Écologie et lien social, étape vers la réinsertion
© Bénévolat Vaud
S’adressant à des bénéficiaires de l’aide sociale non aptes à l’emploi pour raisons de santé, la mesure d’insertion sociale Mission Nature aborde le rapport à l’écologie ainsi que son impact bénéfique sur le bien-être et la santé.
Par Magali Donzel, chargée de projet, Bénévolat Vaud, Lausanne
« Mission Nature m’a permis de sortir de mon isolement et d’échanger avec des personnes qui sont dans la même situation que la mienne. Les ateliers en nature sont une vraie bouffée d’air frais. Les ateliers thématiques m’ont permis un partage autour de questions de société très importantes au vu de l’état de notre planète. » Sophie [1], 40 ans, témoignage recueilli à la fin de six mois du programme de mesure d’insertion Mission Nature.
Le programme d’insertion sociale Mission Nature, mis en œuvre par l’association Bénévolat Vaud [2], fait partie des mesures à vocation écologique proposées par le Canton de Vaud dans le cadre de son Plan Climat. Il émane d’un appel à projets lancé par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) « L’écologie, une opportunité pour l’insertion sociale et professionnelle », déployé sous l’expertise de la Fondation Zoein [3].
Ainsi, Mission Nature vise le rétablissement du lien social et une amélioration du mieux-être de bénéficiaires de l’aide sociale non aptes à l’emploi pour raisons de santé, par le biais d’une vingtaine d’ateliers dispensés en petit groupe. Des entretiens individuels et la possibilité d’exercer une mission bénévole au sein d’une association partenaire active dans le domaine de l’environnement ou l’écologie complètent le programme.
Quels éléments favorisent une meilleure santé, sont propices à recouvrir un projet professionnel ou personnel porteur de sens, et plus généralement une place dans la société ? Cette interrogation constitue la genèse de la mesure Mission Nature. L’écologie, discipline étudiant les interactions des êtres vivants entre eux ainsi qu’avec leur milieu, représente un élément de réponse. Plus encore, la notion d’« écologie corporelle » (Andrieu, 2011) peut être définie comme « une philosophie de micro-écologie du bien-être et de la santé. En modifiant ses pratiques de qualité de vie et de développement durable, l’individu transforme l’écologie à travers des micro-situations et des micro-expériences. »
À l’origine : prendre soin de soi
Un sommeil difficile, une anxiété envahissante ou une alimentation chaotique représentent des difficultés régulièrement évoquées en entretien avec de nombreux·ses bénéficiaires de l’aide sociale considéré·es comme inaptes au placement.
En 1931, la première grande recherche sociologique sur le vécu du chômage démontrait que la perte d’un emploi provoquait tout d’abord une amélioration de la santé des individus, qui échappaient alors à des conditions de travail souvent très rudes à cette époque. S’ensuivait une dégradation de la santé liée aux difficultés économiques, puis la désocialisation, la perte de l’identité professionnelle, et celle de la notion du temps (Lazarsfeld, 1981).
Plus récemment, une étude mandatée par l’Office fédéral de la santé publique, réalisée par la Haute école spécialisée bernoise et la Haute école des sciences appliquées de Zurich [4], révèle l’état de santé beaucoup plus mauvais des bénéficiaires de l’aide sociale en comparaison avec le reste de la population. Les symptômes dépressifs y sont plus importants, de même que des douleurs se répercutant sur la qualité de vie, un déséquilibre alimentaire plus prononcé, un manque d’activité physique, ainsi qu’une consommation plus importante de tabac et de cannabis [5].
Lors des entretiens individuels menés dans le cadre du programme, les participant·es font part régulièrement de souffrances liées à leur santé physique ou psychique, ainsi qu’à leur isolement. Les rencontres et partages en petit groupe en plus des échanges réguliers aident à combler ce besoin d’expression de leurs difficultés et de création de liens.
La santé ou le lien à soi
Un espace d’expression et de transmission d’informations sur des sujets de santé tels que le sommeil, l’alimentation ou la gestion de l’anxiété constitue la première étape du programme. Un apport théorique, par exemple sur l’importance de l’équilibre alimentaire, est complété par un atelier pratique comme la récolte de plantes comestibles en forêt.
Après quelques mois, les témoignages de participant·es révèlent que cette formule favorisant le lien social en parallèle d’une reconnexion avec la nature présente un impact bénéfique sur leur santé.
L’écologie ou le lien au monde
Certain·es bénéficiaires de l’aide sociale manifestent une conscience et une sensibilité particulières aux problématiques environnementales. Un deuxième volet du programme consiste en des ateliers abordant un état des lieux de la situation climatique et de la biodiversité. Des écogestes contribuant à diminuer sa consommation énergétique, ainsi qu’un calcul de son empreinte écologique [6] y sont abordés. L’exercice de ce calcul auprès de cette population peut toutefois interroger, sachant les ressources de ces personnes limitées au minimum vital. Les résultats des bénéficiaires à ce test sont en effet nettement inférieurs à la moyenne suisse — laquelle s’élève à 13,51 tonnes — avec une oscillation entre 5 et 8,5 tonnes de CO2, malgré quelques exceptions. Ce constat ramène à la question de la sobriété choisie et de la sobriété subie.
Le plus souvent, cet exercice a provoqué un effet inattendu de bien-être et de valorisation du mode de vie des personnes concernées, un sentiment rarement éprouvé par des individus davantage coutumiers à subir diverses formes de stigmatisation. Dans un article intitulé « L’écologie des très pauvres », le théologien Frédéric-Marie Le Méhauté relève que les personnes défavorisées se trouvent souvent être la cible d’un discours culpabilisateur insinuant que leur manière de consommer entraîne une plus grande pollution, même s’ils constituent les premières victimes des inégalités engendrées par les crises écologiques et sociales. Dans le cas des bénéficiaires participant à Mission Nature, la sobriété « subie » prend du sens, lorsqu’ils et elles réalisent qu’elle devient bénéfique pour la protection de l’environnement.
On observe d’ailleurs des personnes défavorisées intégrer au quotidien des pratiques par définition écologiques mais pour des raisons économiques, comme acheter des articles de seconde main, réparer ou recycler le matériel (Comby, 2015). Lors des ateliers, le volet concernant les écogestes renforce cette pratique existante, en y donnant du sens, avec le partage de nombreuses astuces comme la fabrication de ses vêtements, la réparation ou le troc.
Transition intérieure et reliance
Le programme Mission Nature ne pouvait faire abstraction des problèmes de santé engendrés et accentués par la situation environnementale actuelle, tels que l’écoanxiété, comme définie en 1996 par la médecin chercheuse Véronique Lapaige. Ce terme illustre l’idée d’un sentiment de préoccupation intense et d’expressions émotionnelles fortes face à la dégradation de l’environnement. Il serait susceptible d’impacter plus fortement des personnes déjà fragilisées par une désaffiliation sociale ou présentant des troubles psychiques [7].
Afin de traverser cette écoanxiété, la méthode du Travail qui relie (ou TQR) a été créée par Joanna Macy, une figure centrale de l’écopsychologie [8]. Dans l’ouvrage « L’espérance en mouvement », elle propose, avec le médecin et militant écologiste Chris Johnstone, l’orientation d’un changement de cap, à la place des postures de déni ou de désespoir qu’une prise de conscience de la situation de désastre écologique peut entraîner. Le Travail qui relie offre au travers d’exercices collectifs, des outils pour accueillir les émotions avant de les partager, les composter et les tourner vers l’action.
Cette démarche a été adaptée sur un format d’une demi-journée. L’étape consistant à « honorer sa peine pour le monde » par l’expression et le partage d’émotions demeure la plus délicate. Il est arrivé que certain·es participant·es refusent poliment de se prêter à l’exercice ou en questionnent le sens dans une attitude d’autoprotection. Le principe de souveraineté offre toutefois le choix de ne pas s’exprimer tout en demeurant dans l’écoute et la participation.
Malgré les expressions émotionnelles à divers degrés, l’exercice se révèle positif en créant une atmosphère de partage, de mise en lien et de solidarité. Le plus souvent, les bénéficiaires font part du bien-être procuré, voire d’un soulagement lors de cette pratique. Cet état peut favoriser la mise en place d’actions par la suite.
« Ce que j’ai le plus aimé dans la mesure ? Retrouver les autres, chaque semaine. Me sentir appartenir à un groupe dans cet espace, en sécurité. Avec des personnes non jugeant·es et avec qui je n’avais pas besoin de me justifier. Des gens comme moi. » Julie, 40 ans
Se relier pour se retrouver
Au-delà de l’acquisition de connaissances théoriques et pratiques, divers témoignages révèlent l’ingrédient motivationnel et thérapeutique principal du programme : la capacité à se relier aux autres et au-delà (Egger, 2023), le sentiment de reconnaissance et d’appartenance.
Après avoir suivi le programme pendant six mois, la grande majorité des participant·es disent se sentir ressourcé·es, avoir leurs idées clarifiées et se sentir aptes à entreprendre des projets en cohérence avec leurs valeurs et ce, souvent dans la nature. En 2022, un tiers des bénéficiaires se sont lancé·es dans une mesure socioprofessionnelle à l’issue du programme. D’autres se sont investi·es dans des missions bénévoles au sein d’associations actives en faveur de l’environnement. Quelques-un·es ont même créé leur propre association.
Bibliographie
- Andrieu, B., Sirost, O., Introduction à l’écologie corporelle, in Sociétés, 2014/3 (n° 125), p. 5-10. DOI : 10.3917/soc.125.0005.
- Comby, J.-B., Malier, H., Les classes populaires et l’enjeu écologique. Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses, in Sociétés contemporaines, 2021/4 (n° 124), p. 37-66. DOI : 10.3917/soco.124.0037.
- Egger, M. M., Grosjean, T., Wattelet, E., Reliance, manuel de transition intérieure, Actes Sud, 2023
- Koller Sarah, « 13. Éco-anxiété et société », dans : Nicolas Senn éd., Santé et environnement. Vers une nouvelle approche globale. Genève, Médecine & Hygiène, « Hors collection », 2022, p. 170-176.
- Lazarsfeld, P., Jahoda, M., Zeisel, H., Les chômeurs de Marienthal, Ed. Puf, 1981.
- Le Méhauté, F.-M., L’écologie des très pauvres, in Études, 2021/11 (Novembre), p. 81-90. DOI : 10.3917/etu.4287.0081.
- Macy, J. et Johnstone, C., L’espérance en mouvement, Labor et Fides, 2018.
[1] Les prénoms cités dans cet article sont des prénoms d’emprunt. L’identité des témoins est connue de la rédactrice.
[2] https://www.benevolat-vaud.ch/
[4] Kessler, D., Höglinger, M., Heiniger, S., Läser, J. und Hümbelin, O., Gesundheit von Sozialhilfebeziehenden – Analysen zu Gesundheitszustand, -Verhalten, -Leistungsinanspruchnahme und Erwerbsreintegration, Bern, 2021.
[5] Dorian Kessler et Marc Höglinger, «Santé et aide sociale, enjeux croisés», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 3 mars 2022
[6] https://www.wwf.ch/fr/vie-durable/calculateur-d-empreinte-ecologique
[7] https://www.efficience21.ch/article/%ABleco-anxiete-est-devenue-un-phenomene-social%BB/36
[8] https://eco-psychologie.com/definitions-de-l-ecopsychologie/
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Magali Donzel, «Écologie et lien social, étape vers la réinsertion», REISO, Revue d'information sociale, publié le 11 mars 2024, https://www.reiso.org/document/12151