Aide sociale : un parcours de combattant
Créer de nouveaux obstacles pour refuser l’accès à l’aide sociale : le canton de Berne l’a fait avec les « emplois tests ». Un arrêt du tribunal administratif met le holà à cette pratique jugée illégale.
Par Ueli Tecklenburg, ancien secrétaire général de la CSIAS, Crissier
Dans ses services d’aide sociale, le Canton de Berne a récemment introduit des « emplois tests » [1]. Cette nouvelle mesure a été décidée après une phase pilote menée dans les communes de Berne, Bienne, Thoune, Langenthal et Ittigen.
En fait, ces « emplois test » s’inspirent du projet « Passage » introduit par la Ville de Winterthour il y a une dizaine d’années déjà. Selon les responsables, le modèle « Passage » devrait exercer, outre la préparation à une réinsertion professionnelle, une fonction de gate keeping (gardien de portail). Les auteurs l’affirment dans une description du projet : « Dans une certaine mesure, le projet doit servir d’obstacle pour les personnes qui s’annoncent à l’aide sociale alors qu’elles sont capables de travailler. Pour atteindre ce but, comme condition préalable à l’obtention de l’aide sociale, une prestation en travail d’une durée d’un mois est demandée à toute personne ne disposant pas de critères d’exemption » [2] (pour raison de santé, etc). A Winterthour, les personnes qui s’inscrivent à l’aide sociale sont assignées à des travaux dans la forêt municipale où elles « ramassent des ordures le long des chemins forestiers et des installations sportives et accomplissent d’autres tâches de nettoyage dans la forêt ».
En Ville de Berne, les emplois test consistent notamment en travaux de nettoyage et d’entretien dans les espaces verts d’une durée de un à deux mois. Pendant ce laps de temps, les personnes astreintes reçoivent un salaire de 2’600 francs pour un travail à plein temps. La Ville de Berne dispose de 10 emplois tests afin d’évaluer la capacité de travail et la disposition au travail des personnes candidates à l’aide sociale. La notion de gate keeping en dit long sur ses intentions. En effet, une partie des personnes recourant nouvellement à l’aide sociale ne se présentent pas à cette « mobilisation au travail » et sont par conséquent exclues de l’aide sociale. « D’abord au travail – ensuite le soutien » titrait même la Neue Zürcher Zeitung à propos du modèle de Winterthour [3]. Même si des partisans du modèle – qui a trouvé des émules non seulement à Berne, mais aussi à Zurich et Bâle, entre autres – affirment qu’une petite minorité des personnes seulement est concernée par le projet, c’est l’esprit qui y préside qui laisse songeur.
Le tribunal administratif du Canton de Berne vient de juger l’affaire [4]. Il a décidé « d’arracher les dents au concept », comme l’écrit la Conférence cantonale bernoise de l’aide sociale dans une prise de position. En effet, le tribunal a jugé illégale la suppression complète de l’aide sociale suite à un refus d’un bénéficiaire de participer à un tel emploi test. Il explique que la suppression est admissible uniquement pour la durée prévue du travail (donc un ou deux mois), mais non pas de manière durable. Selon le jugement, le refus de participer à de tels travaux est certes une violation des devoirs de la part du bénéficiaire, mais le droit à l’aide sociale ne doit pas pour autant être remis en cause. Après les deux mois de travaux dans le cadre du projet, la personne se serait de nouveau trouvée « dans une situation de détresse ». La personne étant incapable de subvenir à ces besoins, la suppression pendant une période plus longue aurait constitué « une sanction non admissible ». Le chef du Service social de la Ville de Berne, Felix Wolffers, admet que le concept cantonal des emplois tests dans son ensemble est ainsi mis en cause par cet arrêt.
Mais ne nous réjouissons pas trop tôt. Dans ses considérants, le tribunal admet aussi qu’un « choix entre un travail rémunéré et l’aide sociale n’existe pas, même si l’activité ne correspond pas (complètement) aux envies et intérêts personnels (du requérant) ». Et plus loin : « Il n’y a pas d’objection à formuler sur le fait qu’aucune marge de négociation quant aux conditions de travail est consentie aux participants aux emplois tests. » Ainsi donc, selon la jurisprudence, il est admissible qu’une personne étant obligée de recourir à l’aide sociale soit privée d’une partie de ses droits élémentaires, en particulier le droit de négocier les conditions de travail. Cette privation résulte uniquement du fait que son salaire est versé par les pouvoirs publics – dans le cadre de prestations sociales certes – et non par un employeur privé par exemple.
Ce n’est pas la seule turbulence qui secoue actuellement l’aide sociale bernoise. L’UDC cantonale vient en effet de déposer une motion au Grand Conseil [5], intitulée « Réduction des coûts de l’aide sociale ». Elle demande l’abaissement des normes d’aide sociale à 90% des normes CSIAS (Conférence suisse des institutions d’action sociale) qui, dans le Canton de Berne, ont force obligatoire pour les communes. En même temps, le texte demande que le système incitatif de l’aide sociale soit renforcé. La motion critique entre autres les barèmes appliqués dans le canton parce qu’ils prévoient un minimum vital qui donne accès à une participation à la vie sociale et ceci avec peu ou pas de contrepartie du tout de la part du bénéficiaire. Les motionnaires donnent pour preuve de la « vie aisée » des bénéficiaires de l’aide sociale le « fait » qu’une partie non négligeable d’entre eux disposeraient d’une voiture privée. La motion devra être traitée au plénum du Grand Conseil en mars 2013.
[1] « Testarbeitsplätze » en allemand.
[2] Toutes les citations sont traduites par les soins de l’auteur de cet article.
[3] NZZ-online du 24 février 2011.
[4] Arrêt du tribunal administratif bernois 100.2011.428Ua du 18 octobre 2012.
[5] La motion sur le site internet du Grand Conseil.