La prévention par et pour les jeunes
A Genève, le Projet Prévention Médiation et Sécurité recourt à la médiation par les pairs pour pacifier une zone où se côtoient passants, fêtards et dealers. Partenaires publics et privés collaborent à la démarche.
Par Estelle Trisconi, chargée de communication pour le programme Jeunes et violence, Office fédéral des assurances sociales, Vionnaz
« On laisse parler la personne, on s’efforce d’aller dans son sens pour l’amener vers le nôtre. Notre rôle est de tempérer les choses et d’éviter les confrontations. » A entendre la description que Thomas fait de son « job », on comprend vite qu’il exige chez ceux qui l’exercent une grande finesse relationnelle. Thomas fait partie de la jeune équipe recrutée dans le cadre du Projet Prévention Médiation et Sécurité (PPMS) pour intervenir en soirée à la Promenade des Lavandières où des jeunes font la fête et où la présence de dealers s’est accrue depuis 2012.
A l’instar de Sophia, Morgane, Clyves, Milena et les autres qui arpentent l’esplanade genevoise par équipe de trois, le jeune homme n’est ni un professionnel du travail social ni un complet dilettante. C’est un « pair », avec les préoccupations de son temps mais engagé et formé pour adresser des messages préventifs à des jeunes de son âge. Une figure hybride, un intervenant à cheval entre deux mondes, mais au final un interlocuteur de choix. « Les jeunes qui approchent d’autres jeunes ont des compétences naturelles. Ils partagent le même langage, la même posture, la même sensibilité, le type de choses pas forcément visible. Il y a une co-reconnaissance entre ceux qui abordent et ceux qui sont abordés », analyse Rémy Benoît, représentant de la Fédération genevoise pour la prévention de l’alcoolisme (FEGPA) au sein du comité de pilotage.
Les pairs y gagnent aussi. « Ce travail est valorisant. Ils se servent de leur propre expérience pour renseigner les autres. Ceux qui sont à la recherche d’une formation professionnelle se trouvent à nouveau motivés à apprendre quelque chose », observe Fanny Léchenne, consultante en prévention communautaire auprès de Point jeunes, le service de prévention spécialisé de l’Hospice général. Cette organisation co-pilote le projet aux côtés de l’association La Barje. En juillet 2013, les pairs ont enregistré en moyenne vingt-quatre contacts par soir. Le potentiel socio-préventif du projet a éveillé l’intérêt du programme national Jeunes et violence de l’Office fédéral des assurances sociale qui l’a soutenu financièrement [1].
Le dialogue placé au centre
La médiation par les pairs, au cœur du PPMS, a été mise en place après l’étude d’autres expériences. Le comité de pilotage a en effet analysé les pratiques existantes auprès des Health’s Angels à Yverdon, des Frangins-Frangines au Paléo Festival et du mouvement Lâche pas ton pote à Chêne-Bougeries.
D’emblée, les dix pairs à l’œuvre ont été munis d’un même t-shirt estampillé « Promenade des Lavandières » et ont intégré des règles communes de fonctionnement. Parmi ces règles : remplir des fiches d’intervention, désigner un responsable d’équipe, rester abstinent pour l’exemplarité, suivre une formation à la fois pratique et théorique, respecter un protocole d’intervention concerté. Les équipes sont formées et habilitées à intervenir aussi bien pour améliorer la prévention ou réduire les risques que pour gérer les conflits. Dans cet objectif, les trios réunissent un jeune pair âgé de 18-20 ans, un intervenant de 20-30 ans sensibilisé au lien social et à la santé (étudiant en travail social par exemple) et un autre plus âgé, 30- 35 ans, au bénéfice d’une expérience dans la médiation et la gestion de conflits. La mixité des origines socioculturelles et des sexes s’est avérée efficace pour amorcer des contacts en langues étrangères et pour aborder des sujets de sexualité. Le dispositif a été réajusté au fil des semaines, notamment par la mise en place d’un petit stand fixe en complément de l’action mobile.
« Mettre le travail relationnel au centre » : ce principe mis en avant par le Guide des critères de bonnes pratiques (Fabian & al., 2014) est aussi la priorité du projet genevois. Cet objectif qui exige du temps et de la persévérance est à envisager quel que soit l’espace où l’on veut contrer la violence : social, familial ou scolaire.
L’action du PPMS visant à pacifier un lieu où les tensions étaient vives applique un autre principe de la lutte contre la violence juvénile : le développement et l’incarnation de valeurs prosociales. Ces valeurs se manifestent notamment par « la capacité à faire confiance aux autres, à accepter le libre arbitre ou l’autonomie de chacun ainsi qu’à une communication interpersonnelle harmonieuse ». Valeurs incarnées en première ligne par les pairs eux-mêmes mais aussi, dans une moindre mesure, par un faisceau d’acteurs a priori inattendus sur le terrain de la prévention : des partenaires privés.
La coopération entre tous les acteurs
Aux côtés des organisations actives dans la prévention, comme Point Jeunes, la FEGPA et le Service de la jeunesse de la Ville de Genève, et aux côtés de la police, présente sur les lieux de manière renforcée, trois acteurs commerciaux se sont impliqués dans le PPMS : le patron d’une brasserie voisine, la société exploitant le Bâtiment des forces motrices et La Barje, active dans la réappropriation de l’espace public. C’est en réalité de ces voisins et d’une poignée d’autres qu’émane l’impulsion du changement.
Selon les recommandations du programme Jeunes et violence, les offres de prévention basées sur l’approche communautaire où les acteurs sont encouragés et exhortés à se mettre en réseau pour coopérer sont les plus pertinentes dans le combat contre la violence. Un constat encore plus vrai dans l’espace public où évolue un réseau complexe de groupes différents. Dans l’idéal, c’est un quartier tout entier qui doit se mobiliser, incluant les animateurs de jeunesse, la police, le département des travaux publics, la justice, les organisations de quartier, l’économie locale, les magasins, sans oublier les habitants eux-mêmes. C’est à ce prix-là qu’il est possible d’espérer des effets durables.
L’approche communautaire inclut également la prise en compte du milieu de vie des jeunes et de leur environnement spatial. Cette dimension structurelle de la violence juvénile, le comité de pilotage du PPMS en a saisi l’importance. Pose de barrières modulables et de mobilier pour délimiter la zone de terrasse où se concentrent les usagers de l’esplanade, installation de chaises longues : le réaménagement des lieux fait partie intégrante du projet, offre un regain de convivialité et une distinction plus nette entre les surfaces de terrains publics et privés.
La chasse aux détritus et les animations socioculturelles faisaient déjà l’objet d’une attention particulière de la part de l’association La Barje active sur les lieux à travers l’exploitation d’une roulotte. Ces démarches, qui se situent un peu en marge du phénomène de violence à endiguer, n’en demeurent pas moins des pistes d’action efficaces dans le sens d’une prévention globale. Il existe plusieurs autres manières d’agir sur le contexte, en privilégiant par exemple une utilisation participative de l’espace, des rénovations, un aménagement d’espaces verts, des campagnes d’image, des fêtes de quartier ou encore une amélioration de l’éclairage.
Valoriser le contrôle de la consommation
Selon l’OFAS, une attention particulière est aussi à porter à la consommation d’alcool, source potentielle d’actes de violence. Le cas genevoise illustre ce paradigme et permet en même temps de le nuancer. Pour la majorité des jeunes en effet, le fait de boire de l’alcool ne conduit pas à des incivilités. L’objectif du PPMS ne consiste d’ailleurs pas à interdire mais à prévenir les consommations abusives, y compris cannabis, cocaïne et autres drogues, à valoriser les comportements de consommation contrôlée, à aiguiller les intéressés vers des institutions ressources et à stimuler des attitudes positives pour la santé.
Les pairs reçoivent une formation spécifique de la part de la FEGPA. Ils y acquièrent des connaissances en matière de dispositions légales et développent à travers des jeux de rôle des compétences de terrain : déceler les signes, savoir parler du produit sans être experts. « Une des situations simulées montre un jeune qui vient se renseigner au sujet d’un problème d’alcool et se présente un joint à la main », illustre Fanny Léchenne, qui évoque également l’importance pour les pairs d’apprendre à entrer en communication avec des personnes sous l’emprise de la drogue.
Selon Averdijk et Eisner, agir ainsi, dans l’instant et sur le terrain, constitue une mesure plus prometteuse qu’un programme distillant uniquement des informations sur les effets néfastes de l’alcool.
Références bibliographiques
- Association La Barje (2014). Evaluation par le groupe de pilotage du projet, rapport d’auto-évaluation élaboré dans le cadre du projet de Prévention, Médiation et sécurité. Retrieved from La Barje
- Averdijk, M. & Eisner, M. (2014). Désormais en français : Prévention de la violence : Etat actuel du savoir sur l’efficacité des approches. Rapport élaboré dans le cadre du programme national suisse Jeunes et violence. Berne : Office fédéral des assurances sociales. Télécharger le rapport en format pdf, 278 pages
- Fabian, C., Käser, N., Klöti, T. & Bachmann, N. (2014). Critères de bonnes pratiques : Prévention de la violence juvénile dans la famille, à l’école et dans l’espace social. Guide élaboré dans le cadre du programme national suisse Jeunes et violence. Berne : Office fédéral des assurances sociales. Présentation sur REISO
[1] Le programme Jeunes et violence
Le Conseil fédéral a décidé, en juin 2010, de réaliser le programme national de prévention Jeunes et violence de 2011 à 2015. Ce programme, qui repose sur une coopération tripartite entre la Confédération, les cantons et les villes et communes, doit poser les jalons d’une prévention efficace de la violence en Suisse. Il se fonde sur quatre axes d’action : la constitution d’une base de connaissances pour la prévention de la violence, un vaste transfert de connaissances tournées vers la pratique, la création de structures durables pour la mise en réseau et l’amélioration de la coordination des mesures de prévention, d’intervention et de répression.
Ce programme national de l’OFAS a publié le Guide des critères de bonnes pratiques et le rapport Prévention de la violence : Etat actuel du savoir sur l’efficacité des approches. Voir références bibliographiques ci-dessus