Autisme : détection et intervention précoces
Les troubles du spectre autistique concernent un enfant sur cent. Afin d’intervenir au plus tôt, il importe d’identifier les signes d’alerte avec des outils adaptés. Et de sensibiliser les professionnels de la petite enfance.
Par Nadia Chabane, pédopsychiatre, professeur ordinaire, cheffe de service, Centre cantonal de l’autisme, CHUV, Lausanne
Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des troubles neuro-développementaux sévères touchant 1 enfant sur 100. La trajectoire développementale spontanée de ces enfants n’intègre pas naturellement le développement de compétences sociales mais privilégie plutôt les intérêts et orientations vers les aspects non sociaux de l’environnement.
Le diagnostic de TSA est un diagnostic clinique qui se fait sur la base d’une observation développementale et comportementale détaillée. Les TSA sont définis par un ensemble de symptômes débutant dans la petite enfance. Ils intègrent une altération qualitative des interactions sociales et de la communication ainsi que le caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités (WHO, 1992). Aujourd’hui, les enfants sont diagnostiqués en moyenne vers l’âge de 4 ans. Les connaissances acquises en neurosciences au cours de ces dernières années, notamment la notion de plasticité cérébrale, soulignent la nécessité de stratégies diagnostiques plus précoces permettant de modifier la trajectoire spontanée du TSA et d’en limiter le handicap en intervenant intensivement, de façon spécifique, auprès de très jeunes enfants.
Les parents expriment généralement leurs premières inquiétudes vers l’âge de 18 mois, inquiétudes portant essentiellement sur le retard de langage. Ces inquiétudes sont fortement corrélées au diagnostic posé ultérieurement. Les travaux sur le diagnostic précoce montrent que les premiers signes d’autisme sont en effet repérables vers l’âge de 12 mois en moyenne, (Volkmar et al, 1994 [1]). Ce diagnostic précoce de TSA est parfois difficile du fait de la variabilité importante d’expression du trouble qui peut mettre le clinicien en difficulté pour apprécier le caractère significatif de certaines manifestations relativement discrètes. Chez ces très jeunes enfants, le diagnostic repose donc essentiellement sur l’évaluation pluridisciplinaire d’une équipe de cliniciens experts.
Les signes d’alerte et la politique de détection
Les signes d’alerte évocateurs de TSA sont la mauvaise qualité du contact oculaire, l’absence de « sourire réponse », d’attention conjointe, de réponse à l’appel du prénom, les faibles capacités d’imitation et de jeux symboliques, l’absence de pointage et de communication verbale. D’une manière générale, les enfants à haut risque présentent des difficultés à initier et à maintenir des relations interpersonnelles.
Les recherches cliniques actuelles s’orientent donc vers l’identification de signes constituant des marqueurs fiables de l’autisme, c’est-à-dire qui soient suffisamment sensibles (pourcentage suffisant d’enfants identifiés), spécifiques (faible taux de faux positifs) et ayant une bonne valeur prédictive (diagnostic confirmé et validé par la suite). Ces signes doivent être facilement repérables par les professionnels de la petite enfance (pédiatres, médecins de famille, enseignants et personnel de crèche, halte jeux) afin de favoriser la détection très précoce.
Les études rétrospectives, recherchant a posteriori les signes d’alerte, permettent d’identifier un pattern commun de signes précoces dont la survenue se situe entre 12 et 24 mois. Il associe le manque d’orientation au prénom, la mauvaise qualité du regard vers le visage de l’interlocuteur, l’absence ou la faible capacité d’attention conjointe, de partage affectif, d’imitation (Palomo et al, 2006, Wetherby et al, 2004, Werner et al, 2000, Baranek et al, 1999).
Un pattern secondaire correspondant aux formes dites régressives a également été identifié. Les formes régressives impliquent une coupure dans l’évolution du développement pseudo harmonieux de l’enfant. Cette régression des acquisitions se situerait entre 16 et 20 mois et concernerait entre 15.6 et 27% des enfants (Fombonne, 2001 ; Lingam, 2003). Cette régression serait mixte et impliquerait le langage et la socialisation (Ozonoff et al, 2008). Certains auteurs se sont penchés sur des formes atypiques avec profil de développement social normal. Ils mettent en avant des signes aspécifiques tels que les troubles du sommeil, l’irritabilité, les troubles de l’alimentation. Ces formes seraient en fait le reflet d’un échec dans la progression et la transformation des compétences de base en place pour la socialisation. Il n’y aurait pas de renforcement des prédispositions naturelles par l’interaction et la communication et, ainsi, incapacité à passer à un niveau développemental plus avancé, ce qui sous-tend la notion de plateau développemental ou de pseudo régression (Hansen et al, 2008).
Les études prospectives ont été menées chez les frères et sœurs d’enfants ayant un TSA. Ces enfants sont considérés comme à haut risque pour ces troubles (20% d’atteinte). En étudiant la survenue des signes précoces avec des outils de détection tels que le M-CHAT (M-CHAT™ ; Robins, Fein, & Barton, 1999), plusieurs équipe situent l’émergence des symptômes à partir de 12 mois (Ozonof et al, 2010 ; Nadig et al, 2007). Il semblerait qu’il y ait une installation graduelle des symptômes au cours du temps amenant à des phénotypes intermédiaires (Landa et al, 2007), la forme régressive serait la plus classique.
Les TSA n’affectent pas de façon objective le développement de la socialisation dans les premiers mois de la vie (entre 0 et 12 mois). Ils ont un début graduel, modifiant considérablement le cours du développement et les patterns comportementaux entre 24 et 36 mois. Les questions en suspens demeurent celles des mécanismes impliqués influant sur le système nerveux central SNC entre 6 et 12 mois. Des études de suivi de cohorte, longitudinales, associant des mesures cliniques, neurofonctionnelles et neurobiologiques, sont nécessaires pour répondre à ces questions.
La politique de détection des signes d’alerte de TSA doit être menée systématiquement. Un questionnaire de détection tel que le M-CHAT suscite dès lors un grand intérêt. Il s’agit d’un outil intéressant pour évaluer les signes d’alerte chez l’enfant de 18 mois, ce d’autant que les procédures sont rapides et aisément réalisables dans les cabinets de pédiatrie.
La recherche de nouveaux marqueurs dans le diagnostic précoce
Sur le plan interindividuel, la symptomatologie des troubles du spectre autistique est largement hétérogène. Ainsi, l’intensité de chacun des symptômes autistiques peut varier, de légère à sévère, d’un enfant à l’autre. Chez l’enfant très jeune, les différences entre les secteurs de développement sont, par définition, moins perceptibles car elles ne peuvent porter que sur quelques mois rendant encore plus difficile la lecture clinique du phénotype de TSA. Un courant de recherche récent vise à individualiser un ou plusieurs marqueurs biologiques permettant de renforcer le diagnostic clinique et d’identifier plus clairement et très précocement de très jeunes enfants à risque. Ces marqueurs biologiques préexistent donc avant l’installation de signes cliniques classiquement détectables. L’objectif serait donc d’identifier chez des enfants entre 6 et douze mois des anomalies spécifiques intervenant sur les processus neurocognitifs, anomalies ayant un impact sur le développement ultérieur.
L’étude de la direction du regard et la reconnaissance des visages avec des paradigmes utilisant la technique de « eye tracking » chez des très jeunes enfants autistes non syndromiques et chez leurs apparentés de premier degré (fratrie) permettraient d’identifier un possible marqueur très précoce du trouble autistique. Plusieurs travaux ont déjà identifié chez l’adulte un tracé de regard atypique des visages avec une fixation pauvre sur les yeux. Ces travaux ont été répliqués chez de très jeunes enfants de 24 mois ayant un TSA (Jones et al, 2008) qui regardent plus souvent la bouche que les yeux sur le visage présenté. Une étude intéressante de Pierce et al (2011) a mis en évidence que les enfants avec TSA, contrairement aux enfants normaux ont une préférence pour les figures colorées en mouvement plutôt que les scènes sociales. Une fixation de 69% des figures géométriques en mouvement prédit en effet un diagnostic de TSA dans 100% des cas.
Miser sur la plasticité cérébrale des très jeunes enfants
Il apparaît aujourd’hui indispensable de suivre les très jeunes enfants qui présentent des signes d’alerte afin de limiter l’impact de la trajectoire spontanée du TSA et l’installation secondaire de troubles du comportement. Les mécanismes de plasticité cérébrale sont un argument de conséquence plaidant pour une intervention précoce chez le très jeune enfant, intervention ciblant les anomalies de la communication et de l’interaction. L’acquisition d’un outil de communication et de meilleures stratégies interactives avec le très jeune enfant peuvent limiter la survenue de comportements inadaptés et dévier à des degrés variables la trajectoire spontanée du trouble. Cette intervention limite également le stress familial et le sentiment d’impuissance rencontré par les parents. Elle favorise leur mobilisation et leur participation active dans les modalités rééducatives de leur enfant.
Des modèles d’intervention précoce sont ainsi proposés aujourd’hui aux familles tels que les modèles de Denver (Dawson et al, 2010) ou le modèle de Koegel, (Koegel et al, 2010), adapté au quotidien de la famille. Ces deux modèles impliquent un partenariat étroit avec les parents : ils sont idéalement associés à l’apprentissage d’un outil de communication utilisant un support visuel adapté au très jeune enfant comme le PECS (Picture Exchange Communication System, Yoder et Stone, 2006). Ce type d’intervention montre aujourd’hui une efficacité certaine sur les axes de communication, de socialisation et sur les fonctions cognitives. Ils sont recommandés par les conférences de consensus et guidelines de recommandations (HAS, 2012 [2], Nice, 2013 [3], KCE. 2014 [4]).
La détection précoce des troubles du spectre autistique représente un enjeu de taille puisqu’elle ouvre des perspectives de prise en charge à un âge où certains processus de développement peuvent encore être modifiés.
Actuellement, les procédures de dépistage manquent de sensibilité car elles peuvent ne pas identifier les variantes légères sans déficience intellectuelle évidente ou sans retard de langage. Le diagnostic chez les enfants très jeunes est l’affaire de spécialistes avertis, car les premiers indicateurs fiables sont surtout des anomalies qualitatives et parfois très subtiles du comportement social. Il convient donc de renforcer la formation des professionnels de santé et de la petite enfance, de les sensibiliser aux signes d’alerte évocateurs d’un TSA. Ces enfants doivent être orientés très précocement vers des centres diagnostiques spécialisés et bénéficier rapidement de stratégies d’intervention adaptées. Des stratégies aujourd’hui encore insuffisamment développées.
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[2] Lien internet Consulté le 22.02.2016.
[3] Lien internet Consulté le 22.02.2016.
[4] Lien internet Consulté le 22.02.2016