilsen, 2021).
S’impose alors la nécessité d’élaborer d’autres propositions, notamment sous la forme d’activités collectives. En se trouvant rassemblées, les personnes brisent l’isolement et court-circuitent le sentiment d’échec personnel. Il est précieux que ces offres soient étroitement en lien avec les préoccupations rencontrées, par exemple à propos des défis posés par le fait d’être une personne marginalisée dans une société fortement normée. En effet, le sujet même de ces propositions collectives peut faire l’effet d’un baume sur des blessures profondes, en lien avec des sentiments d’échec et d’inadéquation (Weber, 2024). De plus, le statut privilégié de soignant·e·x peut être utilisé pour décentrer les savoirs professionnels, afin d’inviter des pair·e·x·s aidant·e·x·s pour faciliter ces groupes, ou même pour soutenir le déploiement de collectifs d’entraide. Une telle posture contribue à aller sur des terrains que les professionnel·le·x·s ne peuvent pas arpenter, ou pas de la même manière.
En résumé, si les soignant·e·x·s et professionnel·le·x·s du social portent la grande responsabilité de ne pas reproduire des dynamiques de pouvoir délétères dans l’accompagnement des personnes LGBTIQ+, de nombreuses possibilités s’offrent à elleux pour ajuster leurs pratiques. Ce faisant, ces professionnel·le·x·s contribuent à améliorer l’accès aux soins et, de manière générale, favorisent une meilleure santé des personnes de la communauté LGBTIQ+.
Références
- Dayer Caroline, 2017, Sous les pavés, le genre. Hacker le sexisme, Aube.
- Eisner Léïla et Hässler Tabea, 2024, Panel Suisse LGBTIQ+ — Rapport de synthèse 2023.
- Lexie, 2021, Une histoire de genres. Guide pour comprendre et défendre les transidentités, Marabout.
- Tilsen Julie, 2021, Queering your therapy practice. Queer theory, narrative therapy and imagining new identities, Routledge.
- Weber Nath, 2024, Pratiques intentionnelles d’inclusivité pour célébrer la divergence, dans Itinérances narratives. La magie dans la faille. Boussole politique des pratiques narratives, Chronique Sociale.
[1] Cet acronyme a été adopté ici dans un souci de lisibilité et de brièveté.
[2] Qui ne sont pas trans, autrement dit dont le genre ressenti correspond au genre assigné à la naissance.
[3] L’auteurice, qui co-anime régulièrement la formation « Accompagner les personnes LGBTIQ+ » destinée aux professionnel·le·x·s, choisit ici d’utiliser cette version du langage, considérée comme la plus inclusive disponible actuellement.
Lire également :
- Sab Masson, «Agir face aux discriminations multiples», REISO, Revue d'information sociale, publié le 25 avril 2024
- Quentin Delval, «Les conséquences sociales du privilège d'intimité», REISO, Revue d'information sociale, publié le 14 novembre 2022
- Laura Mellini et al., «Vulnérabilité en santé sexuelle et migration», REISO, Revue d'information sociale, publié le 31 octobre 2022
- Camille Béziane, Quentin Delval et Aymeric Dallinge, «Prison et orientation sexuelle: réalités LGBTQ+», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 novembre 2021
- Jérôme Debons, Caroline Dayer et Raphaël Bize, «L’accès à la santé pour les personnes LGBTIQ», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 2 décembre 2019
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Nath Weber, «La formation, un réel enjeu d’équité en santé», REISO, Revue d'information sociale, publié le 15 juillet 2024, https://www.reiso.org/document/12743