Surdité: lever les obstacles d’accès aux soins
© Louis Brisset / HUG
Dans le but d’améliorer l’accueil et l’accès aux soins des patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s, les HUG ont déployé différentes mesures en faveur d’une meilleure communication. L’engagement d’une infirmière ressource en fait partie.
Par Tanya Sebaï, infirmière référente pour les patient·e·s sourd·e·s, Département de médecine de premier recours, et Patricia Borrero, infirmière spécialiste clinique, Direction des soins, Hôpitaux Universitaires de Genève
La population sourde et malentendante est considérée comme vulnérable en matière d’accès aux soins. Comparée à la population entendante, elle se trouve clairement confrontée à des inégalités de santé (1). Selon la Fédération suisse des sourds, la Suisse compte environ dix mille personnes sourdes et un million de personnes malentendantes. En lien avec le vieillissement de la population, ce nombre augmente constamment.
Chastonay et al. (2) mettent en évidence plusieurs facteurs de vulnérabilité, dont une faible littératie en santé, un accès laborieux à l’écrit, une compréhension des langues orales compliquée, les limites de la lecture labiale et la difficulté d’accès aux soins. Cette population dispose de peu d’accès aux informations concernant la santé (accès limité à la radio ou à la télévision, conversations diverses) et aux campagnes de prévention (2). Pour elle, la communication visuelle s’avère fondamentale (3).
En outre, ces personnes sont sujettes à plus de maladies physiques et mentales que les personnes entendantes (1). La plupart des personnes sourdes rencontrent des difficultés pour l’écriture et la lecture, ce qui complique parfois la communication écrite. La compréhension de la langue orale et écrite varie d’une personne sourde à l’autre. Souvent adoptée par les personnes sourdes et malentendantes, la lecture labiale constitue certes une aide, mais ne permet pas de comprendre la totalité du message. De plus, devoir prendre un rendez-vous par téléphone peut constituer un obstacle à l’accès au système de santé (2).
Le fait que la grande majorité de personnes sourdes dépend de leurs proches pour la prise de rendez-vous ou pour l’accompagnement aux diverses consultations impacte la confidentialité. Les barrières de communication avec les professionnel·le·s de santé, leur manque de sensibilisation à la surdité et l’insuffisance de structures adaptées à cette population représentent autant de sources de difficultés d’accès aux soins (3). Ainsi, se rendre à l’hôpital peut susciter de l’anxiété et du stress pour les personnes sourdes et malentendantes. Cela peut également compromettre la relation de confiance avec les professionnel·le·s de santé (2).
Un projet, deux objectifs
Afin de faciliter la communication et l’accès aux soins de cette population, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont mis en place un projet — intitulé Amélioration du processus de prise en charge des patients sourds au sein des HUG — comprenant l’engagement d’une infirmière sourde référente pour les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s, ainsi que la création d’outils de communication spécifiques. Les besoins en communication varient en effet d’une personne à l’autre, en raison de plusieurs facteurs : degré et causes de surdité (de naissance ou survenue à la suite d’une maladie, par exemple), port ou non d’appareils auditifs, capacité ou non de la personne à lire sur les lèvres, niveau de scolarité, pratique ou non de la langue des signes et revendication ou non d’une appartenance à la communauté sourde (4). Tous ces facteurs complexifient la prise en soins.
En Suisse, la Loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (5) est entrée en vigueur en 2004. Dans la pratique, celle-ci n’est toutefois pas pleinement appliquée (6). De plus, la Suisse a ratifié en 2014 la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) qui s’engage à promouvoir une société inclusive. À Genève, la langue des signes est officiellement reconnue depuis 2013 (7).
La population sourde s’est mobilisée pour que le système de santé s’adapte à leurs besoins. Aux HUG, des outils de communication spécifiques à destination de ce public existent depuis 2016 et ont été renforcés en 2022. En 2019, la direction des soins décide de poursuivre l’amélioration de la prise en charge des personnes sourdes dans l’institution, notamment par l’engagement d’une infirmière sourde [1].
Le projet comprend deux objectifs : permettre l’accès aux soins à toutes les personnes sourdes et malentendantes et améliorer leur accueil dans la cité hospitalière. Pour cela, une infirmière sourde est chargée d’accompagner les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s. Des outils facilitant la communication entre patient·e·s et professionnel·e·s sont également à disposition.
Des groupes de travail composés de soignant·e·s, des services d’accueil et de communication ainsi que de patient·e·s-partenaires sourd·e·s ont été constitués. L’apport de ces dernières et derniers s'est avéré essentiel pour l’élaboration d’un projet répondant au plus près à leurs besoins.
Une infirmière référente, ressource pour tou·te·s
Bilingue en langue des signes française (LSF) et en langue française parlée, l’infirmière sourde établit le lien entre l’équipe médico-soignante et les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s. Elle constitue une ressource, tant pour les professionnel·e·s que pour les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s.
Son rôle comprend tout d’abord la coordination des soins. Elle organise les rendez-vous avec les professionnel·le·s de santé. Si nécessaire, elle veille à la mise en place d’interprètes en langue des signes ou de personnes pour le codage en langue parlée complétée.
Le second aspect du rôle de l’infirmière sourde consiste à accompagner les patient·e·s lors de leurs consultations médicales. Elle peut se rendre avec la personne jusqu’à la salle d’attente et, si souhaité, également participer à la consultation médicale, en présence ou non d’un·e interprète. Si la compréhension de la part du ou de la patient·e est incertaine ou incomplète, elle peut reformuler et réexpliquer les informations données par le ou la professionnel·le de santé.
L’infirmière référente suit aussi des patient·e·s lors de leur hospitalisation. Elle déploie alors des outils de communication et répond aux besoins des patient·e·s. Elle conseille également les équipes soignantes au sujet, par exemple, de la façon de communiquer, en fonction des préférences du ou de la patiente.
L’infirmière référente accompagne les patient·e·s tout au long de leur parcours des soins. Ainsi, les appareils auditifs n’étant pas autorisés au bloc opératoire, elle reste auprès de la personne jusqu’à l’induction de l’anesthésie puis est présente à son réveil. Cela contribue à diminuer l’anxiété per-opératoire.
Les besoins en matière de santé sont également investigués à l'occasion d’une consultation infirmière. L’infirmière référente peut recevoir les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s pour effectuer une évaluation clinique, répondre à leurs besoins en santé, les conseiller et les orienter. Elle peut aussi évaluer la compréhension de la personne sourde et l’aider à mieux gérer sa santé. Cela améliore ainsi l’accès de cette population aux informations de santé et de prévention.
Enfin, l’infirmière référente endosse la mission de sensibiliser le personnel. Une formation sur la surdité et malentendance est mise en place à l’attention du personnel de santé et d’accueil. Elle porte sur les difficultés rencontrées dans les soins et comporte des recommandations pour améliorer la communication avec les personnes sourdes.
Des outils pour faciliter la communication
Une page internet dédiée aux personnes sourdes et malentendantes [2] a été créée. Elle propose des vidéos en langue des signes expliquant le rôle de l’infirmière, ses missions, comment la contacter et prendre rendez-vous avec elle.
Sur cette page, la personne sourde ou malentendante peut également, avant de se rendre à l’hôpital, remplir une fiche d’information comprenant ses données administratives, ses antécédents médicaux, ses traitements et ses préférences de communication. Cette fiche évite au personnel de poser les questions nécessaires à l’ouverture ou à la mise à jour du dossier et aux personnes sourdes l’angoisse de devoir y répondre.
Les personnes sourdes et malentendantes peuvent prendre rendez-vous en ligne ou par messagerie via l’infirmière référente. L’autonomie et la confidentialité sont ainsi préservées. La consultation s’effectue soit à l’hôpital soit en visioconférence, offrant aux patient·e·s d’y assister depuis leur domicile.
Une tablette numérique est en outre proposée en prêt, en ambulatoire comme en stationnaire. Cet outil permet de contacter directement l’infirmière référente par l’intermédiaire d’une caméra, pour une discussion en langue des signes. Cette tablette contient également diverses applications de communication.
Au comptoir d’accueil situé à l’entrée principale des HUG, une boucle magnétique [3] est à disposition du public. Les personnes sourdes et malentendantes possédant des appareils auditifs avec le système T intégré peuvent l’utiliser. Celles qui n’en disposent pas ou qui ne portent pas d’appareil auditif peuvent décrocher un combiné. Celui-ci amplifie la voix du personnel d’accueil qui n’a donc pas besoin de parler plus fort pour se faire entendre, garantissant ainsi la confidentialité de l’échange.
En raison du port des masques entravant la communication, la population sourde et malentendante a été particulièrement affectée durant la pandémie de Covid-19. Depuis le début du projet, les HUG mettent à disposition des masques à fenêtre transparente, ce qui simplifie la lecture labiale. Une ardoise, un amplificateur de son et des pictogrammes sont également proposés afin de faciliter la communication avec les patient·e·s sourd·e·s et malentendant·e·s.
Une carte avec le sigle « sourd » (oreille barrée) est disponible pour les patient·e·s qui le souhaitent. En la portant en évidence, le personnel est rendu attentif au fait qu’il interagit avec un·e patient·e sourd·e ou malentendant·e. Afin de mieux renseigner sur l’audition, les appareils auditifs et les moyens de communication favoris des patient·e·s, la documentation informatique a aussi été améliorée.
Plus de sérénité et de confiance
Ce projet a reçu le soutien de la Fondation privée des HUG et d’une fondation privée genevoise. En une année, l’infirmière référente a effectué 230 interventions, la plupart consistant à accompagner les patient·e·s dans leur parcours de soin. Ils et elles témoignent se sentir désormais plus rassuré·e·s et plus confiant·e·s en venant à l’hôpital.
Les équipes soignantes expriment elles aussi leur soulagement d’avoir une personne-ressource qui les aide à mieux comprendre et communiquer avec cette patientèle. Finalement, en contribuant à diminuer les obstacles pour cette population, les HUG répondent à une obligation d’équité dans l’accès aux soins.
Références
- (1) Singy P., Cantero O., et al. Prise en charge de la patientèle sourde et malentendante : un défi à relever. Revue médicale suisse ; 2019 ; 15 : 482-4
- (2) Chastonay O., Blanchard J., et al. Les Sourds : une population vulnérable méconnue des professionnels de la santé. Forum médical suisse ; 2018 ; 18(38) : 769-774
- (3) Jacot-Guillarmod M., Cotting L., et al. Equité des soins en gynécologie-obstétrique pour les personnes sourdes et malentendantes : enjeux. Revue médicale suisse ; 2021 ; 17 : 1770‑3
- (4) La littératie en santé et les personnes sourdes — Fiche Lisa 7
- (5) Loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand)
- (6) Béran C. Quand le système de soins paraît hostile. Assurer la prise en charge des personnes sourdes ou malentendantes représente un grand défi. Psychoscope — Magazine de la Fédération Suisse des Psychologues ; 2022 ; numéro 5 : 22-25
- (7) Constitution de la République et canton de Genève, art 16
[1] Initié en 2019, le projet a pris du retard en raison du Covid et l’infirmière spécialisée a été engagée le 1er janvier 2022.
[2] https://www.hug.ch/sourds-malentendants
[3] Système de transmission des sons par induction magnétique
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Comment citer cet article ?
Tanya Sebaï et Patricia Borrero, «Surdité: lever les obstacles d’accès aux soins», REISO, Revue d'information sociale, publié le 13 avril 2023, https://www.reiso.org/document/10597