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Une poupée pour lutter contre la démence

Lundi 05.06.2023
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Utiliser des poupées thérapeutiques pour soigner des patient·e·s atteint·e·s de troubles neurocognitifs est déjà étudié sur des lieux de vie, comme des EMS. À l’hôpital, cette approche implique plusieurs défis et ouvre des perspectives de recherche.

Par Alberto-José Garcia Manjon, infirmier clinicien spécialisé, unité de soins aigus aux seniors, et Patrizia D’Amelio, professeure, responsable de l’unité de gériatrie aiguë, Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), Lausanne.

Les connaissances et les soins prodigués aux patient·e·s atteint·e·s de troubles neurocognitifs [1] (TNC) progressent constamment ces dernières décennies. Parallèlement, le nombre de personnes touchées augmente avec le vieillissement de la population, l’âge constituant un facteur de risque important. Fréquents chez les personnes de plus de 65 ans, ces troubles engendrent de multiples problématiques pour les patient·e·s âgé·e·s, leur entourage et le système de santé.

La Suisse compterait environ 32'200 nouveaux cas par an pour un total de 150'000 personnes atteintes de TNC 1. Ce chiffre devrait continuer d’augmenter pour dépasser 190'000 personnes d’ici à l’année 2030 et près de 300'000 d’ici à 2060 1. Selon les dernières statistiques disponibles, les hôpitaux suisses ont traité en 2019, 30'126 patient·e·s avec un diagnostic principal ou secondaire de TNC, soit 2,7% de l’ensemble des hospitalisations durant la même période 1,2. Selon les causes de décès, un diagnostic principal ou secondaire de TNC était établi dans plus de 13'500 cas, ce qui représente près de 18% de l’ensemble des décès 1,3. Le coût global estimé des frais engendrés par TNC s ’élèverait chaque année à plus de 11,8 milliards de francs suisses 4. Les principales dépenses relèvent des frais d’établissements médico-sociaux (EMS), des soins, ainsi que de la contribution informelle apportée par des proches aidant·e·s non rémunéré·e·s 4. Tous ces éléments placent les TNC comme une réelle priorité en santé publique 5.

Au-delà de l’impact financier, la progression inévitable des patient·e·s vers la perte de leurs capacités de communication et de leur autonomie, ainsi que le développement de symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) constituent des épreuves générant un énorme stress émotionnel. Cela représente également un fardeau important, tant pour le ou la patient·e, que les familles et les soignant·e·s.

Les SCPD touchent plus de 80% des personnes atteintes par un déclin progressif des fonctions cognitives, motrices et comportementales 8 . Ils apparaissent chez environ 20% de patient·e·s initialement asymptomatiques 8 dans les deux ans suivant le diagnostic de la démence et concernent près de la totalité des patient·e·s durant la progression de la maladie 12. Ces manifestations comportementales peuvent être considérées comme des besoins non satisfaits, suscitant chez le ou la patient·e atteint de TNC un sentiment d’insécurité ou d’inconfort 13.

Les SCPD peuvent se manifester sous différentes formes parmi lesquelles figurent l’agitation, l’agressivité, la confusion, les hallucinations, la dépression, l’insomnie, l’errance, la résistance, le refus de soins et de traitements ainsi que la difficulté à réaliser les activités de la vie quotidienne. Ces symptômes peuvent s’aggraver lors de changements environnementaux comme une hospitalisation.

Il n’existe actuellement pour leur traitement aucune approche thérapeutique fondée sur des preuves au sujet de ces symptômes complexes à gérer 6 ,11. Couramment utilisés pour les contrôler, les psychotropes montrent une efficacité limitée, tout en engendrant des effets secondaires graves 15–17. Ces derniers peuvent induire une accélération du processus dégénératif de la démence, une diminution des capacités cognitives et physiques entraînant à leur tour une augmentation du risque de chute, de la durée d’hospitalisation, de la mortalité ainsi que des coûts pour le système de santé 17–19.

Recréer un lien d’attachement

Il existe en revanche des approches non pharmacologiques. Dépourvues d’inconvénients, elles s’avèrent utiles pour soulager les SCPD chez les personnes atteint·e·s de troubles neurocognitifs. Ces démarches améliorent la qualité de vie des patient·e·s et de leurs proches aidant·e·sDe plus, elles peuvent diminuer la charge de travail des soignant·e·s 20, leur permettant d’allouer ce temps à d’autres tâches apportant une plus-value au patient et à sa famille, contribuant ainsi à une véritable étendue de pratique infirmière 21. Alternative valable aux médicaments, elles sont recommandées comme traitement de première intention par les sociétés scientifiques internationales 22–24.

L’approche non pharmacologique comprend différentes interventions, comme la luminothérapie, l’aromathérapie ou la musicothérapie qui en sont les plus populaires. Parmi toutes, la thérapie par poupée est largement étudiée. Par son impact positif sur le bien-être global du ou de la patient·e et des équipes soignantes 11,24–32, elle constitue une alternative de choix. Elle permet en outre de limiter l’utilisation des traitements pharmacologiques 25.

Si le mécanisme d’action de la thérapie par poupée reste encore partiellement à élucider, la théorie de l’attachement est évoquée pour expliquer ses effets 33,34. Initiée par John Bowlby en 1958 pour appréhender le comportement des enfants abandonnés, elle est désormais adaptée et mise en lien avec les SCPD 34–36. L’attachement fait référence au lien émotionnel avec une personne en particulier ; le sujet développe des sentiments de protection et des besoins de soins envers l’être aimé. Dans ce sens, certains comportements tels que l’errance, les questions répétitives, les pleurs, l’agitation et même l’agressivité pourraient être interprétés comme des demandes d’attachement.

Des caractéristiques pour une interaction optimale

poupes therapeutiques chuv demence geriatrie 400© CHUVLe projet de recherche mené par la Professeure D’Amelio et son équipe dans le service de gériatrie aiguë du CHUV utilise des « poupées d’empathie » développées par une marque française. Celles-ci sont conçues pour obtenir une interaction optimale avec les patient·e·s et dotées de caractéristiques anthropomorphes particulières, en matière de taille, de poids et d’expressions du visage ; par exemple, les yeux ne fixent pas le ou la patiente, la bouche est réalisée afin de ne pas donner l’impression à la personne que la poupée peut répondre, le poids est réparti afin de donner une impression réaliste. Enfin, elles sont différentes dans leur aspect : plusieurs tenues sont disponibles, ainsi que diverses teintes de peau et de morphologie 25,43.

En présence de SCPD, cette thérapie est susceptible de catalyser l’attention des patient·e·s et de concentrer leurs demandes ainsi que leurs émotions sur l’objet qui devient dès lors transitionnel. Parfois, la poupée est considérée comme un véritable bébé nécessitant des soins 37. Cet attachement envers le poupon ramène le ou la patient·e à ses expériences passées en tant que personne capable de prendre soin des autres 30,33,34. La poupée peut ainsi augmenter l’estime de soi 38, servir de support à la création d’une alliance thérapeutique 39 et aider à communiquer 11,34,38.

Casser l’image condescendante

Dans l’ensemble, les études menées à ce jour rapportent des résultats significatifs, indiquant que le recours à la thérapie par poupée constitue une voie prometteuse pour la gestion des SCPD. Ils mettent en évidence une diminution de l’utilisation d’antipsychotique 40, une amélioration du bien-être des patient·e·s ainsi que de l’alliance thérapeutique 32,39.

La majorité de ces recherches consiste en des études de cohorte, des cas-témoins et des études observationnelles 39 menées dans le contexte de lieu de vie, respectivement maison de retraite 30,39. L’hôpital reste un domaine encore peu exploré. Si elle présente un haut potentiel d’innovation, l’introduction de cette nouvelle démarche thérapeutique peut rencontrer un certain nombre de barrières et de freins. En effet, celle-ci demeure fréquemment perçue comme troublante, dégradante, condescendante, superficielle ou infantilisante 26,30,32.

L’élaboration d’une stratégie rigoureuse d’implantation apparaît importante pour maximiser la compréhension, l’acceptation et l’adhésion à la démarche par les professionnel·le·s 41 et les proches aidant·e·s 42. Ainsi, le projet de recherche mené en deux phases dans le service de gériatrie aiguë du CHUV se concentre dans un premier temps sur l’implantation de l’utilisation des poupées en milieu aigu. Il laissera ensuite place à une vaste recherche sur l’efficacité de la thérapie sous forme d’une étude randomisée contrôlée [2] qui débutera à la fin 2023 et s’étendra sur deux ans.

Ce projet ouvre les perspectives d’une meilleure compréhension des mécanismes et des effets de la thérapie en milieu hospitalier. Plus largement, la démarche initiée dans le service de gériatrie du CHUV constitue une voie intéressante pour améliorer la promotion et la valorisation des actions non pharmacologiques dans les soins prodigués aux patient·e·s hospitalisé·e·s atteint·e·s de troubles neurocognitifs.

Améliorer la qualité de vie

Il existe actuellement un essor des thérapies non pharmacologiques dans une multitude de domaines. Les soins aux populations vieillissantes font partie de cette tendance qui devrait progressivement gagner du terrain. Même si la vision d’une poupée à l’hôpital continue et continuera à faire sourire, cette thérapie fait bel et bien partie d’un large éventail d’actions concrètes utilisées quotidiennement pour améliorer la qualité de vie des patients atteint·e·s de troubles neurocognitifs et leurs proches.

Références

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[1] L’étiologie des troubles neurocognitifs est multiple, les plus courantes étant la maladie d’Alzheimer et les démences de type vasculaire.

[2] Etude AGITATE


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Comment citer cet article ?

Alberto-José Garcia Manjon et Patrizia D’Amelio, «Une poupée pour lutter contre la démence», REISO, Revue d'information sociale, publié le 5 juin 2023, https://www.reiso.org/document/10823