Le burn out guette les assistantes sociales
La moitié des assistantes sociales des CMS du Valais romand sont en souffrance sur leur lieu de travail. Deux recherches ont analysé la nature et les sources de cet épuisement professionnel.
Par Eliane Favre et Marie-Luce Délez, professeures à la Haute Ecole de Travail Social, HES-SO Valais / Wallis, Sierre
Le risque d’épuisement professionnel, ou burn out [1], des assistantes sociales [2] dans les Centres médico-sociaux (CMS) valaisans est-il une réalité ? Deux étudiantes de la Haute Ecole de Travail Social Valais se sont penchées sur cette question, dans le cadre de leur travail de bachelor. Audrey Roten s’est intéressée à l’état émotionnel des assistantes sociales travaillant en CMS et au risque d’épuisement professionnel dans cette profession ; Tiffany Camus a cherché à identifier les stratégies, individuelles ou collectives, mises en place dans les CMS pour éviter un tel épuisement [3].
Cet article reprend les principaux résultats de ces deux travaux qui relèvent les problématiques qui se complexifient, les prestations d’assurances sociales qui se restreignent ainsi qu’une charge de travail qui augmente pour les assistantes sociales. Les étudiantes soulignent également le fait que les interventions se font de plus en plus souvent dans l’urgence, la gestion administrative a pris le dessus, le temps consacré à l’écoute et à la construction d’un projet avec le client diminue (V. Keller et J.P. Tabin, 2002). D’autre part, les usagers sont à la recherche d’une information précise, ils connaissent leurs droits et arrivent avec des exigences (O. Cousin, 1996). L’attente d’une écoute attentive et d’un lien social diminue et l’assistant social le vit comme une perte de son identité professionnelle.
Des assistantes sociales en souffrance
La recherche d’Audrey Roten se base sur le questionnaire de Cristina Maslach (1986), psychologue sociale, où une personne sera considérée en situation de burn out si elle se sent en danger sur ces trois items :
- l’épuisement émotionnel, soit le sentiment d’être vidé de ses ressources émotionnelles ou d’être dans l’incapacité d’exprimer ses sentiments, la sensibilité accrue aux frustrations, la difficulté à accomplir son travail quotidien ou à être motivé dans son travail ;
- la dépersonnalisation, soit une insensibilité au monde environnant, une déshumanisation de la relation à l’autre (les usagers, clients ou patients deviennent des objets), une vision négative des autres et du travail, une perte de sens de son travail, une perte de qualité du lien relationnel et une attitude négative vis-à-vis de l’usager ;
- l’accomplissement personnel, soit le sentiment de ne pas parvenir à répondre correctement aux attentes de l’entourage, d’inutilité, une mise en retrait, la démotivation, la perte de l’estime de soi, le doute quant à ses réelles capacités et l’incapacité à faire évoluer la situation.
Ce questionnaire a été rempli par 30 assistantes sociales [4], soit un échantillon qui représente presque la moitié des assistantes sociales travaillant dans les CMS du Valais romand.
Le sentiment d’être en situation d’épuisement professionnel et de dépersonnalisation, soit d’être en risque élevé de burn out, est ressenti par 13% des professionnelles interrogées. En d’autres mots, cela signifie que 13% des bénéficiaires sont en relation avec des professionnelles fatiguées, démotivées et qui portent un regard sombre sur leurs ressources et leurs capacités. 56% des professionnelles interrogées évaluent négativement le troisième item, soit l’accomplissement professionnel, et se trouvent ainsi en situation de « risque élevé » de burn out.
Ces données nous amènent à estimer que la moitié des assistantes sociales des CMS du Valais romand sont en souffrance sur leur lieu de travail.
Les facteurs de burn out
Selon une étude du Seco (2011) [5], de nombreux facteurs sont à l’origine du burn out. Un grand nombre d’entre eux sont liés aux conditions de travail. Les recherches des deux étudiantes confirment ces résultats, en particulier à travers les entretiens. Parmi les facteurs relevés :
- Des problèmes d’infrastructure
Plusieurs assistantes sociales ont expliqué qu’elles n’ont pas de bureau et qu’elles « déménagent » chaque jour de la semaine en fonction des places de travail disponibles. De fait, les services ont consolidé leurs équipes, mais sans que les infrastructures ne suivent. « Difficile de travailler dans ces conditions, de ne pas se sentir chez soi, de devoir organiser les entretiens en fonction des places libres. »
- Le travail dans l’urgence
Les professionnelles déclarent devoir toujours répondre dans l’urgence. Cette urgence les incite à revoir leur manière de travailler : elles font des démarches à la place de l’usager, pour gagner du temps, elles griffonnent des mots d’accompagnement en lieu et place d’un courrier soigné, elles décrochent leur téléphone pour ne pas être dérangées. Elles le font mais ne sont pas satisfaites de devoir agir ainsi.
- La surcharge de travail et les heures supplémentaires
Les heures supplémentaires s’accumulent, ce qui devient un cercle vicieux. Certains assistantes sociales déclarent avoir « la boule au ventre » le dimanche soir, d’autres hésiter à prendre des vacances pour ne pas surcharger les collègues ou par peur des dossiers en retard à la rentrée. Toutes les assistantes sociales interrogées ont déclaré devoir effectuer des heures supplémentaires, non pour être à jour dans le travail, mais pour respecter les délais urgents.
- La complexification des procédures
« Avant, avec 3 documents on pouvait ouvrir un dossier d’aide sociale, maintenant il faut un classeur complet pour faire une demande » (Roten 2013, p.59). Les assistantes sociales le vivent comme un contrôle de leur propre travail et comme un manque de confiance de l’autorité administrative.
- Le rapport à la hiérarchie
Certaines assistantes sociales évoquent une hiérarchie présente, soutenante, exprimant de la reconnaissance. D’autres assistantes sociales se sentent par contre peu soutenues, pas du tout entendues, quasiment isolées. Les autorités communales sont également mentionnées : elles prennent les décisions, mais n’expriment que peu de reconnaissance pour le travail effectué. « Certains représentants des communes souffrent aussi d’un manque de connaissance de la profession d’assistant social. » (Camus 2012, p.50).
- Le système de contre-prestations
Le système de contre-prestation mis en place dans le cadre de la Loi valaisanne sur l’intégration et l’aide sociale n’est pas remis fondamentalement en cause, mais les assistantes sociales expriment une certaine gêne face aux mesures d’insertion pas toujours en adéquation avec les compétences réelles des personnes concernées.
- Le manque de reconnaissance professionnelle et salariale
Les assistantes sociales sont nombreuses à se former de manière continue : elles relèvent toutefois le manque de reconnaissance de cet investissement par la hiérarchie. Finalement et assez discrètement, elles abordent la question de la reconnaissance salariale : « C’est sûr qu’au niveau salarial ça n’est pas le top » (Roten 2013, p.63).
Des mesures de prévention lacunaires
Six assistantes sociales de différents centres médico-sociaux du Valais romand ont été interrogées sur les mesures de prévention mises en œuvre dans leur service. Aucune d’entre elles n’a connaissance de l’existence de mesures particulières. Pourtant, dans chaque centre médico-social régional, il existe un poste de responsable de la santé au travail. Ce poste est occupé par un·e infirmier·ère ou un·e ergothérapeute qui semble veiller essentiellement aux aspects liés à l’ergonomie (écran d’ordinateur, chaise de bureau, accessibilité des locaux…). Il ressort des entretiens que, au niveau institutionnel, la question du burn out reste un tabou : « Nous n’avons aucune information à ce sujet, même lorsque cela touche l’équipe, par exemple quand quelqu’un d’entre nous est en arrêt. »
Par contre, les assistantes sociales ont développé des stratégies individuelles, par exemple : utiliser le trajet bureau-domicile pour déconnecter, écouter de la musique, faire du sport, prendre « l’apéro » avec les collègues. Certaines soulignent l’importance d’une vie extra-professionnelle riche et intéressante, d’autres préconisent l’ironie. Un élément qui ressort des deux travaux mentionnés est l’importance de l’équipe : partager les situations difficiles, oser demander de l’aide. « La force de l’équipe permet de garder une atmosphère de travail conviviale où l’entraide et le soutien règnent » (Camus, 2012, p.60).
La prévention collective de la souffrance
Tiffany Camus et Audrey Roten démontrent dans leur travail que les assistantes sociales des Centres médico-sociaux du Valais romand se sentent à la limite de la souffrance et que cette souffrance n’est que peu entendue. Le burn out n’est pas abordé dans les services, du moins pas officiellement. Il n’existe pas de mesures de prévention. La personne qui en souffre est considérée sur une base personnelle. Mais soigner le burn out de manière individuelle ne revient-il pas à étouffer la souffrance collective, à refuser la remise en cause de l’organisation institutionnelle qui engendre cette souffrance ?
Réfléchir à des mesures de prévention dépassait les exigences demandées dans ces travaux de bachelor. Toutefois, il existe en Suisse de nombreux programmes de mesures, auxquels il est possible de faire appel. Ainsi, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la SUVA et Promotion Santé Suisse ont élaboré un programme pour diminuer et prévenir le stress au travail [6]. Deux extraits :
- Il faut proscrire les exigences exagérées ou, au contraire, trop minimalistes ; éliminer les directives et les procédures qui font obstacle à un bon esprit de collaboration ; optimiser les conditions de travail extérieures.
- Il faut mettre en place et développer des conditions positives telles que : liberté d’action, sens des responsabilités, concertation, climat de travail agréable et bonnes possibilités de développement et de formation. Le bien-être personnel, la satisfaction et le plaisir de travailler permettent aux collaboratrices et collaborateurs de mieux faire face aux situations extrêmes, d’y répondre plus efficacement et, partant, d’éviter leurs effets stressants.
L’étude du SECO (2011) suggère que pour prévenir le stress ou le burn out, il faut également agir sur les causes de ce phénomène, en mettant l’accent sur les bonnes méthodes de direction, qui agissent comme un facteur de protection. Elle conclut que la manière dont les supérieurs dirigent leurs collaborateurs peut largement influencer leur santé.
Le burn out ne doit plus être perçu comme un problème de santé individuel et mais bien comme une question intégrée dans un programme de prévention au sein des organisations !
[1] Dans la suite du texte, le terme « burn out » sera utilisé de préférence.
[2] Les termes « assistante sociale » désignent à la fois les femmes et les hommes pratiquant cette profession.
[3] Camus Tiffany, Identification du niveau de la prévention d burn-out et du stress dans les services sociaux des centres médico-sociaux (CMS) valaisans, Travail de Bachelor, Haute Ecole de Travail social, Valais / Wallis, décembre 2012
Roten Audrey, Services sociaux : quand la surcharge fait des ravages, Travail de Bachelor, Haute Ecole de Travail Social, Valais / Wallis, mai 2013
[4] Enquête menée lors de la Journée des assistants sociaux du Valais romand, le 29 novembre 2012. Il est à souligner que cette enquête a pu être menée grâce à l’accord de M. Gay-des-Combes, du Service de l’Action sociale du Canton du Valais.
[5] SECO (2011), Liens entre conditions de travail, caractéristiques personnelles, bien-être et santé, résumé d’une étude réalisée par : S. Grebner, I. Berlowitz, V. Alvarado et M. Cassina (2011), Stressstudie 2010 : Stress bei Schweizer Erwerbstätigen – Zusammenhänge zwischen Arbeitsbedingungen, Personenmerkmalen, Befinden und Gesundheit », Haute école de psychologie appliquée de la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest (FHNW)
Lire aussi : Avenir Social (2007), Point fort | Le burn out, c’est fun, c’est tendance… !, en ligne (page consultée le 30 mai 2014)
[6] Site internet www.stressnostress.ch