Handicaps et santé sexuelle : état des lieux
Une recherche sur la santé sexuelle des personnes en situation de handicap a recensé les différents services de Suisse romande et du Tessin. Deux cents institutions, écoles spécialisées, ateliers et associations ont participé à l’enquête.
Par des étudiantes de Bachelor en pédagogie spécialisée: Nina Alvarino, Laure Caviglioli, Céline Chevailler, Chloé Luthringer, Charlène Mrowinski, Ambra Pinana et Nadia Poyo Caballero
Sous la direction de Sophie Torrent, assistante diplômée, Université de Fribourg, en partenariat avec Catherine Agthe Diserens, Association SEHP et formatrice pour adultes
Le modèle du «processus de production du handicap» aide à mieux comprendre ce qui peut amener à des situations de handicap. Il démontre que la personne réalise ses activités quotidiennes dans une interaction continue avec son environnement physique et social. Selon les possibilités offertes, la participation sociale des personnes en situation de handicap se trouve améliorée ou péjorée (Fougeyrollas, 2010[1]).
Dans le domaine de la vie affective et sexuelle, le droit à l’égalité implique la promotion, le maintien ou le rétablissement de la santé sexuelle, que l’on vive avec un handicap ou non. Les Droits fondamentaux sont reconnus par les instances politiques en charge de leur respect et application, ainsi que par les structures prestataires des services.
Mais même dans une société qui a largement «élastifié» les tabous sexuels (Agthe Diserens, 2013[2]), les barrières physiques et attitudinales rencontrées lorsqu’il y a présence d’un handicap entraînent encore un certain nombre de limitations dans la vie intime et sexuelle des personnes concernées. Bien que les demandes d’accès à certaines prestations fassent de plus en plus l’objet d’une attention et d’une organisation particulière (SANTE SEXUELLE Suisse, 2012[3]), la santé sexuelle des personnes en situation de handicap dépend encore grandement du contexte institutionnel et familial dans lequel elles vivent.
Le premier recensement des entités latines
Une étude s’est intéressée aux diverses prestations mises en œuvre dans les cantons romands et au Tessin, afin de faire un état des lieux dont les premiers résultats sont présentés ici.
Le recensement exhaustif des diverses instances s’est fait en utilisant la base de données de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales[4], à laquelle ont été ajoutées les principales associations suisses d’aide aux personnes en situation de handicap listées sur les sites internet des cantons. Ainsi, près de 250 structures destinées aux personnes vivant avec un handicap mental, physique, psychique, sensoriel ont été contactées: institutions et écoles spécialisées, structures de formations, ateliers protégés, associations. Les services de santé sexuelle ont également été approchés. Les réponses à la question « Quels services et accompagnements sont mis à disposition des personnes en situation de handicap au sujet de la vie intime et/ou de la sexualité?» ont été reçues par écrit ou par entretiens téléphoniques. 200 réponses sont parvenues en retour.
Les écoles spécialisées sensibles à l’éducation sexuelle
Les structures qui offrent le plus de ressources, notamment par les cours d’éducation sexuelle, sont les écoles spécialisées. Plus de la moitié d’entre elles font appel aux services de santé sexuelle cantonaux, afin de dispenser des animations régulières, au même titre que dans l’enseignement dit ordinaire. D’autres font appel à des prestations privées, notamment celles des sexo-pédagogues spécialisé-e-s. Des écoles spécialisées utilisent des ressources internes (enseignant-e-s, psychologues) afin de dispenser des informations en éducation sexuelle mais relèvent le manque d’outils pédagogiques adaptés et la nécessité d’être formé-e-s à ces approches spécifiques.
Les animations régulières permettent de mieux suivre les enfants et les jeunes dans l’anticipation de certains besoins plutôt que de réagir par des «interventions-pompiers» à des comportements inadéquats. Cette pédagogie d’une éducation sexuelle adaptée se décline dans une visée positive et holistique et non plus seulement au travers des problèmes et des pathologies.
Des réponses diversifiées pour les adultes en institutions
C’est au sein des lieux de vie pour adultes que le personnel est le plus formé aux thématiques en lien avec la sexualité[5]. Ce mouvement de formation existe depuis plus de vingt ans dans certaines institutions et il a permis d’ancrer la sexualité dans les cultures institutionnelles et parfois de conduire à la création de groupes de travail. En parallèle, un certain nombre d’institutions collaborent avec les centres de santé sexuelle qui forment les professionnel-le-s et informent les résident-e-s.
S’il existe une grande disparité des offres selon les lieux d’accueils et les cantons, une ressource est communément mentionnée: l’existence de charte déclinant les valeurs institutionnelles dans la vie affective, intime et sexuelle. Ensuite, parmi les possibilités offertes aux résident-e-s, on retrouve dans certains lieux de vie, diverses ressources comme l’aménagement des chambres individuelles en chambre double pour l’accueil d’une deuxième personne, des horaires arrangés pour permettre aux couples de manger en tête à tête plutôt qu’avec tout le groupe, des fêtes de reconnaissance d’union ou des mariages. Certaines institutions favorisent les rencontres des personnes accueillies en organisant des soirées inter-établissements, des cafés-rencontres, voire participent à la mise en place d’un site internet adapté.
Concernant l’assistance sexuelle, si des institutions accèdent avec bienveillance à cette demande et sont prêtes à effectuer des changements dans leur organisation pour contribuer au bien-être des résident-e-s, d’autres mentionnent que l’intervention de l’assistance sexuelle n’est pas autorisée ou n’est possible qu’à l’extérieur de l’institution.
Deux groupes de structures moins concernées
Certaines structures n’offrent pas ou peu de ressources. Parmi elles se trouvent celles destinées aux enfants en bas âge (0-6 ans) et celles accueillant des personnes polyhandicapées. Pour ces dernières, l’éducation sexuelle peut apparaître comme superflue, tant les priorités de vie sont ailleurs. Toutefois, les besoins de ce groupe plus vulnérable doivent être reconnus: aborder l’intrusion de l’intimité pour les soins de l’hygiène, nommer les parties publiques et privées du corps, construire l’identité sexuée sont autant de notions importantes afin de ne pas réduire la personne à son handicap. De plus, lorsque la déficience intellectuelle est sévère, il est très précieux de former les éducateurs et éducatrices et les soignant-e-s dans un double objectif: à la fois pour être plus sensibles aux enjeux de la proximité et à la fois pour être plus aptes à parler du corps sexué et de ses réactions avec la personne polyhandicapée. En effet, ce sont ces professionnel-le-s qui ont une connaissance de ses besoins, de ses codes particuliers de communication et de sa marge de compréhension.
Le deuxième groupe n’offrant que peu de prestations comprend les associations et les lieux de formation ou les ateliers protégés. Ce «vide» semble s’expliquer par le fait que les bénéficiaires ne sont que de passagedans ces lieux. Si les responsables d’ateliers n’ont pas à se substituer aux spécialistes en santé sexuelle, nombre d’histoires affectives, manifestations amoureuses voire sexuelles, se jouent pourtant sur le lieu de travail ou de formation, mais également lors de camps proposés par des associations. Il est recommandé de les sensibiliser également[6].
Des ressources à rendre plus visibles
Il apparaît que peu de prestations sont rendues visibles aux yeux des personnes accueillies. Pourtant, marquer explicitement sa disponibilité à aborder des questions liées à l’intimité ou à la sexualité, afficher les ressources à disposition dans le canton (dont les centres de santé sexuelle) mais encore accompagner les résident-e-s vers ces lieux, est précieux. De plus, les services de santé sexuelle qui inscrivent sur leurs sites internet les conditions d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite de leurs centres de consultation réduisent eux aussi les barrières physiques et attitudinales et encouragent la participation sociale.
[1] Fougeyrollas, P. (2010). La funambule, le fil et la toile: transformations réciproques du sens du handicap.Montréal, Québec: Presses universitaires de Laval.
[2] Agthe Diserens, C. (2013). Sexualité et handicaps : regards ouverts, REISO, revue d’information sociale, mis en ligne le 7 février 2013.
[3] SANTE SEXUELLE Suisse. (2012). Recommandations pour une éducation à la santé sexuelle des personnes en situation.s de handicap.s. Lausanne, Suisse.
[4] En savoir plus sur la base de données de la collaboration intercantonale dans le domaine des institutions sociales en ligne
[5]«Du cœur au corps». Programme de formation d’adultes dans le domaine de la sexualité en lien avec les handicaps. Prix Suisse 2001 de Pédagogie Curative et Spécialisée (CPSP-SZH Lausanne-Lucerne). Auteures: Mmes Agthe Diserens Catherine et Vatré Françoise, sexo-pédagogues.
[6] SEHP (2012). Guide de Bonnes Pratiques dans le contexte des institutions spécialisées, en format pdf