Santé et aide sociale, enjeux croisés
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Une étude nationale est venue étoffer les connaissances de l’état de santé des bénéficiaires de l’aide sociale. Les troubles de santé rencontrés par ces personnes devraient en faire un groupe cible de mesures de politique de santé.
Par Dorian Kessler, collaborateur scientifique, département travail social, Haute école spécialisé bernoise, et Marc Höglinger, chef de la recherche sur les services de santé, Institut d'économie de la santé de Winterthur, Haute école des sciences appliquées, Zurich
Une série d'études internationales a montré que les personnes dépendantes des prestations de l'aide sociale pour assurer leur subsistance présentent davantage de troubles de la santé (Shahidi et al.) que la moyenne de la population. Ce phénomène est également connu en Suisse (Reich u. a.). Cependant, il n'existe que peu de faits qui pourraient représenter une base empirique pour développer des compétences et des offres appropriées dans les services sociaux.
Les études existantes confirment l'image d'un moins bon état de santé des bénéficiaires de l'aide sociale dans certaines villes suisses, mais ne permettent pas de tirer des conclusions fiables sur la situation à l'échelle nationale. De plus, ces recherches ne font pas de comparaison avec d'autres groupes dans des situations socio-économiques particulières, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats.
En outre, il a déjà été constaté que les bénéficiaires de l'aide sociale font souvent appel à des prestations de santé (Reich u. a.). Il n'est toutefois pas certain qu’ils·elles reçoivent celles dont ils·elles ont besoin. Enfin, il n'a pas encore été démontré le lien entre leur mauvais état de santé et une réintégration plus difficile du marché du travail.
L'étude « La santé des bénéficiaires de l'aide sociale », mandatée par l'Office fédéral de la santé publique et réalisée par la Haute école spécialisée bernoise et la Haute école des sciences appliquées de Zurich, a permis d’étoffer les connaissances sur ces questions ouvertes (Kessler et al.).
Ce travail s'est appuyé sur une base de données unique en son genre : une combinaison de relevés complets longitudinaux issus de la statistique des bénéficiaires de l'aide sociale ; des comptes individuels de l'AVS et du registre des rentes AI ; les données de l’enquête suisse sur la santé et de celle sur les revenus et les conditions de vie et enfin de celle sur la population active suisse. Elle a ainsi disposé d’un demi-million de réponses aux enquêtes sur la période 2007-2018.
À peine plus sain·e·s que les personnes à l’AI
L’étude a comparé l'état et le comportement en matière de santé des personnes concernées à celles et ceux qui touchent une rente AI, ainsi qu’aux individus en situation financière précaire mais qui ne reçoivent aucune prestation. Elle a également effectué une comparaison avec le reste de la population en âge de travailler.
Les bénéficiaires de l'aide sociale ont un état de santé nettement plus mauvais que le reste de la population et que les personnes en situation financière précaire. Ce constat se vérifie autant en ce qui concerne l'évaluation subjective que les indicateurs objectifs que sont les maladies chroniques ou la multimorbidité.
Les différences les plus marquées concernent la qualité de vie, la charge psychique et les symptômes dépressifs. En plus, ils et elles souffrent beaucoup plus souvent de douleurs intenses que le reste de la population. Dans l'ensemble, ils·elles présentent une situation à peine meilleure que les personnes qui touchent une rente AI.
Ils elles ont également une alimentation moins équilibrée, font moins d’activité physique et fument davantage. La consommation de cannabis est environ deux fois plus répandue que dans le reste de la population. En revanche, aucune différence n'apparaît pour la consommation d'alcool à risque.
Avant, pendant et après l'aide sociale
La dégradation de la santé de ce public est liée à l'entrée et à la sortie de l'aide sociale. La proportion de personnes en mauvaise santé subjective est déjà plus élevée trois ans avant le début d'une période d'aide sociale et continue à se dégrader par la suite. Heureusement, cette évolution négative s'interrompt lorsqu’elles commencent à percevoir des prestations.
En se penchant sur le cas de celles et ceux qui ont bénéficié des aides sur une longue période, l’étude montre qu’aucun changement, ni positif ni négatif, n’a eu lieu pendant la période de prestations. En revanche, à la sortie, on constate de fortes améliorations de l'état de santé. Sont-elles la cause ou la conséquence de l’arrêt de l’aide sociale ? Ce point n’est pas encore clair.
Risque de non-recours
L'approche centrale pour faire face à ces situations est de garantir des soins adéquats et les résultats confirment un recours plus important par les bénéficiaires de l’aide sociale. Par rapport aux personnes en situation financière précaire, ils·elles sont environ deux fois plus nombreux·ses à consulter des médecins généralistes et plus que trois fois plus nombreux·ses à solliciter un traitement pour un problème psychique.
Les prévalences de recours aux différents services de soins se situent à un niveau similaire que celles des rentier·e·s AI. Bien qu’ils elles reçoivent en moyenne plus de prestations de santé, ils·elles sont nettement plus nombreux ses que tous les autres groupes étudiés à renoncer à un examen ou à un traitement médical ou dentaire nécessaires. L’aspect financier est parfois invoqué, tout comme des aspects plus personnels tels que honte ou barrières linguistiques, entre autres.
Meilleure réinsertion professionnelle
Enfin, nous trouvons des indices clairs qu'un mauvais état de santé rend difficile le passage de l'aide sociale au marché du travail. Cela étant, seul un cinquième des hommes et des femmes exerce une activité professionnelle au début d’une période de perception de l’aide sociale. Toutefois, plus le temps s’écoule depuis l’entrée en aide sociale, plus les différences entre personnes saines et personnes malades sont marquées. Cinq ans après, une proportion nettement plus élevée d’individus en bon état de santé a réussi à (re)prendre un emploi, soit 41% contre 25%, parmi celles et ceux qui ont déclaré un état faible.
Par rapport aux bénéficiaires qui travaillent, ceux et celles qui n'exercent pas d'activité professionnelle présentent des contraintes plus élevées, en particulier dans les domaines du bien-être subjectif et de la dépression, sans qu'il soit possible d'évaluer dans quelle mesure ces contraintes sont la cause ou la conséquence de l'inactivité professionnelle. D'autres maladies, comme les affections chroniques des voies respiratoires ou les maladies musculosquelettiques, sont à peu près aussi fréquentes chez les personnes qui travaillent que chez celles qui ne travaillent pas.
Implications pour la politique et la pratique
Les bénéficiaires de prestations de l'aide sociale présentent des troubles de santé évidents. Cela souligne leur importance en tant que groupe cible de mesures de politique de santé. Les résultats suggèrent en outre qu'il faut se pencher sur les cas de celles et ceux en condition financière précaire qui sont sur le point de percevoir l'aide sociale.
Les services sociaux sont confrontés à des situations de départ difficiles car ces personnes y arrivent déjà mal en point. Néanmoins, les résultats soutiennent l'hypothèse selon laquelle une intervention précoce, en particulier le traitement des problèmes psychiques, augmente les chances de réintégration professionnelle et empêche la dépendance à long terme. En conséquence, le risque de non-recours aux prestations de santé constaté et ses causes devraient être pris en considération et, le cas échéant, des adaptations des processus de financement devraient être entreprises pour faciliter l’accès.
Il existe également un potentiel pour des interventions comportementales dans les domaines de l'alimentation, de l'activité physique et du tabagisme. Dans l'idéal, les offres visant à améliorer l’état physique et psychique des bénéficiaires devraient être soigneusement évaluées et introduites à l'échelle nationale une fois leur efficacité scientifiquement confirmée.
Bibliographie
- Kessler, Dorian, Marc Höglinger, Sarah Heiniger, Jodok Läser, und Oliver Hümbelin. 2021. Gesundheit von Sozialhilfebeziehenden – Analysen zu Gesundheitszustand, -Verhalten, -Leistungsinanspruchnahme und Erwerbsreintegration. Schlussbericht zuhanden Bundesamt für Gesundheit. Bern.
- Reich, Oliver, Felix Wolffers, Andri Signorell, und Eva Blozik. 2015. « Health Care Utilization and Expenditures in Persons Receiving Social Assistance in 2012 ». Global Journal of Health Science 7(4):1–11.
- Shahidi, Faraz V., Chantel Ramraj, Odmaa Sod-Erdene, Vincent Hildebrand, und Arjumand Siddiqi. 2019. « The impact of social assistance programs on population health: a systematic review of research in high-income countries ». BMC Public Health 19(1):2.
Lire également :
- Jean-Pierre Tabin, «Pauvreté: la douteuse stratégie du Conseil fédéral», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 20 décembre 2021
- Barbara Lucas et Catherine Ludwig, «Non-recours aux aides sociales et santé perçue», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 11 novembre 2019
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Comment citer cet article ?
Dorian Kessler et Marc Höglinger, «Santé et aide sociale, enjeux croisés», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 mars 2022, https://www.reiso.org/document/8635