L’insertion professionnelle vue par les bénéficiaires
Les maîtresses et maîtres socioprofessionnels aident et soutiennent les personnes en difficulté à s’insérer sur le marché du travail. Trois bénéficiaires évoquent leur vécu quotidien en atelier et leurs accompagnant·e·s.
Par Anne-Christine Sahli, responsable de formation, ARPIH école supérieure, Yverdon
[1]Afiro est une entreprise sociale et formatrice. Elle a pour mission l’intégration sociale et professionnelle des personnes qu’elle accueille. Dans ce sens, elle propose un secteur offrant des emplois adaptés à des personnes au bénéfice d’une rente invalidité, ainsi qu’un centre de réadaptation et de formation professionnelle. Son directeur, Rinaldo Costantini, en collaboration avec deux maître·sse·s socioprofessionnel·le·s, m’a ouvert les portes des ateliers pour permettre la rencontre de bénéficiaires, appelé·e·s collaboratrices et collaborateurs dans cette institution. J’ai eu le grand plaisir de rencontrer Pierre, Marie et Justin[2].
Pierre, la vingtaine, et Marie, la quarantaine, travaillent dans un atelier leur proposant un emploi adapté, respectivement depuis trois et quatorze ans. Justin, la trentaine, est au bénéfice d’une mesure de réinsertion de la part de l’Assurance Invalidité suite à un burn-out. Ces trois personnes ont une expérience, plus ou moins longue, d’un emploi dans le marché du travail. Grâce à la sollicitation des MSP, elles ont choisi de témoigner de leur vécu en atelier. Les propos qui suivent n’ont pas la prétention d’être représentatifs de l’ensemble des regards des personnes accompagnées par les professionnel·le·s, mais Pierre, Marie et Justin offrent des mots et des images pour réfléchir sur ce métier.
Soutien, contremaître, coach, modèle…
Plusieurs expressions sont proposées par les trois personnes rencontrées : Pierre et Marie évoquent la formule du patron, mais l’étayent par un complément : un patron-soutien. Justin propose d’autres titres, du contremaître au lieutenant, en passant par le coach et même le modèle. « Ce que j’aime dans ce métier, c’est qu’il faut être un modèle pour les gens, il faut être juste, respectueux, bienveillant, humain. Le MSP est pour moi d’abord un modèle humain, un exemple de vie, et c’est ce que je ressens avec celui qui m’accompagne », dit-il.
Marie résume sa vision de la profession : « A l’atelier, ils sont là pour nous accompagner car ils connaissent chacun de nous avec son parcours, ses difficultés, ses capacités et ses aptitudes. Ils nous soutiennent, nous aident. »
Pierre et Marie ont insisté sur leurs perceptions d’un métier « pas facile », car il comprend une multitude de tâches. Cette pluralité est en effet bien perçue par la collaboratrice et les collaborateurs rencontrés: l’organisation du travail, les colloques, la gestion de l’équipe, le travail administratif et les commandes sont évoqués. L’accompagnement individuel de chaque bénéficiaire est également mis en avant. Les MSP doivent adapter leur posture à chacune et chacun, par l’observation et l’évaluation au quotidien.
Un élément important et apprécié a été relevé par Marie et Pierre : « Lorsqu’il y a beaucoup de travail ou des absents, ils viennent nous aider et travailler avec nous. Ils se rendent mieux compte lorsqu’ils travaillent avec nous. » J’ai perçu l’importance de la proximité et de la présence des MSP dans ces temps de travail partagé avec l’équipe, dans un esprit de solidarité.
Un rythme adapté et un rapport confiance
La place importante qu’occupent l’atelier et dans leur existence est identifiée par Pierre, Marie et Justin. Tous trois emploient le terme de soutien en évoquant la personne qui les accompagne, et l’associe aux mots aide, accompagnement et écoute. Pierre exprime l’idée qu’« ils sont toujours là pour aider et écouter ».
Le développement de la confiance en soi est également considéré comme essentiel. Les MSP des ateliers concernés sont perçus comme favorisant la confiance des personnes qu’ils accompagnent, vecteur de renforcement de la motivation au travail. Justin en témoigne : « Celui qui m’accompagne me permet de reprendre confiance en moi. Il m’aide à avoir une ligne. »
Pour Marie, Afiro lui permet d’avoir un travail : « C’est important d’avoir un travail. C’est agréable d’avoir des lieux comme ça pour tous ceux qui ne peuvent pas trouver un travail; un travail qu’on peut réaliser à son rythme. » Pour Pierre, la fonction d’intégration sociale liée à son travail lui apparaît essentielle : « Cela m’apprend aussi à connaître d’autres personnes. On peut s’entraider, faire confiance à la personne; c’est aussi ça le travail. » Justin emploie une expression très forte lorsqu’il évoque son travail à Afiro : un tremplin : « Afiro représente une grande chance, car cela me remet dans le cercle social du travail. C’est un peu un tremplin. »
Je perçois dans les propos de Pierre, Marie et Justin l’importance des liens individuels entretenus. Pierre exprime l’importance d’être considéré dans son individualité : « Ce qui m’a fait plaisir, c’est quand mon référent m’a donné deux responsabilités, deux tâches que je suis seul à pouvoir effectuer. » Marie évoque l’importance de la communication : « Les moniteurs me comprennent mieux que mes collègues, ils m’apportent des choses différentes. »
Les attentes envers les professionnel·le·s
La formation apparaît importante pour mon interlocutrice et mes interlocuteurs, mais elle est aussi considérée comme étant difficile à vivre pour les bénéficiaires. Marie en témoigne : « La première MSP que j’ai connue était déjà formée, et c’était positif. Lorsqu’ils ne sont pas formés, ils doivent apprendre à gérer leurs émotions, et gérer les conflits entre eux. C’est plus difficile quand une personne est en formation, parce qu’elle est loin trop souvent, et cela l’empêche d’avoir du temps pour parler. » Justin, pour sa part, estime que la formation ne suffit pas : « Ils doivent être formés, mais ils doivent aussi avoir un don, une vocation. Il faut avoir le feeling. Ils ont quelque chose en plus pour faire ce métier. »
Les attentes en termes de disponibilité sont évoquées par les personnes rencontrées. Marie regrette un manque de temps : « Ils sont là, mais ce n’est pas toujours facile de communiquer avec eux, et ils ne parviennent pas toujours à répondre à nos besoins, car ils manquent de temps pour nous écouter. » Pierre évoque le temps des colloques, qui freinent la disponibilité des accompagnant·e·s. Marie et Pierre expriment leur besoin de temps d’échanges en tête-à-tête avec leur MSP, dans un lieu protégé comme le bureau. Justin attend une posture de coach : « Après un burn-out, j’attends quelqu’un qui me montre la route, tel un modèle. »
La question du respect est soulignée par Marie en fin d’entretien. C’est une valeur qu’elle attend avant tout dans sa relation avec les MSP et dans les liens qu’elle entretient avec ses collègues.
Le rapport d’être humain
Les trois personnes rencontrées expriment l’importance de la posture des maître·sse·s socioprofessionnel·le·s. Les attentes énoncées par les bénéficiaires dépassent largement les compétences techniques, la dispense d’une formation et d’un encadrement professionnel.
Dans ces témoignages, la figure de MSP est définie en priorité par sa posture d’accompagnant·e. Le rapport humain est au centre de la représentation de la relation entre bénéficiaire et professionnel·le, au sens de ce qu’évoque Maela Paul[3] dans ses réflexions sur l’accompagnement: « C’est donc bien cette relation de personne à personne, ce rapport d’être humain, qui fait de l’accompagnement autre chose qu’un dispositif de résolution de problème. (...) C’est la confiance, la sécurité de chaque pas, la capacité à être avec ce qui est et à l’accueillir qui construit le chemin. »
[1] Cet article a été publié en primeur par Actualité Sociale N° 79, mars-avril 2019, la revue spécialisée de
[2] Prénoms modifiés.
[3] Paul, Maela (2009). L’accompagnement : d’un dispositif social à une pratique relationnelle spécifique. In J.-M. Barbier, E. Bourgeois, G. Chapelle, J.-C. Ruano-Borbalan (Ed.), Encyclopédie de la formation, Paris : P.U.F., p. 638.
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Anne-Christine Sahli, «L’insertion professionnelle vue par les bénéficiaires», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 1er juillet 2019, https://www.reiso.org/document/4607