Grâce aux pair·e·s, la vie peut reprendre son cours
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Afin d’ouvrir aux personnes vivant avec le VIH un espace d’écoute et de partage hors du domaine médical, un centre propose un mentorat par les pair·e·s, «Entr’aide+». Il vise notamment à soutenir l’individu après l’annonce du diagnostic.
Par Rémi Bays, infirmier, Centre Empreinte, Fribourg
Le Centre Empreinte naît au début des années nonantes à Fribourg, avec pour objectifs de permettre aux personnes vivant avec le VIH (ci-après PvVIH) et leurs proches de se rencontrer, sortir de l’anonymat et trouver du soutien grâce à des soupers ou des sorties. Dans un contexte où la stigmatisation et le rejet étaient fréquents, cela représentait parfois la seule aide possible. Avec l’évolution des traitements, les besoins des PvVIH en matière d’accompagnement et de rencontres ont évolué et le milieu de l’accompagnement est passé d’un paradigme socio-palliatif à celui de la chronicité. Les activités offrant un accompagnement alors indispensable et visant à renforcer l’entraide communautaire se sont donc d’abord raréfiées puis stoppées. En parallèle, le centre a développé d’autres compétences dans les domaines de la prévention et de la promotion en santé sexuelle auprès d’un public plus large.
Actuellement, les accompagnements ne se font plus sous la forme d’un groupe et s’axent davantage sur des soutiens psychiques et sociaux individuels avec un·e soignant·e. Ils comprennent également la réorientation auprès d’aides administratives associatives ou d’états, et visent en priorité à faciliter l’accès au traitement, le respect des droits et aux offres de soins.
Ces changements de prestations tirent, entre autres, leur origine dans l’avancée des traitements et la notion d’indétectabilité, caractérisé par le « i=i » (indétectable = intransmissible). Cependant, la discrimination envers les personnes séropositives reste un défi de leur accompagnement, dès lors que la perception sociétale du VIH demeure marquée par les préjugés. Comme le souligne la revue Swiss Aids News de l’Aide suisse contre le sida (2022 : 15), « [a]lors même que le VIH se traite bien, les discriminations des personnes vivant avec le VIH nuisent à leur santé, notamment psychique ». Cette discrimination est perceptible entre autres dans le milieu des assurances maladies, des soins et dans la protection des données médicales. Ainsi, apprendre sa séropositivité reste aujourd’hui encore un choc pour de nombreux individus et peut représenter un impact au quotidien.
Retrouver le contrôle sur sa santé avec l’aide de l’autre
Les personnes nouvellement diagnostiquées qui fréquentent le Centre Empreinte se questionnent en particulier sur les impacts de la maladie au quotidien, en dehors des aspects médicaux. Elles ont également régulièrement exprimé le souhait de rencontrer d'autres PvVIH, afin de pouvoir constater que la vie reprend son cours, de pouvoir se projeter, mais aussi de bénéficier d’un avis et d’une écoute non-médicale.
En 2020, l’équipe d’Empreinte a mené une réflexion globale sur la réactivation des offres auprès des PvVIH. Sur l’impulsion de deux bénéficiaires nouvellement diagnostiqué·e·s, le centre s’est questionné sur le développement d’une nouvelle formule d’aide : le mentorat par les pair·e·s, un modèle de rétablissement désormais bien implanté dans divers systèmes de soins, riche d’une expérience et d’une implémentation aussi bien en santé somatique qu’en santé mentale. L’étude séminale de Jaouen, Loup et Sammut (2006), « Accompagnement par les pair·e·s, confiance partagée et résilience : illustration au travers du cas voiles d’oc » illustre l’importance du rôle de la personne paire en dehors des relations traditionnelles soignant·e·s — soigné·e·s. Les pair·e·s jouent aussi un rôle important dans le système de soins, en aidant à retrouver le contrôle sur sa santé et en faisant le lien avec les équipes soignantes (Le Cardinal et al. 2013 : 367).
Le lien entre pair·e·s tend ainsi à s’établir comme une relation basée sur le don et le contre-don, permettant à toutes les parties de retirer des bénéfices mutuels à la relation. Il s’agit, pour les personnes concernées, d’activer leur processus de rétablissement, essentiel dans le cadre de maladies chroniques comme l’est désormais le VIH. Il convient toutefois d’ajouter que ce virus porte le poids du tabou, que n’ont pas — ou beaucoup moins — d’autres pathologies chroniques telles que le diabète. Dans cette optique, l’espoir, l’autodétermination et l’inclusion s’inscrivent comme des aspects-clés (Le Cardinal et al. 2013 : 367) que les programmes par les pair·e·s peuvent précisément soutenir.
Répondre à un besoin très spécifique
Ce projet a donc concrètement été mis en place en 2022, en s’appuyant sur l’expertise d’un programme de même type déployé au service des maladies infectieuses (ci-après SMI) du CHUV. Pour ce faire, les échanges réguliers entre l’équipe d’Empreinte et les collègues du SMI ont permis de comprendre le fonctionnement du programme vaudois, effectif depuis octobre 2021.
Les retours des professionnel·le·s du CHUV se sont avérés très riches. Ils ont mis en évidence, notamment, l’intérêt des personnes concernées à profiter d’échanges entre pair·e·s. En effet, certain·e·s bénéficiaires ont exprimé de réelles plus-values à entrer en relation avec des personnes externes au domaine des soins, tout en soulignant le cadre sécurisant qu’ont constitué ces échanges de parcours avec la structure institutionnelle adéquate.
L’une des données qui a le plus surpris les membres de l’équipe vaudoise a porté sur la fréquence des rencontres. Dans un premier temps, il avait été envisagé que les mentorats se dérouleraient lors de plusieurs rencontres successives sur quelques mois, voire années. Le bilan a pourtant montré que, la majeure partie du temps, les bénéficiaires rencontrent les pair·e·s une ou deux fois seulement. Cela correspond à un besoin très spécifique et néanmoins primordial dans le processus de rétablissement, à savoir prendre conscience, au travers de l’expérience de l’autre, qu’un retour au quotidien est possible.
Dans le processus d’adaptation du programme pilote aux réalités du canton de Fribourg et de la fondation Le Tremplin, Empreinte a mis sur pied une journée d’échanges et de formation[1], à l’attention de la première volée des PvVIH souhaitant accompagner des personnes nouvellement diagnostiquées. Cette rencontre, marquée par la richesse des partages d’expériences, a dévoilé la multitude de trajectoires des participant·e·s. Pour certain·e·s, il était clair que les stigmates du passé restaient vifs, avec la crainte de parler de sa maladie et de ses conséquences à ses proches par exemple. D’autres ont mentionné avoir le sentiment de ne pas être encore pleinement accepté par la société, et qu’un des freins serait le manque de connaissance sur la notion d’indétectabilité. Certain·e·s ont exprimé que vivre avec le VIH était un « non-sujet », que cela faisait désormais partie intégrante de leur vie, au même titre qu’une multitude d’autres aspects plus ou moins importants.
Cette journée a donné l’occasion aux professionnel·le·s d’Empreinte de faire le point avec les participant·e·s sur les connaissances actuelles en matière de VIH. Par les différentes trajectoires de vie mais aussi d’accompagnements dans le système de soins, quelques disparités de savoirs pouvaient être présents chez les futur·e·s pair·e·s. Les fonctions de base d’une cellule et la façon dont elle est attaquée par le virus ont été révisées, tout comme le fonctionnement des trithérapies. Il a également été revu les risques de transmission et les droits des PvVIH, comme celui de ne pas être obligé d’annoncer sa séropositivité à son·sa partenaire d’un soir si l’on est indétectable. Il semblait important que les pair·e·s, dont certain·e·s vivent avec le virus depuis plusieurs dizaines d’années, puissent bénéficier d’informations récentes sur le sujet, afin de transmettre un discours adéquat aux personnes nouvellement diagnostiquées. De plus, l'équipe a remarqué que l’un des facteurs motivationnels principaux pour devenir mentor était précisément de libérer la parole et de participer au changement des mentalités, vers une société plus inclusive et moins sérophobe.
Empreinte dispose désormais d’une équipe de quatre pair·e·s mentor·e·s et propose cette prestation à la population concernée. Le premier mentorat a démarré en septembre 2023 et les échos sont positifs. Le programme se nomme « Entr’aide + », à l'instar de celui du CHUV et avec leur accord. Promouvoir l’échange intercantonal et permettre des synergies entre les programmes s’inscrit donc également comme l’un des objectifs d’Entr’aide +. En tous les cas, qu’il soit fribourgeois ou vaudois, le programme vise le même but : donner l’opportunité aux personnes nouvellement diagnostiquées de mieux vivre un moment clé de leur existence.
Un espace dédié à la santé sexuelle
Le Centre Empreinte de la Fondation Le Tremplin, à Fribourg, est actif dans l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH (PvVIH) depuis 1994. Au début de l’activité du Centre, les PvVIH, ainsi que leur entourage, étaient accompagnées sur une multitude d’aspects, de l’annonce du diagnostic, entraînant des démarches administratives, aux soins palliatifs. Au fil des années, ces missions se sont modifiées. Aujourd’hui, Empreinte est un centre de compétences en santé sexuelle. Il est actif dans la promotion de la santé sexuelle et de prévention du VIH et des infections sexuellement transmissibles (IST). Il est en outre engagé dans la lutte contre les discriminations liées aux genres et sexualités.
Bibliographie
- Jaouen, A., Loup, S., Sammut, S. (2006). « Accompagnement par les pairs, confiance partagée et résilience : illustration au travers du cas Voiles d'Oc ». Revue de l’Entrepreneuriat / Review of Entrepreneurship, 5, 59-72.
- Le Cardinal, P., Roelandt, J., Rafael, F., Vasseur-Bacle, S., François, G., Marsili, M. (2013). « Pratiques orientées vers le rétablissement et pair-aidance : historique, études et perspectives ». L'information psychiatrique, 89/5, 365-370.
- SWISS AIDS NEWS (Association Suisse contre le Sida), Relaxant., 4, 2022.
[1] Cette journée s’est déroulée le le 1er avril 2023 à Fribourg.
Lire également :
- Quentin Delval, «Les conséquences sociales du privilège d'intimité», REISO, Revue d'information sociale, publié le 14 novembre 2022
- Jean-Christophe Pastor et Léa Beaud, «Vers une formation de formateurs avec «D.I»», REISO, Revue d'information sociale, publié le 1er septembre 2022
- Francesca Poglia Mileti, Michela Villani, Laura Mellini, Brikela Sulstarova, Pascal Singy, «Jeunes, migration et socialisation sexuelle», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 28 novembre 2019
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Rémi Bays, «Grâce aux pair·e·s, la vie peut reprendre son cours», REISO, Revue d'information sociale, publié le 9 novembre 2023, https://www.reiso.org/document/11585