L’enfant face au divorce de ses parents
Que vit un enfant lorsque ses parents se séparent ? Comment comprendre ses réactions ? Comment l’aider au mieux ? Une nouvelle campagne de la Fondation As’trame sensibilise le public à ces questions.
Par Anne de Montmollin, directrice adjointe, Fondation As’trame
Du point de vue de la société, le divorce est une réalité répandue : plus d’un couple sur deux se sépare et de nombreux enfants partagent leur vie entre deux parents qui ont chacun pris une direction différente. Du point de vue personnel pourtant, cette situation reste loin d’être banale.
Dans la vie d’un enfant, la séparation de ses parents représente une rupture fondamentale qui bouleverse des liens essentiels sur lesquels il construit son identité. La plupart ont les ressources pour la surmonter, pour traverser le nécessaire processus de deuil et intégrer la nouvelle situation. Cependant, pour y parvenir il est important que l’enfant soit reconnu dans ce qu’il vit.
L’être humain est capable d’intégrer les ruptures qu’il traverse au cours de son existence en développant de nouvelles aptitudes à vivre. C’est avec cette conviction que la Fondation As’trame, créée en 1994, propose aux enfants et aux adultes des soutiens faciles d’accès et axés avant tout sur la prévention. Chaque année, quelque 150 enfants sont accueillis par les animatrices qui leur offrent un cadre sécurisant et une unité de travail sur la séparation appelée Parcours de reliance. Il s’agit d’un bloc de cinq séances thématiques encadrées par deux entretiens avec les parents. Chaque thème comprend une suite structurée d’activités pour parler de ce qu’ils vivent, exprimer et reconnaître leurs émotions, se recréer des repères et trouver des ressources pour avancer. Travaillant sur la base des représentations des enfants et favorisant les échanges entre eux, à leur niveau, les intervenantes As’trame sont devenues, au fil des années, les témoins privilégiés de leurs difficultés, de leur besoins. Elles ont aussi pu constater toute l’énergie et l’ingéniosité qu’ils mettent en œuvre pour s’adapter.
C’est de cette expérience qu’est née l’idée de la campagne. Une fois identifiées les difficultés récurrentes manifestées par les enfants, l’équipe a jugé important de les faire connaître pour sensibiliser les adultes. On constate en effet souvent dans les entretiens avec les parents un décalage entre leur perception et celle de leurs enfants. Les parents pourtant se posent beaucoup de questions et cherchent comment « faire au mieux ». Ils sont demandeurs d’informations ou d’une validation de ce qu’ils ont mis en place. D’où l’idée de leur proposer des conseils et des pistes de réflexion.
Cette campagne s’adresse aux adultes en général, c’est-à-dire aussi bien aux parents, à la famille élargie qu’aux professionnel·le·s travaillant en lien avec l’enfance et la famille. Un entourage bienveillant et attentif peut en effet être d’un grand secours lorsque les parents sont momentanément trop pris dans leurs propres difficultés pour offrir aux enfants l’espace d’expression qui leur est nécessaire.
Pour parler de la souffrance des enfants sans verser dans le pathos, ni culpabiliser les parents, As’trame a choisi de mettre en images les cinq thématiques avec l’aide d’une illustratrice sensible aux questions sociales et éducatives, Anita Casal, qui a travaillé à plusieurs reprises avec des animatrices de Vaud, Neuchâtel et Genève pour s’imprégner des différents témoignages, des situations décrites, et les rendre sous forme de dessin.
Avec le soutien de Promotion Santé Suisse, la campagne a démarré à Neuchâtel début 2012, avant d’être lancée fin novembre 2012 sur Vaud et Genève [1]. Présentation des cinq thèmes choisis [2].
1. L’enfant submergé par ses émotions
Confronté au bouleversement d’une séparation parentale, un enfant ressent tant de choses qu’il lui est difficile de reconnaître et d’exprimer les différentes émotions qui le remplissent. Il les manifeste alors autrement. Ce sont souvent les garderies ou l’école qui tirent la sonnette d’alarme face à des comportements agressifs ou une agitation excessive. Parfois aussi, ce sont les parents qui n’en peuvent plus des disputes à la maison. Dans les groupes As’trame, les enfants ont l’occasion d’identifier les différentes émotions qui les touchent et de comprendre ce qui se passe en eux. Par exemple cet enfant d’une dizaine d’années qui a pu dire que, depuis la séparation, ses copains l’énervaient. Il reconnaissait que ce n’était pas eux qui avaient changé, mais lui.
L’équipe As’trame a jugé important de montrer aux adultes le chaos que peuvent former les différentes émotions dans la tête d’un enfant, et le besoin qu’il a de trouver un espace où les exprimer. En même temps, il faut préciser que ces émotions sont normales, a priori, et qu’elles aident l’enfant à avancer. Par contre, s’il s’enferme de manière intense et fréquente dans un type de réaction, il vaut la peine de chercher de l’aide auprès de professionnel·le·s.
2. L’enfant qui perd ses repères
De la même manière, il a paru important aux animatrices de montrer combien un enfant peu se sentir perdu lorsque ses repères spatio-temporels volent en éclat et qu’il doit se réhabituer à une nouvelle réalité. Celle-ci est faite de deux maisons et d’un temps à partager entre ses parents selon des règles qui lui échappent vite et sont parfois changées sans préavis. Les parents ne comprennent pas toujours quelle énergie formidable les enfants doivent mobiliser pour s’adapter. Les intervenantes As’trame peuvent ainsi voir en entretien des parents s’inquiéter d’un enfant étourdi et tête en l’air alors que, dans le groupe, elles trouvent un enfant épuisé qui se dévalorise parce qu’il n’arrive pas à gérer tous les nouveaux paramètres qu’il doit prendre en compte.
Le message que veut faire passer As’trame, c’est qu’il est possible d’accompagner l’enfant dans cet apprentissage. D’abord en reconnaissant sa difficulté, puis en l’aidant à se recréer des repères, à l’aide par exemple d’un calendrier imagé ou d’un bricolage figurant sa répartition du temps.
3. L’enfant qui console un parent
On rencontre aussi des enfants qui se montrent plus joyeux ou plus serviables que nécessaire pour tenter de soutenir un parent qu’ils sentent en grande souffrance. Le danger est que l’enfant perde ainsi, petit à petit, sa place d’enfant et se charge de problèmes qui ne sont pas les siens. Là aussi, il a paru important de sensibiliser l’entourage pour qu’il y soit attentif, de dire aux parents qu’ils prennent soin d’eux-mêmes et osent remettre l’enfant à sa place si nécessaire.
De ce point de vue, il est également essentiel que les parents sachent marquer la différence entre ce qui est du niveau des adultes et ce qui est du niveau des enfants. Une démarche parfois difficile lors de conflits, notamment lorsque l’enfant devient le messager entre ses deux parents.
4. L’enfant pris dans un conflit de loyauté
Un élément fondamental à prendre en compte dans les situations de conflit ou de tensions entre les deux parents, c’est que l’enfant n’a pas le choix, il restera toujours le fils ou la fille de ses deux parents. Cela peut paraître évident, énoncé comme cela, mais ce n’est pas toujours facile de faire comprendre aux adultes qu’il est forcément déstabilisant pour un enfant d’entendre critiquer un de ses parents. Etre pris à parti par un parent contre l’autre le met dans une situation insupportable, même s’il ne peut pas l’exprimer ou le verbaliser.
C’est un point qu’il est important de travailler avec les parents et qu’il nous a paru essentiel à mentionner dans cette campagne.
5. L’enfant qui cherche à réunir ses parents
Une autre constatation marquante des animatrices As’trame concerne le fantasme récurrent et persistant des enfants qui souhaitent réunir leurs parents. Ils sont capables de déployer de nombreux stratagèmes pour tenter d’y parvenir. On assiste ainsi parfois à des discussions d’enfants qui échangent des trucs pour attirer l’attention conjointe de papa et maman dans un moment de transition. Ils se donnent par exemple des conseils sur la façon de se faire pleurer.
Cela est donc également apparu comme un message important à faire passer au parent : être aussi clair que possible sur la séparation, donner à l’enfant des éléments concrets, tout en le rassurant par ailleurs sur le fait que, même s’ils ne sont plus un couple, ses parents restent ses parents.
Si l’objectif de la campagne est de sensibiliser les parents et l’entourage aux souffrances rencontrées par les enfants lors d’une séparation, il est aussi d’y rendre attentif les professionnel·le·s travaillant en lien avec l’enfance et la famille [3]. Car si ces difficultés ne sont pas prises en compte au moment où elles se manifestent, elles risquent, au fil du temps, de dégénérer en troubles du comportement, agressivité, violence, addictions, etc., ou encore en pathologies telles que des dépressions.
[1] As’trame est en effet présente dans cinq cantons romands : Vaud où l’approche a été lancée en 1994, puis Genève où une antenne a ouvert en 2006, ensuite Neuchâtel, Fribourg et Valais depuis de 2009.
[2] A voir aussi sur le site internet d’As’trame.
[3] Les professionnels et institutions qui le souhaitent peuvent commander gratuitement des affiches pour leur hall d’entrée ou salle d’attente, de même que des brochures à distribuer.
Ceux qui sont régulièrement confrontés à ces situations ont par ailleurs la possibilité d’approfondir leurs connaissances et d’acquérir des outils concrets pour les gérer dans le cadre des formations proposées par la fondation As’trame. En savoir plus sur cette page du site d’As’trame.