Le label national de l’alimentation équilibrée
Avant de passer «A table !», il est bon de s’assurer que le repas que nous voulons manger est bon, y compris pour notre santé. Depuis plus de vingt-cinq ans, « Fourchette verte » y veille. Histoire d’une aventure qui a démarré à Genève.
Par Stéphane Montangero, ancien secrétaire général Fourchette verte Suisse, Lausanne
Le 20 décembre 1993, le ministre genevois en charge de la santé, Guy-Olivier Second, annonce l’action « Fourchette verte » par un arrêté du Conseil d’état [1]. Il s’agit du lancement officiel du label du même nom qui atteste qu’un établissement propose une alimentation équilibrée dans un environnement sain. En janvier 2020, 1’574 établissements sont porteurs de ce label de qualité partout en Suisse.
« Fourchette verte » est devenu un acteur national important pour l’ensemble de la restauration collective, grâce aux cantons latins, notamment à travers la Conférence latine des affaires sanitaires et sociales, qui ont soutenu dès le début cette mesure structurelle de santé publique. Grâce aussi à Promotion Santé Suisse qui a très vite cru à cette idée assez simple, mais si complexe à mettre en place sur le long terme, et qui y a apporté un soutien considérable. Pour une fois, un projet initié en Suisse romande a essaimé outre-Sarine, tout en gardant son nom francophone. Retour sur une histoire de longue haleine.
Les premières étapes
Il est bon de rappeler qu’à l’origine, le label Fourchette verte est destiné aux cafés-restaurants genevois. Il a pour but de proposer un repas équilibré dans un environnement sain aux quelque 30 à 40% de la population active du bout du lac qui, dans les années nonante, prend son repas de midi hors du domicile. La plupart des bistrots de l’époque ne garantissaient pas l’équilibre alimentaire des menus, les exigences d’une hygiène irréprochable, des choix de boissons sans alcool ni un lieu protégé de l’exposition indésirable à la fumée du tabac. Et le label Fourchette verte a proposé tout cela. Pour soutenir son développement, une commission à large spectre est nommée ; elle comprend notamment des représentants de l’Etat, le président des cafetiers-restaurateurs genevois, des représentants des milieux de la prévention de l’alcool et du tabac, des consommatrices, une diététicienne et le chimiste cantonal.
Deux ans après le lancement, 42 établissements portent ainsi ce label de qualité de santé publique. Si cela parait peu en regard des 1'200 établissements recensés alors dans le canton, il convient de relever que, dans un monde plutôt connu pour sa résistance au changement, le résultat est considéré comme remarquable. Au fil des mois, plusieurs évolutions sont introduites: obligation du tri des déchets, obligation d’une zone sans fumée « étanche », encouragement à proposer des menus à base d’aliments locaux et de saison, etc.
Les principaux développements
Au milieu des années 90, d’autres cantons font part de leur intérêt pour cette démarche de santé publique novatrice. Formellement, Vaud (1996) et le Tessin (1997) sont les premiers à rejoindre ce qui est devenu « l’opération intercantonale Fourchette verte ». Et le 2 décembre 1999, sous l’égide de Promotion Santé Suisse (alors encore nommée « Fondation 19 ») la Fédération Fourchette verte Suisse est créée.
Les autorités se rendent compte, petit à petit, du potentiel de cette mesure structurelle de santé publique. Initialement pensé pour les cafés-restaurant, le label est dans un premier temps étendu aux restaurants d’entreprises et aux self-services. Très rapidement, c’est le public-cible qui s’élargit, car offrir la possibilité de manger équilibré aux adultes, c’est bien. Forger la bibliothèque des goûts et des fréquences d’aliments de nos enfants et nos jeunes, leur offrir un référentiel pour la suite de leur existence, c’est mieux. Ainsi, « Fourchette verte junior » voit le jour en 2002, taillé sur mesure pour les lieux d’accueil et les restaurants scolaires des 4 à 15 ans. En 2005, les dirigeants vont rapidement poursuivre cette extension aux « Tout-petits », pour la tranche d’âge 1 à 4 ans.
Fourchette verte connaît un réel engouement : certaines communes, comme Genève ou Lausanne, ou certains cantons, le Jura, vont aller jusqu’à rendre obligatoire le label de l’alimentation équilibrée pour les établissements sous leur responsabilité. Progressivement, la période de la journée couverte par le label s’élargit au-delà du simple repas de midi. Elle englobe, toujours de manière facultative, les pauses du matin et/ou de l’après-midi, puis le petit déjeuner. Des déclinaisons de Fourchette verte pour les internats ou institutions, sont également élaborées et dénommées « affiliation junior » « affiliation Fourchette verte (adultes) ».
Mieux que Tintin
En parallèle, le développement se poursuit vis-à-vis de nos aînés. Eux aussi commencent à bénéficier du label de santé dans leurs institutions. Suite aux travaux de Fourchette verte Vaud, il apparaît qu’une alimentation adaptée à leur situation particulière permet de les garder en meilleure santé, de limiter certains médicaments et parfois même d’éviter les esquarres. Au-delà des économies réalisées, l’introduction des exigences du label contribue à la qualité de vie des aîné-e-s, y compris dans les établissements médico-sociaux.
Dès ce moment-là, Fourchette verte fait, osons le dire, mieux que Tintin. Si la célèbre BD a en effet pour devise « de 7 à 77 ans », le label s’adresse désormais à tout un chacun depuis la première année de vie et jusqu’au crépuscule de l’existence.
Le passage de la Sarine
L’étape suivante réside dans le fait de franchir la « barrière de röstis ». Du matériel existait déjà en allemand pour les cantons bilingues (Valais, Fribourg) et en italien puisque Fourchette verte était présente au Tessin presque dès le début. Il faudra toutefois attendre février 2011, pour que Soleure devienne le premier canton alémanique à rejoindre la Fédération. Il sera suivi rapidement de Berne à l’automne de la même année, puis par Argovie au premier semestre 2012.
Cette extension à l’ensemble du pays est soutenue par Promotion Santé Suisse qui, en parallèle, a également encouragé le développement d’une offre de santé publique similaire : « Schnitz und drunder » [2]. Issu du Centre agricole Ebenrain, dans le canton de Bâle-Campagne, «Schnitz und drunder» n’est pas un label, mais plutôt une distinction, pour les crèches et garderies, indiquant qu’elles suivent les principes d’une alimentation équilibrée et durable. Un des principaux atouts de la mesure bâloise réside dans l’accompagnement effectué directement dans les structures, afin de les faire progresser et parvenir à servir une alimentation promouvant la santé [3].
En 2012, il apparaît judicieux aux divers acteurs d’effectuer un rapprochement fort entre les deux projets. Et pour une fois, c’est la mesure alémanique qui va être intégrée au label latin, établit plus largement et depuis plus longtemps. C’est lors de cette ingération qu’est introduite une extension du label (Fourchette verte – Ama terra), orientée vers le développement durable, la saisonnalité et la proximité. Ces critères faisaient jusque là l’objet de vives recommandations, souvent suivies, mais ils deviennent dès lors contraignants si l’on choisit cette option.
Le label d’alimentation équilibrée est ainsi proposé dès 2016, pour les cantons qui le souhaitent, en deux variantes : Fourchette verte qui compose la base du label avec l’ensemble des aspects purement nutritionnels, ou Fourchette verte – Ama terra, où le développement durable est pleinement intégré. Cette extension et cette intégration permettent la poursuite du développement du label en Suisse alémanique, là où sans doute réside son plus fort potentiel de croissance.
Les stratégies de gouvernance
Pour assurer ces développements et effectuer la conduite stratégique, la Fédération, compte sur un Comité élu par l’Assemblée générale, composé de trois membres issus des sections cantonales et de trois membres des départements cantonaux. Cet équilibre allie ainsi les connaissances et compétences opérationnelles des personnes en lien avec le terrain et celles, plus globales et amenant une vision de santé publique, des personnes issues des administrations cantonales.
La Fédération est régulièrement présidée par un·e ministre en charge de la Santé d’un canton. A Pierre Kohler (JU), Pierre-François Unger (GE), Thomas Burgener (VS), Philippe Receveur (JU) et Michel Thentz (JU) a succédé depuis octobre 2017, Anne-Claude Demierre, ministre de la Santé du canton de Fribourg. Une telle présidence permet non seulement de profiter de précieuses impulsions, mais aussi d'ouvrir des portes et de faciliter bon nombre de rencontres.
Au Comité s’ajoute, au niveau opérationnel, une conférence de coordination ayant lieu deux fois par année. Ces réunions regroupent l'ensemble des personnes en charge de la coordination des sections cantonales. Elles assurent les échanges de bonnes pratiques et font remonter rapidement les problématiques issues du terrain.
Début 2020, ce sont 18 sections cantonales qui composent la Fédération Fourchette verte Suisse, avec près de 1600 établissements labellisés. L’idée née sur les bords du Léman a essaimé jusqu’au Lac de Constance et désormais, un peu partout en Suisse, des repas équilibrés sont proposés. Cela n’aurait pas été possible sans les départements cantonaux de Suisse romande et sans Promotion Santé Suisse qui ont soutenu le label depuis ses débuts. Cette aventure n’aurait pas existé non plus sans l’ensemble des sections cantonales et toutes les personnes qui « font » Fourchette verte au quotidien.
[1] Arrêté relatif à la nomination des membres de la commission consultative de l'action «Fourchette verte», 20 décembre 1993.
[2] Schnitz und drunder est à la base un plat typique de Bâle campagne, composé de quartiers de poires ou de pommes, de patates et avec un peu de lard à cuire pour le goût (plat hivernal).
Cet article appartient au dossier À table!
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Stéphane Montangero, «Le label national de l’alimentation équilibrée», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 mai 2020, https://www.reiso.org/document/5974