Le mitan de la vie, temps du bilan
Arrivées à l’âge mûr, de nombreuses personnes vivent une crise existentielle. Certaines divorcent ou changent de cap. D’autres redéfinissent sereinement leur identité. Chiffres et réflexion sur cette période délicate.
Par Pasqualina Perrig-Chiello, professeure à l’Institut de psychologie de l’Université de Berne et cheffe du projet « Vulnérabilité et développement : Partenariat dans la deuxième moitié de la vie - défis, pertes et gains » dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES
Des données sur l’impact du divorce et du veuvage à l’âge mûr
Dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES – Surmonter la vulnérabilité : perspective du parcours de vie (PRN LIVES), l’équipe* dirigée par la Prof. Pasqualina Perrig-Chiello a interrogé 2761 personnes âgées de plus de 40 ans, dont environ deux tiers avaient vécu une perte ou une séparation dans les dernières années.
La fin d’une relation intime est l’un des événements les plus courants, mais également les plus stressants de la seconde partie de la vie, impliquant un fort potentiel de vulnérabilité. Le veuvage en tant que tel est un sujet typique de la gérontologie et de la psychologie clinique, mais a été peu étudié par la psychologie du développement. Quant à la question de la séparation et du divorce, les recherches ont surtout porté jusqu’à présent sur des groupes d’âge plus jeunes, alors même que ce phénomène est en forte augmentation dans toutes les classes d’âge : chez les seniors, le nombre de divorces après plus de 30 ans d’union est en effet passé de 17% en 1960 à 36% en 2010.
Les données récoltées en 2012 par l’étude interdisciplinaire et longitudinale du PRN LIVES visaient à obtenir des informations sur ce qui maintient les couples unis au fil des ans, sur la façon dont les personnes gèrent l’absence de partenaire après une vie matrimoniale de longue durée, et sur les ressources et facteurs décisifs pour surmonter une telle perte. L’ensemble des participants sera recontacté en 2014 afin de voir l’évolution de leur situation.
Les premiers résultats montrent que le temps cicatrise bien des blessures. Mais si les symptômes dépressifs diminuent, très fortement après la première année et progressivement avec les suivantes, ils restent cependant légèrement plus élevés chez les personnes divorcées et veuves depuis plus de cinq ans que chez les personnes en couple.
75% des personnes veuves ont affirmé avoir pu compter sur l’aide de quelqu’un pour surmonter leur deuil. Deux tiers des hommes divorcés et 18% des veufs indiquent également avoir renoué une nouvelle relation depuis l’événement, alors que seul un peu plus d’un tiers des femmes divorcées et 3% des veuves sont dans ce cas. Il est intéressant de noter que si les personnes divorcées remises en couple présentent un état psychique nettement meilleur que celles restées seules, les personnes veuves remises en couple ne se différencient pas, en ce qui les concerne, des personnes veuves vivant seules.
Un millier de participants à l’enquête étaient pour leur part toujours en couple au moment de l’enquête. 85% d’entre eux ont déclaré que leur partenaire était le grand amour de leur vie, les femmes indiquant cependant une moindre satisfaction dans leur vie de couple que les hommes. Le projet vise notamment à voir si une typologie des personnes mariées depuis longtemps et heureuses en couple peut être établie. P. P.-C.
*Informations et bibliographie sur ce projet en ligne.
Que se passe-t-il quand on arrive à la moitié du chemin ? La satisfaction de vie est au plus bas. Beaucoup de personnes ressentent un besoin de changement. Mais la plupart voient aussi cette période comme une opportunité, et c’est ainsi que le contentement reprend ensuite une courbe ascendante.*
À l’âge mûr, nombreuses sont les personnes qui ont envie de changement. Ce besoin s’accompagne souvent d’une certaine saturation quant aux différents rôles joués dans la famille, au travail et dans la société. Parallèlement, au mitan de la vie, la courbe de satisfaction de vie est au plus bas en comparaison avec les autres tranches d’âge. Que se passe-t-il donc à l’âge mûr ? Quelles pensées occupent l’esprit des personnes qui l’atteignent ? Des facteurs professionnels, familiaux et sociétaux jouent assurément un rôle, mais les processus développementaux psychiques sont déterminants.
Une nouvelle ère
Le mitan de la vie s’accompagne d’un changement d’orientation temporelle : on ne pense plus en termes d’années écoulées après la naissance, mais en unités de temps qu’il nous reste à vivre. Ce changement de perspective temporelle donne généralement lieu à une réflexion sur les projets de vie que l’on avait. À un âge où les options professionnelles, familiales et sentimentales diminuent progressivement et où les ressources physiques s’amenuisent, on réalise pour la première fois l’importance de ce que l’on a atteint ou non.
Ça y est, c’est déjà tout ? Comment le reste de ma vie devrait-il se dérouler ? Devrait-il suivre le même modèle que jusqu’à maintenant ? Cette idée n’est-elle pas insupportable ? Comme les limites existentielles de nature professionnelle et sentimentale sont désormais plus palpables, elles peuvent être perçues – selon la personnalité et la situation personnelle – soit comme un fardeau soit comme une incitation au changement. Les aspects de soi que l’on a éventuellement mis de côté au début de l’âge adulte deviennent de plus en plus évidents et constituent souvent un défi.
Les occasions ratées qui ne demandent qu’à être réalisées sont courantes. En tout état de cause, le fait qu’on puisse encore espérer vivre une quarantaine d’années au mitan de la vie incite notamment à rechercher les moyens de réorienter sa vie dans différents domaines.
De nombreuses personnes d’âge mûr se retrouvent dans une situation apparemment paradoxale. D’un côté, elles disposent objectivement de nombreuses, voire de trop de possibilités. Le credo postmoderne « Tout est possible » ou « Tu peux te le permettre » est certes séduisant mais aussi souvent déstabilisant et surtout, il contraste fréquemment avec les possibilités réelles. D’un autre côté, les mêmes personnes sont prisonnières de tant de contraintes et de responsabilités qu’elles s’épuisent progressivement, souffrent en silence et entretiennent coûte que coûte leurs vieux rôles, ou alors elles éclatent tout à coup. Certains événements, en particulier dans le domaine relationnel, arrivent souvent de manière totalement inattendue et remettent tous les acquis en question.
Ce processus s’accompagne aussi d’expériences douloureuses liées à la perte de contrôle, d’incertitudes quant à la réorientation et de sentiments de culpabilité. Les ressources dont dispose chaque individu, telles que la personnalité, le niveau d’éducation, le couple, l’intégration sociale et la santé, déterminent ensuite en grande partie s’il en résulte une crise existentielle et, le cas échéant, comment la personne gèrera la situation. Indépendamment de la manière dont est vécue cette période de transition, toutes les personnes concernées ont en commun de rechercher le sens de leur vie et de la redéfinir.
Les phases transitoires comme celle de l’âge mûr ne sont pas seulement négatives, elles représentent aussi une grande opportunité. Elles forcent les individus à réfléchir à eux-mêmes et à leur contexte de vie et ouvrent également la voie au changement. L’abandon nécessaire des anciens rôles et la définition de nouveaux rôles coûtent de l’énergie, car comme dans les autres phases de transition de la vie (comme la puberté), il s’agit bel et bien d’une redéfinition de l’identité (physique, psychique et sociale). Alors que la jeunesse connaît une quête identitaire qui consiste à se positionner d’un point de vue social et sociétal (selon un processus d’extériorisation), la redéfinition de l’identité pendant l’âge mûr consiste à reconfronter les efforts que l’on a déployés jusque là à ses propres besoins (selon un processus d’intériorisation).
Quelle est la meilleure stratégie ? Y a-t-il vraiment des solutions acceptables et des possibilités d’évolution ? Une bonne option consiste en tout état de cause à réfléchir aux projets de vie que l’on avait (Qu’ai-je réussi ? Qu’ai-je laissé de côté ?), à anticiper l’avenir (Quel avenir aimerais-je avoir ?) et à redéfinir sa propre identité (Qu’ai-je encore en moi ?). L’issue de ces réflexions et l’émergence de possibilités d’évolution dépendent largement des conceptions et des attitudes de chacun.
La recherche scientifique et la pratique nous disent que de telles remises en question ne dépendent pas principalement d’éléments objectifs, mais qu’elles sont étroitement liées à la personnalité d’un individu. Ainsi, des personnes aux vies tourmentées peuvent très bien en arriver à un bilan positif. Ce sont des personnes ouvertes à l’expérience et émotionnellement stables. D’autres personnes, chez lesquelles les éléments objectifs laisseraient attendre un bilan positif, ne sont souvent pas en mesure de le reconnaître, sont mécontentes et ont le sentiment d’être passées à côté de beaucoup de choses.
La responsabilité individuelle et l’esprit d’anticipation s’avèrent en tout cas des « qualifications clés ». Les personnes qui ont une responsabilité personnelle marquée assument leurs destinées et leur état d’esprit. Elles savent que, dans les coups du sort, il faut saisir le gouvernail, changer complètement de cap ou bien le maintenir en procédant à quelques réaménagements.
La force de la sérénité
Être proactif consiste à développer des visions sans perdre le sens de la réalité, à adopter une perspective à long terme, à se montrer persévérant et à imaginer des stratégies pour que ces visions deviennent réalité. De nombreuses personnes n’acquièrent cette aptitude qu’une fois après avoir traversé une grave crise.
A posteriori, nombreuses sont celles qui sont reconnaissantes : elles auront appris à être plus satisfaites et plus modestes, mais aussi surtout plus sereines quant à ce que la vie leur réserve encore. Les résultats de nos recherches montrent que les multiples difficultés de l’âge mûr sont aussi perçues comme une opportunité par la plupart des gens.
La nette progression de la sérénité au fil de la vie indique en tout cas que l’être humain a une importante capacité d’adaptation psychique, et prouve également que les crises existentielles ont un potentiel de développement. Vu sous cet angle, l’âge mûr représente une occasion en or pour donner un nouveau sens à son existence et poser les jalons de la deuxième moitié de sa vie. Par la suite, la courbe du contentement de la vie repart alors – en tout cas selon la moyenne statistique – vers le haut !
*Cet article a paru en allemand le 5 juin 2013 dans la Neue Zürcher Zeitung.