Les enfants découvrent les trésors de l’égalité
A la suite de la Quinzaine égalité entre femmes et hommes qui s’est déroulée du 10 au 25 novembre à Genève, réflexion sur la sensibilisation des plus petits autour de l’exposition « Fille ou garçon, ça change quoi ? ».
Par Ophélie Guélat, étudiante, master en Etudes genre, Université de Genève
Si cela fait moins de 35 ans que le principe de l’égalité des sexes est inscrit dans le droit suisse (1981), la thématique est aujourd’hui un sujet incontournable. Au travers de problématiques telles que les inégalités salariales, le plafond de verre, le temps partiel, la répartition des tâches domestiques ou encore la sexuation de l’orientation professionnelle, le grand public est désormais sensibilisé aux questions d’égalité entre femmes et hommes.
Les bureaux de l’égalité, la Direction de l’instruction publique (DIP) et les autres personnes de terrain se mobilisent pour promouvoir l’égalité en informant le grand public tout comme en sensibilisant les plus jeunes au moyen de manifestations tels que la journée « Futur en tous genres » / « Oser tous les métiers », ou d’outils tels que les mallettes « Balayons les clichés » [1]. C’est précisément sur ce jeune public que se focalise cet article. Il semble en effet nécessaire d’atteindre ces enfants qui sont les adultes et citoyens de demain, afin de tendre vers une société plus égalitaire à long terme.
Des univers imaginaires ultra-genrés
Toutefois, cela n’est pas une tâche facile en raison des nombreux clichés et images véhiculés qui biaisent la réalité. La littérature enfantine ainsi que les jeux sont encore largement emprunts de sexisme et encouragent une répartition actifs/passives des activités. Il est possible de l’observer notamment par le nombre de héros plus élevé que celui des héroïnes ou encore des univers ultra-genrés dans lesquels évoluent les personnages des histoires. Les enfants sont pour ainsi dire conditionné-e-s pour assumer des rôles stéréotypés.
Ces normes sont réductrices aussi bien pour les filles que pour les garçons. En effet, il est sous-entendu qu’un futur homme, un « vrai », ne joue pas à la poupée car cela remettrait en question sa virilité. Il s’agit donc de montrer aux jeunes enfants que d’autres modèles que ceux qu’ils ont l’habitude de voir sont non seulement possibles mais surtout relativement nombreux. Les stéréotypes de genre induisent des idées toutes faites, occultant tout ce qui relève des aptitudes, des choix et des aspirations individuelles.
Les rôles et les tâches différentes dans les familles changent progressivement, de ce fait les modèles qui sont présentés aux enfants aux travers des livres et des autres supports ne reflètent plus la réalité. Aujourd’hui les femmes travaillent, les hommes contribuent aux tâches ménagères, etc. L’éducation des enfants n’est pas que l’apanage de la mère contrairement à ce qui est décrit la plupart du temps. Le nombre croissant de familles monoparentales atteste bien de ce changement. Dans celles-ci, les rôles traditionnels sont bien souvent suspendus aux dépens de rôles de circonstances.
En novembre 2014, le Bureau de la promotion de l’égalité du canton de Genève (BPE) en collaboration avec le Théâtre de Grütli a installé l’exposition « Fille ou garçon, ça change quoi ? », réalisée en partenariat avec le Centre vaudois d’aide à la jeunesse (CVAJ) et le Bureau de l’égalité entre les hommes et les femmes du Canton de Vaud.. Cette exposition s’est inscrite dans le cadre de la Quinzaine égalité entre femmes et hommes qui a proposé de nombreux évènements autour de la thématique de l’égalité.
Ouvrir les horizons avec les îles au trésor
Destinée aux élèves de 4 à 12 ans, l’exposition « Fille ou garçon, ça change quoi ? » vise à remettre en question certains stéréotypes à travers un parcours ponctué de 16 « îles au trésor » contenant des activités ludiques et interactives. Les enfants peuvent ainsi toucher, entendre, jouer, construire, se déguiser et enfin ouvrir leurs horizons. L’idée est de montrer qu’il existe d’autres possibilités que les rôles traditionnels qui sont encore surreprésentés comme modèles pour les enfants dans les différentes sphères qui les entourent. Les filles et les garçons ont ainsi pu réfléchir à la manière de vivre ensemble au quotidien ainsi qu’aux rôles des un-e-s et des autres. Les interactions avec les animatrices et animateurs ainsi qu’avec leurs camarades ont permis aux enfants de se questionner et donc d’ouvrir leurs perspectives d’avenir, de leur apprendre à se respecter au-delà des différences pour leurs points communs, en osant dépasser les barrières liées au genre.
Au total, durant 12 jours, près de 1’500 personnes, dont 1137 élèves du primaire, 145 du parascolaire et 52 enfants des maisons du quartier se sont interrogées sur la manière de vivre ensemble, filles et garçons, femmes et hommes. Ils et elles se sont questionné-e-s sur les rôles assignés aux deux sexes ainsi que sur l’impact de la socialisation dans les différents champs de la société. En journée, des visites spontanées effectuées en famille se sont déroulées, tout comme l’arrivée de différent-e-s professionnel-le-s de diverses institutions.
Le premier but d’une telle exposition est de transmettre d’autres modèles, proposer un autre regard sur ce que filles et garçons peuvent faire. Ensuite celle-ci permet de montrer que les métiers et les activités/loisirs n’ont pas de sexe et de décloisonner ainsi les rôles des femmes et des hommes. Les enfants sont donc amené-e-s à comprendre que chacun-e peut être une personne multitâche, polyvalente et libre de faire ce qu’il ou elle souhaite. Il s’agit également de montrer que bien souvent les choix se font en raison de préférences individuelles plutôt qu’en fonction du genre qui est performé. La mixité du groupe permet de relativiser les différences et de voir que celles-ci sont davantage individuelles que liées au genre.
L’idée n’est toutefois pas d’avoir un discours moralisateur mais davantage de susciter la discussion et la réflexion autour de cette thématique. Les enfants sont ainsi amené-e-s à remettre en question certaines informations qui sont présentées comme des vérités et qui peuvent constituer des barrières à leur liberté.
Les habituels raccourcis joliment déconstruits
A plusieurs reprises les termes de « garçon manqué » ou de « fille manquée » sont revenus dans les discours des enfants. Cela fait référence à ce qu’est supposé être une « vraie » fille ou un « vrai » garçon avec des qualités et compétences spécifiques qui semblent différentes. Les habituels raccourcis « homme actif-secteur public » et « femme-passive-secteur privé » ont souvent fait leur apparition dans les conversations avec les enfants avant d’être déconstruits rapidement par des exemples que chacun-e connaissait dans son entourage.
Les réactions des enfants varient en fonction de leur âge mais aussi de l’atmosphère qu’il y a dans leur classe. Il est intéressant de remarquer que pour les plus petits jusqu’à 6 ans, il est évident que tout le monde peut tout faire. La socialisation différenciée semble se renforcer davantage par la suite. En témoigne l’exemple d’un groupe d’enfants de 8 ans qui discutent du puzzle qu’ils/elles viennent d’assembler. N’arrivant pas à définir s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon qui est représenté-e, chacun-e y va de son argument : « Elle a des cheveux longs » dit l’une. « Il est sur une moto avec des flammes » dit une autre. La troisième s’exclame : « Mais non, regarde elle a un petit chien ! » Difficile de savoir ce qui fait un garçon ou une fille lorsque les attributs sexuels ne sont pas visibles et que les rôles traditionnels ne sont pas respectés. Les enfants se rendent compte qu’ils et elles ne sont pas tous-tes d’accord entre eux/elles sur la définition de ce qu’est une fille ou de ce qu’est un garçon et de ce que l’on attend socialement de l’un ou l’autre rôle. Cela leur permet de réaliser qu’il n’y a peut-être pas de vérités cloisonnées mais bien des avis divergents qui méritent d’être partagés.
Certaines phrases ont été apposées sur les murs de l’espace de l’exposition afin de devenir des sujets de discussion avec les plus grands : « Les filles ne portaient pas de pantalon jusque dans les années 1960. » « Certains métiers ont eu droit à une adaptation de leurs noms. Ainsi il existe désormais des hommes de chambre ou des hommes de ménage. » Ou encore : « Le père n’a pas systématiquement un congé parental à la naissance d’un enfant et le cas échéant, de courte durée. »
La liberté de choix par la réflexion
La liberté d’expression des enfants a été fortement appréciée par les enseignant-e-s et s’est révélée bénéfique à plus d’un sens. Cela a par exemple permis à des enfants de s’affirmer dans un contexte extrascolaire, alors qu’ils/elles ont généralement plus de mal que d’autres à s’exprimer en classe. Il s’agit avant tout de promouvoir une certaine ouverture d’esprit et un respect mutuel pour les goûts et les choix de chacun-e.
Si théoriquement la plupart se mettent d’accord à la fin de la visite pour déterminer que fille ou garçon parfois ça ne change rien, qu’en est-il de leur comportement après la visite ? Certes cette action peut ressembler à une goutte d’eau dans l’océan mais la discussion permet aux enfants qui sont venu-e-s visiter l’exposition de voir qu’il y a des manières différentes de penser et d’agir que celles qu’il est habituel de rencontrer. L’exposition sert aussi de prétexte pour se questionner en tant qu’adultes sur la reproduction des stéréotypes, cela permet d’en prendre conscience et d’y être davantage attentifs et attentives. Pour les enseignant-e-s, l’idée est aussi de pouvoir faire des liens avec l’enseignement en classe et d’ouvrir la discussion. Sur la longue route vers l’égalité entre femmes et hommes, c’est la multiplicité des petits pas qui produit les meilleurs résultats.
[1] Lire l’article de Muriel Golay publié dans la revue REISO le 8 mars 2010 : « Balayons les clichés dans les écoles »