Au travail, ce qui préoccupe en cas de maternité
Quels sont les droits et les devoirs des employées pendant et après une grossesse? Qu’en est-il concrètement des absences, de la pénibilité du travail, de l’allaitement? Et quelles sont les responsabilités précises des employeur·se·s?
Par Valérie Borioli Sandoz, responsable Egalité et conciliation, Travail.Suisse, Berne [1]
Les sujets de préoccupation des travailleuses enceintes sont nombreux. Ils ont été rassemblés et documentés par l’organisation syndicale Travail.Suisse, notamment dans ses publications et sur sa hotline téléphonique [2]. Un des thèmes les plus récurrents est celui des absences durant la grossesse et leurs possibles conséquences. Il est parfois difficile de comprendre – même si la femme active enceinte a le droit de s’absenter sur simple avis – que ces absences comptent dans un quota annuel de jours d’absences pour cause de maladie. Il faut en effet savoir que ce quota dépend de l’ancienneté au sein de l’entreprise. Ainsi, si la femme a souffert d’une méchante grippe qui l’a maintenue alitée durant une ou deux semaines en début d’année, son quota d’absences est déjà sérieusement entamé lorsqu’elle débute une grossesse en automne. En début de carrière, une employée n’a droit qu’à trois semaines de salaire pour cause de maladie durant sa première année de service.
Il est aussi difficile aux femmes de comprendre qu’avoir une simple nausée – qui oblige à se rendre aux toilettes plusieurs fois le matin pour vomir – doit être attesté par un médecin, avec un certificat médical en bonne et due forme, pour garantir le paiement du salaire. Car le droit suisse est ainsi fait que le droit de s’absenter de son travail et le droit à continuer d’être payée durant ces absences sont deux choses réglées de manière séparée dans des lois différentes.
Des tâches pénibles sont interdites
La pénibilité du travail est le second sujet de préoccupation. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le caractère pénible et dangereux d’un emploi ne repose pas sur le ressenti d’une femme enceinte, mais relève de dispositions précises et des obligations de l’employeur.
Il existe une série de tâches absolument interdites aux femmes enceintes. Il leur est ainsi interdit de manipuler certains virus ou de travailler dans un local très bruyant ou à l’atmosphère appauvrie en oxygène. D’autres tâches sont autorisées, mais à la condition qu’une analyse de risques ait été réalisée et ait permis d’exclure tout danger pour la santé de la mère et de son enfant à naître. C’est le cas, entre autres, du déplacement régulier de charges de plus de 5 kg, de tâches imposant des mouvements ou des postures engendrant une fatigue précoce ou de travaux impliquant des chocs, secousses ou vibrations.
Toutes les entreprises sont tenues d'observer les dispositions légales prévues pour la prévention des accidents et maladies professionnelles. Selon qu’elles présentent des dangers particuliers ou pas, les entreprises doivent faire appel à des spécialistes pour protéger la santé et la sécurité des travailleur·euse·s. Il s’agit de médecins du travail, hygiénistes du travail, ingénieur·e·s de sécurité, chargé·e·s de sécurité. A l’employeur·se d’informer son personnel des résultats de l’analyse de risques et des mesures de protection qui en découlent. C’est sur la base de cette analyse et des mesure effectivement prises que le médecin traitant de la travailleuse enceinte déterminera si son état de santé l’autorise à continuer de travailler sans danger.
Le congé prénatal n’existe pas
Le congé maternité débute au jour de l’accouchement et dure au minimum 98 jours (ou quatorze semaines). Si une femme doit, pour des raisons de santé, interrompre son activité professionnelle avant terme, c’est à son médecin traitant de le prescrire. Le congé prénatal n’existe pas. Toutefois, le certificat médical délivré doit tenir précisément compte de la situation à la place de travail occupée. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas et bien des certificats sont rédigés de façon floue sans préciser des lacunes possibles sur la place de travail.
La règle principale est simple: l’employeur·se a la responsabilité en tout temps de prévenir accidents et maladies professionnelles. De plus, le personnel féminin doit être informé du résultat de l’analyse de risques et des mesures de protection prévues, on l’a vu. Pourtant, au lieu de rappeler les exigences de la loi à leur employeur·se, les travailleuses enceintes préfèrent se tourner vers leur médecin traitant pour obtenir un certificat d’incapacité de travail personnel.
C’est ce qu’a constaté l’étude de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) que le Conseil fédéral a utilisée dans un rapport sur le congé prénatal [3]. Le constat des auteur·e·s est clair : «En cas de grossesse, les médecins sont plus susceptibles de délivrer un certificat d'incapacité de travail que de prononcer une interdiction d'emploi pour cause de travail dangereux/difficile.»
Les femmes enceintes préfèrent la voie médicale par souci de paix et pour éviter de potentiels conflits. Car la loi prévoit que, si aucune mesure de protection ne peut être prise, comme d’attribuer d’autres tâches moins dangereuses, l’employeur·se doit dispenser son employée de travailler tout en continuant de lui verser 80% de son salaire en le payant de sa poche. A contrario, sur la base d’un certificat d’incapacité de travail, c’est l’assurance privée perte de gains de l’employeur·se qui payera le salaire. A noter que cette assurance n’est pas obligatoire mais très répandue.
Le temps partiel n’est pas un droit
Le travail à temps partiel signe le travail féminin en Suisse. Le modèle traditionnel (l’homme travaille à temps complet et la femme est sans activité professionnelle) est minoritaire en Suisse, quel que soit l’âge du plus jeune enfant. C’est le modèle dit «bourgeois contemporain», où l’homme travaille à 100% et la femme à temps partiel, qui prédomine dès que les enfants sont nés [4].
La réalité des statistiques ne rend pas compte des difficultés des femmes – et des hommes – à obtenir un temps partiel dès qu’ils sont parents. Car ce n’est pas un droit. Travailler à temps partiel est souvent refusé aux femmes qui le demandent, de sorte qu’elles sont contraintes de quitter leur emploi et d’en trouver un autre [5]. Parmi les réponses données à l’OFAS, 22% des femmes interrogées indiquent n’avoir pas repris le travail au moment de l’enquête en raison de la non obtention d’un taux d’activité réduit. Travailler à temps partiel est aussi refusé aux hommes, quand ils ont osé poser la question, mais aucun chiffre ni aucune étude n’existe sur ce phénomène.
L’allaitement est un droit minuté
Les questions sur l’allaitement sont très fréquentes, surtout depuis que le Parlement a comblé une lacune du droit. En effet, le temps consacré à l’allaitement sur le lieu de travail était considéré comme du temps de travail. Or, puisque la rémunération du temps de travail n’est pas réglée dans la même loi, la rétribution des pauses d’allaitement n’était pas claire d’un strict point de vue juridique. Ce flou a conduit à une interprétation très restrictive de certains milieux patronaux, qui ont encouragé les entreprises à décompter ces pauses du salaire.
Depuis 2014, le temps qu’une femme consacre à l’allaitement au travail est rétribué selon une échelle qui varie en fonction du nombre d’heures travaillées au quotidien : 30, 60 ou 90 minutes, pour des journées respectivement de moins de 4 heures, jusqu’à 7 heures et au-delà. Il s’agit là de pauses minimales rétribuées. Toutefois, l’employeur·se est obligé·e d’accorder tout le temps nécessaire à l’allaitement ou au tirage du lait, même si cela dépasse ces pauses rémunérées. Ainsi, les pauses qui dépassent le minutage prévu seront accordées, mais pas forcément rémunérées.
Les préoccupations des employeur·se·s
Sur toutes ces questions, Travail.Suisse écoute et renseigne aussi les employeur·se·s, en général des responsables des ressources humaines ou des patron·ne·s de petites entreprises. L’employeur·se regrette souvent que l’employée ne se montre pas plus proactive. Les responsables aimeraient qu’elle sache ce qu’elle veut, l’exprime et propose des solutions. Ce même conseil est donné aux employées par Travail.Suisse : « Préparez-vous, discutez avec votre partenaire, imaginez des solutions possibles d’organisation et proposez ce que vous souhaitez ! » Certes, les employeur·se·s ont des devoirs envers leurs employées enceintes, mais ils et elles apprécient que ces dernières y mettent du leur avec le même objectif qu’eux : la bonne marche de l’entreprise.
L’absence d’une femme pour cause de maternité et, dès le 1er janvier 2021, d’un homme pour cause de paternité signifie une réorganisation des tâches et des responsabilités. Grâce à la prise en charge de 80% du salaire par l’assurance perte de gains, les entreprises peuvent engager un·e remplaçant·e de l’employée en congé maternité. Comme il dure au minimum 14 semaines, et qu’il est souvent prolongé par des vacances ou un congé non payé, cela en vaut la peine. Le congé paternité, lui, ne durera que deux semaines et pourra se prendre par journée. La question se posera donc différemment. Il est utile de rappeler que l’absence pour cause de parentalité est un événement prévisible parmi bien d’autres : elle s’apparente à une absence pour cause de formation continue ou d’astreinte au service militaire.
Le monde du travail va changer
Le congé paternité marque le début d’une nouvelle ère : désormais, le législateur accorde au père le droit de s’absenter quand son enfant naît. C’est un bouleversement copernicien dans le monde du travail et celui de la famille, encore très marqués par une dimension patriarcale et le non partage égalitaire des tâches familiales.
A terme, il est fort probable que l’absence des pères sera considérée comme normale lorsque les maladies infantiles se manifesteront. Le premier signe de ce changement s’est manifesté dans le congé de 14 semaines pour la prise en charge d’un enfant gravement malade ou accidenté, adopté par le Parlement en hiver 2019 et qui entrera en vigueur le 1er juillet 2021 [6]: pères et mères pourront se partager les semaines équitablement. Sur cette lancée, Travail.Suisse et de nombreuses organisations réfléchissent déjà à un congé parental égalitaire. C’est un travail politique de longue haleine qui commence.
[1] L’autrice de cet article est également membre de la Commission fédérale pour les questions familiales et du Comité de Pro Familia Suisse. Une autre version de cet article a paru en octobre 2020 dans Obstetrica, la revue spécialisée de la Fédération suisse des sages-femmes. Consulter ce numéro 10/2020 consacré à «Parentalité et travail» en ligne.
[2] Nombreuses et précieuses informations en ligne autour de ces questions récurrentes sur InforMaternite, et sur l’organisation de sa grossesse sur mamagenda. La hotline n’est plus en service depuis 2007, mais, durant plusieurs mois, elle a répondu aux questions sur le nouveau congé maternité entré en vigueur en 2005 en une dizaine de langues différentes.
[4] Selon l’OFS (ESPA 2019), après la naissance des enfants, la proportion des couples vivant selon le modèle bourgeois contemporain passe à 48,8% (avec enfants de 0 à 3 ans), puis devient majoritaire au fur et à mesure que les enfants grandissent. En ligne
[5] « La maternité, handicap des femmes actives », par Valérie Borioli Sandoz, 16 juillet 2018. Voir aussi « Un bébé mais plus de boulot », par Raphaël Engel, RTS, 17 septembre 2020, en ligne
[6] Communiqué de l’OFAS du 7 octobre 2020
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Valérie Borioli Sandoz, «Au travail, ce qui préoccupe en cas de maternité», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 11 janvier 2021, https://www.reiso.org/document/6845