Vieillissement et santé : un nouvel outil
La proportion grandissante de personnes âgées et très âgées au sein de la population n’est en aucun cas une menace. Le canton de Vaud s’est doté d’un nouvel outil pour adapter progressivement le système de santé à cette situation.
Par Patrick Beetschen, chef de la division « programmes de santé publique et prévention » auprès du Service de la santé publique, Vaud
La société ne vieillit pas, elle compte simplement plus de personnes âgées
Face à cette transformation démographique, sociale et culturelle, de multiples adaptations et réaménagements sont nécessaires. Ils dépassent largement le cadre démographique et occasionnent de larges débats. Citons simplement, en matière d’assurances sociales, les inquiétudes d’aucuns sur notre capacité à financer à long terme nos régimes de retraite.
Dans une démarche participative menée par un groupe d’experts, le canton de Vaud a élaboré le rapport « Politique Vieillissement et Santé 2012 » [1]. Ce nouvel outil va orienter les pratiques sociales et sanitaires pour les trente prochaines années.
Dans cet article, Patrick Beetschen, chef de la Division « Programmes de santé publique et prévention » auprès du Service vaudois de la santé publique, décrit les orientations s’agissant d’une thématique particulière : le lien entre la croissance du nombre de personnes âgées et très âgées et le système de santé vaudois. Depuis 2007, le canton a en effet réuni les ressources nécessaires pour définir de manière coordonnée un certain nombre de recommandations et de mesures qu’il s’agit désormais de planifier et de mettre en œuvre progressivement.
Dans l’article Vieillissement et santé : une opportunité sociale, Fabrice Ghelfi, chef du Service vaudois des assurances sociales et de l’hébergement, met en perspective ce lien entre le vieillissement et la politique de santé publique afin de l’inscrire dans un cadre plus large, au niveau des autres domaines où l’action publique doit aussi jouer un rôle. Il s’agit notamment de l’intégration sociale des personnes vieillissantes, de l’évolution des assurances sociales ou du maintien de l’autonomie financière.
L’espérance de vie s’est considérablement accrue – et croît toujours – dans nos sociétés occidentales : c’est le résultat des transformations sociales et économiques, de l’amélioration des conditions de vie, d’un meilleur accès au soins, etc. Cet allongement de la vie est également marqué globalement par un meilleur état de santé : cela ne signifie pas nécessairement absence de maladie, mais possibilité d’avoir une autonomie de fonctionnement sur un laps de temps prolongé.
Le phénomène du vieillissement questionne l’organisation du système de santé. Ce système est-il prêt à accepter les sollicitations de personnes de plus en plus âgées, souffrant le plus souvent de pathologies chroniques (une ou plusieurs) ? Les professionnels sont-ils formés pour accompagner et soigner des personnes qui vont de plus en plus revendiquer leur autonomie décisionnelle en matière de choix de vie ? Les structures de soins sont-elles équipées pour assurer des prises en charge fluides, coordonnées, complémentaires et partenariales) ?
Avec le rapport « Politique Vieillissement et Santé 2012 », le canton de Vaud s’est doté d’un outil pour répondre à ces questions et accompagner son système de santé dans les nécessaires changements requis par l’arrivée à la retraite de la génération des « baby-boomers ».
Pour aboutir à l’énoncé de cette politique, des principes directeurs ont été retenus :
- reconnaître le vieillissement en santé comme un enjeu de société
- répondre aux besoins de l’ensemble de la population âgée du canton
- respecter une hiérarchie en termes de bénéfices escomptés : prioriser les actions qui apportent des bénéfices aux personnes âgées elles-mêmes, plutôt qu’aux seuls professionnels de la santé ou au système lui-même
- proposer des mesures basées sur des évidences scientifiques
- poursuivre une politique basée sur les principes d’équité, d’accessibilité et de respect de la personne âgée
- bâtir sur l’existant, et innover
- s’appuyer sur une démarche participative
- poser a priori les bases de l’évaluation et du pilotage de la politique.
La politique « Vieillissement et Santé » se construit autour de 5 axes, chacun d’eux se déclinant en recommandations (21 au total) et de 109 mesures opérationnelles.
- L’axe 1 « Prévenir pour vieillir en santé » poursuit l’objectif d’améliorer la qualité de vie des années restantes.
- L’axe 2 « Coordonner les soins pour mieux vieillir chez soi » vise à renforcer le maintien à domicile en développant l’offre de prestations, à améliorer – dans une perspective d’intégration des soins – les mécanismes de coordination entre intervenants et institutions et à poursuivre le développement des structures et processus de soins dans les institutions de long séjour.
- L’axe 3 « Adapter l’hôpital pour préserver l’indépendance des seniors » a l’ambition de faire évoluer les pratiques professionnelles et faire adopter, dès l’admission en soins aigus, des processus de soins spécifiques aux besoins des patients âgés, d’assurer une orientation adéquate des patients hospitalisés – dès leur admission – afin d’éviter le déclin fonctionnel iatrogène (Larousse : « se dit d’un trouble, d’une maladie provoqués par un acte médical ou par les médicaments, même en l’absence d’erreur du médecin ») et enfin d’améliorer l’accès aux prestations de réadaptation.
- L’axe 4 « Valoriser les compétences pour améliorer les soins aux seniors » vise à mettre à disposition des patients âgés des professionnels en nombre suffisant et en qualification adéquate.
- Enfin l’axe 5 intitulé « Renseigner pour piloter la politique Vieillissement et Santé » vient sous-tendre l’atteinte des objectifs ci-dessus par la fourniture et l’analyse des informations pertinentes au suivi et l’adaptation de la politique.
Pour réussir ce pari de faire évoluer le système de santé, il est nécessaire de développer et communiquer une vision sur le moyen – long terme, d’inscrire celle-ci dans le contexte des politiques publiques et de la faire partager par les acteurs du système : ceux-ci ont été associés dans le processus de travail qui a abouti au rapport présenté lors d’une journée des « Etats généraux Vieillissement et Santé » qui a réuni plus de 300 personnes, décideurs politiques, financeurs et acteurs du système de soin (médecins, hôpitaux, services de soins à domicile, établissement médico-sociaux, centres de prévention, pharmaciens, etc.).
Il a également été important de tabler sur ce qui existe et fonctionne bien : sur la base de la reconnaissance de ces acquis pourront venir se greffer et se développer des innovations et des changements. Ici, il ne s’agira pas uniquement de rajouter des éléments au système telles que des prestations supplémentaires, mais de s’assurer de la transformation de certaines pratiques et de la substitution d’éléments nouveaux par rapport à des pratiques devenues obsolètes.
Dynamique d’intégration des services de soins
Parmi ces innovations, une approche dynamique d’intégration des services de soins à la personne âgée (approche adoptée par exemple dans l’expérience PRISMA en France) poursuit l’objectif d’améliorer l’accessibilité, la continuité et la coordination des prestations ; les bases de cette approche sont
- la concertation (au niveau stratégique, opérationnel et clinique) qui débouche sur des prises de décision donnant lieu à des modifications de pratiques institutionnelles et professionnelles des acteurs du réseau
- la gestion de cas, processus standardisé de prise en charge, basé sur l’évaluation des besoins et visant à améliorer les soins aux personnes en situation de santé complexe, sur le long terme
- le guichet intégré, réunissant autour de processus et d’outils de travail communs les partenaires sociaux, médico-sociaux et sanitaires, dans le but de permettre un accès de proximité à l’accueil, l’information et l’orientation vers la/les ressource/s adaptée/s
- un outil d’évaluation standardisé et validé des besoins de la personne en perte d’autonomie, offrant un langage et un référentiel partagés, nécessaire à l’ajustement du travail des différents professionnels et facilitant leur reconnaissance mutuelle
- le plan de service individualisé, qui s’élabore avec la personne, en partenariat avec les intervenants concernés (proches aidants et professionnels), en concertation avec le médecin traitant
- un système d’information partagé, permettant aux professionnels de disposer de procédures standardisées de partage d’information relatives aux personnes âgées en gestion de cas.
Il est certain que, dans un système qui favorise les fonctionnements « en silo » du fait des mécanismes de financement ou des cultures et pratiques professionnelles, la mise en œuvre de cette politique ne sera pas chose aisée. L’organisation de la gouvernance doit en particulier respecter les principes directeurs qui ont présidé aux travaux du groupe expert qui a produit le rapport « Vieillissement et Santé ». Quant au dispositif d’évaluation, il doit accompagner dès le départ le développement de cette politique.
Défi ? A coup sûr ! Ne pas l’affronter, c’est prendre le risque de vivre avec un système de soins inadapté aux besoins de la population dans un avenir rapproché. Les premiers « baby boomers » viennent de prendre leur retraite : ils sont les usagers du système de santé de demain.
Photo © Nathalie Tille, « Coup de foudre en EMS », présenté sur cette page de REISO.
[1] Télécharger le rapport vaudois « Politique Vieillissement et Santé 2012 ».