En attente d’un foyer pour son enfant
Le canton de Neuchâtel, comme la Suisse romande, manque de places dans les institutions pour les jeunes en rupture sociale, familiale ou scolaire. Comment les parents vivent-ils l’attente du placement souhaité pour leur enfant ?
Par Anouk Sammt, travail de bachelor, Haute école fribourgeoise de Travail social
Le manque de place dans les structures médico-sociales de Suisse romande a notamment été identifié pour trois publics particuliers : les personnes âgées nécessitant une entrée en EMS, les personnes handicapées arrivant à majorité et les personnes vieillissantes avec handicap. Peu de documents analysent par contre le manque de places institutionnelles pour des mineurs (entre 6 et 16 ans) en rupture sociale, familiale ou scolaire. C’est ce que la recherche [1] présentée ici essaie de montrer. Le but de ce travail a été de mettre en avant ce que des parents en demande d’aide peuvent ressentir, vivre et prendre comme décisions lorsqu’ils doivent attendre qu’une place pour leur enfant se libère dans une institution. Une composante importante de la recherche exigeait que les parents rencontrés soient demandeur d’aide et que leur(s) enfant(s) ai(en)t d’abord été placé(s) dans une structure d’urgence.
Un état de situation sur le manque réel de place institutionnelle a été réalisé dans tous les cantons romands avec l’aide des services placeurs et des institutions d’urgence. Il s’est avéré que la problématique du manque de place était présente dans plusieurs cantons, mais pour des raisons de critères de recherche et de collaboration avec les institutions, le choix de l’étude s’est porté sur le canton de Neuchâtel. Une seconde collaboration avec les institutions qui accueillent des jeunes en âge de scolarité obligatoire a été nécessaire afin de rencontrer des parents qui avaient vécu une période d’attente entre le placement de leur(s) enfant(s) dans une structure d’urgence et dans l’institution adaptée à un séjour à plus long terme. Le groupe des cinq parents qui ont accepté de participer à la recherche a été constitué sur plusieurs critères : avoir eu un ou des enfant(s) placé(s) dans une structure d’urgence, être demandeur d’aide, chercher un placement civil [2], être sorti de l’attente depuis six mois au minimum et depuis deux ans au maximum. C’est grâce à la collaboration des professionnel-le-s des différentes institutions du canton de Neuchâtel que ce groupe a pu être constitué.
Les cinq parents qui ont témoigné pour cette recherche ont raconté leur vécu sous une forme qui a été la leur, les entretiens semi-directifs les ont guidés vers quatre moments différents afin d’obtenir les informations nécessaires à l’analyse.
Le ressenti lors de l’annonce du manque de place
Les parents ont de nombreuses attentes face au placement d’urgence et au placement à long terme. Ils espèrent notamment un changement de la situation, un changement du comportement de l’enfant, la stabilité, retrouver du plaisir avec l’enfant, ne pas être épuisé donc avoir du temps pour soi, la protection pour l’enfant, avoir de l’aide, poser un cadre, des limites et des règles à l’enfant.
Lorsque les parents ont appris qu’il n’y avait pas de place disponible dans l’institution adaptée à la problématique de leur enfant, il y a donc eu un décalage entre leur attente et la réalité. Leurs réactions ont été vives. « Je me suis écroulée. » « C’était la panique. » « C’était décevant. » « Pour moi, c’est allé car je savais que, quand il y aurait une place, il le transférerait. » « C’était la catastrophe, (…) je n’y croyais pas. Tout s’écroulait. » « J’ai eu envie de pleurer et en même temps j’étais inquiète. » « J’étais désespérée. »
Pour certains parents, l’annonce a été moins catastrophique que pour d’autres, car ils ont obtenu en même temps une réponse des professionnel-le-s qui permettait de pallier au manque de place. Mais de manière générale, il a été difficile pour tous les parents d’apprendre qu’il n’y avait pas de place disponible dans l’institution adaptée à leur enfant. Les parents ont parlé de panique, de déception, de désespoir : ces termes sont forts et montrent que l’expérience d’attente due au manque de place fait souffrir les familles.
Le processus de décision pour une solution provisoire
Certains parents n’ont pas eu besoin de prendre de décision pour pallier à l’attente car se sont les professionnel-le-s qui leur ont donné une solution provisoire. Certains enfants ont ainsi pu rester dans la structure d’urgence le temps de l’attente. Dans ce contexte, il faut préciser que les travailleuses et travailleurs sociaux sont eux aussi soumis à certaines contraintes et ne peuvent donc pas toujours proposer des solutions aux familles (comme par exemple prolonger le séjour d’un enfant dans une structure d’urgence).
Dans une famille, le jeune a dû aller dans une institution provisoire en attendant qu’une place dans la bonne institution se libère. Dans ce cas, c’est le juge qui a pris les décisions et le parent a donc uniquement pu l’approuver.
Pour une autre famille, les choses ont été plus difficiles, car le jeune a dû rentrer à la maison durant plusieurs semaines avant de pouvoir être placé. Le parent témoigne : « L’institution a dit qu’elle ne pouvait pas le garder, car il y avait d’autres enfants qui devaient venir. (…) On a réfléchi et tourné le problème dans tous les sens avec son père, mais il n’y avait pas d’autre possibilité. Je n’ai pas vraiment eu le choix. C’est mon fils et je l’aime, je n’avais que cette solution : le reprendre chez moi et attendre une place dans le foyer pour jeune apprenti. »
Il a été difficile de comprendre tous les mécanismes de réflexion et d’analyse du processus de décision des parents rencontrés. Mais la théorie de Jean-Paul Lavergne [3] démontre que, pour prendre une décision, il faut poser des objectifs, regrouper les informations et en chercher des complémentaires, faire des hypothèses de compréhension et d’action, choisir la meilleure hypothèse d’action et la mettre en œuvre. Ce processus a été observable autant chez les parents que chez les professionnel-le-s du travail social.
La collaboration avec les différents professionnel-le-s
Les ressentis ont aussi été contrastés du point de vue de la collaboration des parents entre eux et avec les différents professionnel-le-s qu’ils ont rencontrés durant le placement d’urgence, l’attente et le placement à plus long terme. Le besoin des parents d’être considérés, pris en compte, écoutés, soutenus a été très perceptible dans leurs commentaires.
Les parents ont souligné ce besoin d’échange et de communication avec les professionnel-le-s. Ils l’ont tous mis en avant, que ce soit parce qu’il y avait un manque ou au contraire parce que les professionnel-le-s ont eu ces attentions envers eux. Ainsi, le besoin des parents d’être pris en compte dans la situation de leur enfant rejoint le principe de l’approche systémique de plus en plus utilisée dans les institutions.
Le ressenti lorsqu’une place se libère
Comment les parents ont-ils réagi lorsqu’ils ont appris qu’une place était disponible pour leur(s) enfant(s) ? « C’était bien qu’il y ait une place. (…) Mais moralement, c’est très dur. (…) Il y avait de la tristesse dans ce placement, beaucoup de tristesse. » « J’ai ressenti du soulagement et en même temps beaucoup de culpabilité. » « J’ai été soulagée. » « Sur le moment, j’ai été contente. Mais en même temps, c’est horrible de mettre son enfant en institution, donc j’étais mal. »
Deux sentiments ont ainsi été exprimés. D’une part le soulagement de ne plus être dans une période d’attente et d’incertitude, mais d’autre part la culpabilité de ne pas avoir pu faire différemment, d’avoir dû mettre son enfant dans une institution. Ces deux ressentis, forts et opposés, ont été observés chez tous les parents rencontrés.
Cette recherche a permis aux parents de s’exprimer librement sur le placement de leur(s) enfant(s). Un parent a par exemple soulevé la contradiction d’avoir demandé le placement, mais d’y être opposé. Un autre a mis en avant l’impact du regard des autres sur sa décision de placer ces enfants. Un autre encore a insisté sur la difficulté de demander de l’aide et de devoir mettre son enfant dans une institution.
Cette recherche a finalement rappelé que le manque de place n’est pas qu’une problématique institutionnelle, financière et politique. Il crée une situation humainement douloureuse pour les familles concernées.
[1] « Le manque de place institutionnelle : comment pallier à l’attente pour le placement civil d’un enfant en âge de scolarité obligatoire », Anouk Sammt, travail de bachelor à la HEF-TS.
[2] Les placements pénaux n’entrent dans le cadre de cette recherche.
[3] LAVERGNE Jean-Paul, La décision, psychologie et méthodologie, Paris, Editions ESF, 1983.