L’expression la plus pure du sport
Le mouvement international Special Olympics organise le sport pour les personnes en situation de handicap mental. Fondé par une sœur de John F. Kennedy, il est imprégné d’une philosophie qui redonne au sport toute sa force et sa beauté.
Par Xavier Blanc, responsable du bureau romand de Special Olympics Switzerland
Né en 1968, Special Olympics est devenu le plus important mouvement sportif mondial pour personnes en situation de handicap mental. A ce jour, il est présent dans 180 pays, représente 4 millions de sportifs et organise 53’000 compétitions annuelles dans 32 disciplines sportives. Il a été créé aux Etats-Unis par Eunice Kennedy-Shriver, cinquième d’une fratrie de neuf enfants, dont Rose Marie qui souffrait d’un handicap mental et John Fitzgerald. L’organisation est officiellement reconnue par le Comité International Olympique (CIO) depuis 1988.
En Suisse, Special Olympics existe depuis 1995. Il est autonome financièrement et structurellement depuis 2009 sous la forme d’une fondation reconnue d’utilité publique. Il organise annuellement 50 compétitions dans 17 sports auxquelles participent 4’000 sportives et sportifs. Il est placé institutionnellement à côté de Swiss Olympic, l’organisation faîtière du sport dit valide forte de 2,1 millions de membres, et à côté de Paralympics, qui organise le sport des personnes en situation de handicap physique. Il est à noter que notre fondation n’a pas de clubs mais qu’elle propose ses compétitions en collaboration avec les groupes sportifs locaux (Plusport, Procap), les institutions ou tout autre organisme intéressé.
Notre mission consiste à valoriser les personnes en situation de handicap mental par le sport, de les aider à progresser et à se développer par le sport. L’objectif est qu’elles prennent confiance en elles, développent leur estime de soi et leur autonomie, autant de prérequis à une intégration sociale réussie. A ce titre, notre volonté est que les sportifs en situation de handicap mental soient considérés comme des sportifs à part entière et intégrés comme tels dans les clubs sportifs existants lorsque cela est possible.
Dans notre société contemporaine, le sport chapeaute une multitude de pratiques et génère des comportements tout aussi vertueux qu’aliénants. Il est source d’enjeux politiques et sociaux de plus en plus importants. Ses valeurs sont sans cesse bafouées mais aussi louées. Il occupe un espace médiatique jamais égalé et est devenu un marché économique énorme. Dans ce contexte, il est nécessaire d’exposer la philosophie sportive qui nous permet concrètement de réaliser notre mission. C’est cette philosophie qui a certainement incité Jacques Rogge, président du CIO, à dire que Special Olympics était l’expression « la plus pure » du sport à l’occasion de ses Jeux nationaux d’été organisés à Lausanne en 2002.
Les sept principes fondateurs
1. Les règles sportives. Dans les sports proposés, les règles reprennent dans leur intégralité celles édictées par les fédérations internationales. Ces règles sont toutefois adaptées en fonction du degré du handicap afin de permettre à chaque sportif de concourir. Le choix d’appliquer les règles des fédérations est motivé par le fait que les personnes en situation de handicap mental ont d’une part le droit, comme tout un chacun, de pratiquer les sports tels qu’on les connaît et, d’autre part, la capacité de les pratiquer. Oui ! Special Olympics pense et affirme que la personne en situation de handicap mental a la capacité de faire du sport [1]. C’est d’ailleurs fondamentalement une question de respect de cette personne.
2. Le principe des divisions. La compétition sportive dite valide se module sur un système de compétition qui élimine tour après tour (32e, 16e, 8e, quart, demi-finale et finale) les participants afin de désigner un seul et unique gagnant. Notre système sportif est différent. Le principe de « Divisioning » se concrétise par des pré-compétitions qui permettent à des officiels de définir des catégories (ou divisions) de compétiteurs en fonction de leur niveau sportif. Dans un second temps, les compétitions sont ainsi équitables car homogènes en termes de niveau de performance. Pour illustrer ce principe, prenons l’exemple de la compétition du 100 m des Jeux Olympiques de Londres. Les 73 compétiteurs engagés auraient été distribués en 10 séries, ce qui aurait donné 10 podiums, et toutes les médailles attribuées auraient eu la même valeur. Le principe des divisions donne donc à chaque participant la possibilité de gagner. On ne soupçonne pas l’immense importance de ce principe pour des personnes que la société ne valorise pas, ne regarde pas, n’expose pas… Il suffit d’assister à une remise de médaille pour comprendre l’importance pour les sportifs en situation de handicap mental de pouvoir eux aussi monter sur un podium.
3. La performance comme moyen. On comprend ici que la performance sportive, ou le résultat, a une valeur relative dans notre philosophie. En d’autres termes, la performance est un moyen et non une finalité. Sa valeur relative, c’est-à-dire mise en relation avec les capacités sportives, permet aux sportifs en situation de handicap mental de se surpasser, de chercher leurs limites, de repousser celles-ci pour se développer sans se mettre en danger socialement, physiquement et psychiquement. Elle sert aussi à accepter la défaite sachant que les médailles ne sont pas données même si elles sont atteignables par tous. A ce titre, nous n’enregistrons pas de record et la recherche de la performance absolue n’est pas une finalité.
4. Les règles de l’effort honnête. Ce système sportif n’est pas à l’abri « d’interprétations », notamment à cause du principe des divisions. Ainsi, il serait possible que certains sportifs ne réalisent par leur plein potentiel lors des pré-compétitions, ou soient parfois incités à le faire. Il en résulterait qu’ils gagneraient facilement leur compétition puisqu’ils auraient été sous-classés par les officiels. C’est là qu’interviennent les « Honest Effort Rules » comme garde-fou. A savoir : si un sportif réalise une performance meilleure de 15% de celle qu’il a réalisée lors des divisions, il est déclassé, qu’il soit médaillable ou non, et il reçoit juste une reconnaissance de sa participation à la compétition. Comme chaque fois que des règles peuvent être interprétées, ce principe des « Honest Effort Rules » donne parfois lieu à d’interminables discussions de la part des coachs. Mais les officiels sont présents pour arbitrer de telles réclamations.
5. Une participation ouverte à tous. Ce principe est consubstantiel à notre action. Il se décline dans tous les aspects de nos compétions sportives. D’abord, les inscriptions aux compétitions sont ouvertes à toute personne intéressée sachant que le principe des divisons garantit des compétitions équitables. Dans de nombreuses disciplines, il n’est d’ailleurs pas sûr que des sportifs confirmés dit valides aient leur place dans les catégories de performance les plus élevées. Ensuite, Il n’est pas nécessaire d’être membre d’un groupe sportif ou pensionnaire d’une institution pour s’inscrire à nos compétitions, moyennant le paiement d’une finance d’inscription comme tout sportif. Il arrive d’ailleurs que des sportifs s’inscrivent individuellement et de leur propre initiative à nos Jeux nationaux d’hiver et d’été. Ce principe est aussi appliqué lors des sélections pour des Jeux internationaux auxquelles tous les sportifs ont le droit de participer.
6. La progression. Le but est qu’un sportif en situation de handicap mental progresse suffisamment pour acquérir durablement les compétences nécessaires. L’assiduité et la régularité de l’entraînement sont donc plus importantes que la performance sportive. C’est d’ailleurs sur ce principe de progression et d’implication dans leur sport que les sportifs en situation de handicap mental sont sélectionnés pour participer aux compétitions internationales. C’est aussi sur ce principe que Special Olympics veille à proposer des compétitions locales, régionales, nationales et internationales qui reproduisent les mêmes règles, qui soient ouvertes à tous et qui soient respectueuses des capacités de chacun afin de permettre la progression de chaque sportif.
7. Le cérémonial. Le défilé, la montée du drapeau et le serment des athlètes prennent un sens particulier dans nos compétitions. Ce cérémonial est considéré comme futile par certains mais il crée un sentiment d’appartenance avec le sport dit valide. Il permet d’oser se montrer en défilant et d’expliquer notre philosophie sportive par le serment des athlètes qui affirme : « J’essaierai de gagner, mais si je n’y arrive pas, je ferai preuve de courage dans mes efforts ». Ce cérémonial est à prendre comme une invitation au partage et à la tolérance de tous.
Si cette philosophie sportive s’exprime principalement lors des compétitions, elle dirige en fait l’ensemble de nos actions. Ainsi, notre Fondation développe l’offre sportive pour les enfants et les adolescents en situation de handicap mental dans des clubs dit valides ou existants. Elle organise aussi une formation et une formation continue de coachs et d’encadrants. Enfin, elle améliore qualitativement son offre de compétition (ce qui sera notamment le cas lors des Jeux nationaux d’été de Berne du 29 mai au 1er juin 2014 [3]. A l’avenir, elle va aussi promouvoir les compétitions unifiées qui « mélangent » les sportifs dits valides avec des sportifs en situation de handicap mental.
Vignette-photo : Vanessa Pfiffner, 14 janvier 2013 © Samuel Truempy / PHOTOPRESS
[1] Lire à ce propos l’article « Le sport : promoteur de la santé et de la participation sociale en déficience intellectuelle », de Marie Grandisson, Sylvie Tétreault et Andrew R. Freeman in Revue francophone de la déficience intellectuelle, Volume 21, 54-65. Télécharger cet article 12 pages pdf.