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Nous sommes tous des migrant·e·s forcé·e·s

Jeudi 01.10.2020
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Migration et confinement 4. Avec la semi-réclusion, la perte du sentiment de sécurité, de liens, de rencontres, de droits, de libertés ont imposé à chacun·e une «migration forcée». Cette expérience permet de s’approcher du vécu des migrant·e·s.

Par Jean-Claude Métraux, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, chargé de cours, Université de Lausanne

Nous passons tous d’un monde à l’autre à plusieurs reprises au cours de nos vies, parfois même sans nous déplacer [1]. Dans La migration comme métaphore [2], j’ai développé cette idée que « nous étions tous des migrants ». Notre monde / nos mondes changent au point que les personnes âgées ne parviennent plus à reconnaître dans le monde du présent celui de leur jeunesse. Toutefois, bien sûr, tout déplacement et toute transformation de nos mondes ne saurait être considéré comme une migration. Pour que cela soit le cas, il faut qu’y soient associées des pertes signifiantes, qui donc engendrent des deuils. Dans la mesure où toute migration signifie la perte de son monde d’origine, du moins de son monde antérieur, à tous égards signifiant.

La longue série des pertes

Dans la situation que nous avons vécue avec le Covid-19 et les mesures de semi-confinement, nous sommes clairement passés d’un monde à un autre. Le sens du lien social, du travail, de la famille, de la relation parents-enfants avec l’école à la maison, de la santé, du présent et du futur se sont clairement transformés. Et ces changements de sens se sont accompagnés, du moins pour la plupart d’entre nous, de pertes signifiantes, certes parfois niées. Perte de la proximité physique avec la distance sociale imposée. Perte de rencontres avec les grands-parents, les personnes âgées en EMS et celles hospitalisées que l’on ne peut visiter, avec les camarades de classes ou les collègues de travail. Perte de funérailles dignes de ce nom. Perte de convivialité avec la fermeture des bars et restaurants. Perte de droits et de liberté avec les contraintes imposées par l’État, le contrôle social, la surveillance électronique ici ou là, le franchissement des frontières interdit. Perte d’un sentiment de sécurité avec la crainte d’attraper le virus. Perte de sources de reconnaissances par le travail, les contacts sociaux. Et d’autres encore.

Nous pouvons dès lors parler de véritables migrations forcées. Elles sont bien davantage temporelles, de l’avant corona à l’après corona, que spatiales. Car notre semi-réclusion dans un espace clos, nos domiciles, ne saurait s’assimiler à une migration, dans la mesure où nous y avions tous nos repères. Exemple du jour : je prends un téléphérique dans le Lötschental, ce jeudi 9 juillet 2020, et tout le monde porte un masque. Mes filles s’effraient en nous voyant pareillement accoutrés. Dans quel monde apocalyptique se sentent-elles plongées ? Un parallélisme avec le vécu des requérants d’asile et des réfugiés se voit dès lors autorisé. Il pourrait même nous permettre de mieux s’en approcher.

Différents voyages, différentes peurs

Avant d’approfondir les similitudes, il faut d’emblée par souci de justice relever les différences. D’abord, bien sûr, l’ampleur des pertes, sans commune mesure, mais aussi la durée de cette migration. Avec le retour, le 11 mai, à l’école et au lieu de travail de la majorité d’entre nous ainsi que la réouverture des restaurants et des commerces, le temps de réel semi-confinement n’excèdera pas deux mois et nous pourrions presque dire qu’il s’agissait d’un long voyage de tourisme. Ce sera le cas si, après le déconfinement, tel un vacancier après un séjour en Thaïlande, nous reproduisions à l’identique notre monde d’antan. Les migrants au sens usuel ne rentrent jamais « chez eux », tant leur monde d’origine qu’eux-mêmes s’étant transformés durant leur exil.

En sus, les expériences tragiques souvent vécues au pays, la dureté du voyage et les incertitudes quant à l’acquisition d’un permis de séjour condamnent de très nombreux exilés à un état de survie que seules peut-être les victimes majeures de la crise économique attendue connaîtront. Les autres n’en auront eu qu’un aperçu très partiel, mais susceptible d’engendrer des résonances : une temporalité réduite au présent et l’angoisse, parfois la peur, liée aux incertitudes du lendemain.

Ainsi, nos yeux fixés chaque jour sur les courbes du nombre de malades et de morts font écho à l’attente quotidienne du postier susceptible d’amener aux requérants d’asile la décision fatidique du Service des migrations ou du Tribunal administratif fédéral. Ainsi, notre angoisse de «choper» le virus, qu’accroît l’omniprésence des discours à son égard, fait écho à celle des migrants de «choper» un renvoi, renforcée par l’omniprésence dans les médias des discours à leur égard. La prise de conscience de cette homologie, par les travailleurs sociaux, pourrait certainement les rendre plus réceptifs aux récits et aux émotions des requérants d’asile qu’ils rencontrent.

Leurs deuils, nos deuils

Les différences entre nos situations respectives ne sauraient donc effacer nos similitudes. La principale ? L’existence dans les deux cas de pertes et donc de deuils. Parmi ces pertes, certaines sont quasi assurément passagères : pertes sur les plans du lien social, de la convivialité, de la famille, du lien parents-enfants, du droit de traverser les frontières. Leur caractère éphémère rend peu vraisemblable un véritable travail de deuil. Par contre, elles nous empreignent d’émotions : tristesse due à l’éloignement d’amis ou le manque d’étreintes, colère contre ces enfants dans les pattes 24 heures sur 24 ou ce mari au télétravail cloîtré dans son bureau sans souci des bambins, sentiment d’abandon de grands-parents privés de petits-enfants.

Ces émotions pourraient nous rendre davantage attentifs au vécu de requérants d’asile rendus nerveux par une promiscuité permanente, privés sur la longue durée d’amis très chers et de contact physique, l’épouse, l’époux ou les enfants demeurés au pays ou piégés en Grèce. Privés surtout de preuves d’estime de la part des autochtones, dont les professionnels du social, de l’éducation et de la santé. Nous gagnerions ainsi la possibilité de mieux les comprendre, mieux accueillir leurs souffrances.

D’autres pertes sont très inéquitablement réparties : insignifiantes pour les uns, importantes et irréversibles pour les autres. Je pense par exemple aux personnes qui ont eu un proche aux soins intensifs ou dans un EMS et qu’il était donc impossible de visiter. Je pense à celui qui est mort durant cette période et qu’il fut impossible d’accompagner dans ses derniers instants, de lui assurer même de véritables funérailles. Les moments perdus ne seront pas récupérés, à l’instar des migrants ne pouvant rentrer chez eux pour enterrer leurs morts, nouvelle similitude nous permettant de mieux saisir leur vécu.

Créer un espace de sécurité

Je pense aussi à celles et ceux que la crise économique associée accule brutalement au chômage, à la fermeture de son commerce ou à des dettes considérables. Je pense encore aux enfants en situation précaire, dont justement les fils et filles de requérants d’asile, qui ne disposent ni du matériel informatique, ni de l’encadrement nécessaire, pour suivre les tâches demandées par leurs enseignants. Le « tri social », évoqué par Bhama Steiger dans son article introductif [3], est ici évident.

Pour toutes les personnes concernées, un deuil reste à élaborer. Il prendra d’autant plus de temps que les conditions sont difficiles. Si un contexte minimal de sécurité ne leur est offert, s’ils se retrouvent réduits à une lutte pour la survie, ces deuils risquent de se congeler et d’attendre d’improbables jours meilleurs pour amorcer leur élaboration. Les personnes épargnées, dont beaucoup de travailleurs sociaux et d’éducateurs, contribueront-ils à la création d’un tel espace de sécurité ?

Une troisième catégorie de pertes, définitives à mes yeux, touche bien davantage les mieux lotis. Dans un coin de nos têtes sera conservé un souvenir de notre fragilité (perte de notre sentiment d’invulnérabilité), du caractère précaire de nos libertés (perte de droits), de notre incapacité à maîtriser notre devenir (perte de notre omnipotence), de notre docilité, voire de notre autocensure d’opinions contraires aux apparents consensus vis-à-vis des mesures imposées (perte de notre pouvoir dire). Et ceci d’autant plus si quelques-unes des entraves à notre autonomie – se gouverner soi-même – devenaient pérennes. Quelques gouvernements ont déjà flairé l’aubaine.

Certes, nombreux parmi nous jetterons ces souvenirs au fond d’un placard de neurones fermé à double tour. Pour empêcher toute possibilité qu’ils rompent la barrière du déni et affleurent leurs consciences, ces personnes renforceront encore leurs vieilles manies : voir la faiblesse chez l’autre, dont le migrant, et non chez soi. Nous ne pouvons qu’espérer que ce ne soit pas le cas de trop d’éducateurs, travailleurs sociaux, enseignants et soignants, car les requérants d’asile, adultes et enfants, seraient parmi les premiers à en faire les frais.

L’occasion de repenser nos interventions

Du déni, première phase du deuil, on peut aussi s’extirper et entrer dans la phase dépressive. La conscience de notre vulnérabilité, du caractère précaire de nos vies, de la domination sur nous exercée, fait mal, très mal. La tristesse nous envahit et, pendant une période, nous éteint. Mais c’est à ce prix que nous atteindrons la troisième phase du deuil que je qualifie de créatrice. C’est celle que traversent les migrants qui s’intègrent créativement à notre monde, qui marient leurs appartenances plurielles et enrichissent notre société, si celle-ci les y autorisent. C’est aussi celle que traverseront les professionnels, du social entre autres, capables suite à cette crise du coronavirus de co-créer de nouvelles formes de collaboration (non plus d’aide) avec les individus et les familles en situation de précarité, fondées sur la reconnaissance de nos profondes similitudes.

Espoir ténu, mais espoir quand même.

 

[1] Cet article fait partie du dossier spécial «Migration et confinement» sollicité par Bhama Steiger.

[2] Jean-Claude Métraux, La migration comme métaphore, précédé de Le voile et le linceul, Paris, La Dispute, 2017 (première édition : 2011).

[3] Lire l'article de Bhama Steiger

Comment citer cet article ?

Jean-Claude Métraux, «Nous sommes tous des migrant·e·s forcé·e·s», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 1er octobre 2020, https://www.reiso.org/document/6432

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