Neuchâtel favorise l’entreprise sociale productive
Face à l’augmentation du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale, les cantons ont développé de nouveaux modes d’insertion. Dans le canton de Neuchâtel, le projet d’entreprise sociale productive a été concluant et va s’élargir.
Par Michel Bernasconi, collaborateur scientifique, Service de l’action sociale du canton de Neuchâtel
En Suisse, il n’y a pas d’entreprise sociale type. Plusieurs définitions existent en la matière et de nombreux acteurs s’inscrivent sous cette bannière. Le public cible et les objectifs des entreprises sociales diffèrent, tout comme leur place au sein de l’économie. Il règne dès lors une certaine confusion autour des concepts en raison de la multiplicité des modèles et de la diversité des réalités économiques cantonales, voire communales, mais également en raison des politiques publiques locales et des différents acteurs publics et privés. Ces dernières années, l’explosion du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale a obligé les cantons à développer des mesures d’insertion dans ce cadre institutionnel.
Dans le canton de Neuchâtel, diverses expériences ont été menées sous le label de l’entreprise sociale, mais l’Etat a souhaité développer un concept d’entreprise sociale propre avec ses critères spécifiques. Ce concept mis en place par le service de l’action sociale dans une première expérience-pilote en 2011-2012 est désormais ouvert à de nouveaux partenaires. Le projet mené par le service de l’action sociale utilise pour sa part le terme d’entreprise sociale productive, résumé sous l’acronyme NE-ESO.
Ainsi, une entreprise sociale productive NE-ESO est une entreprise du canton de Neuchâtel, sans but lucratif, qui mène un rôle actif sur le marché complémentaire du travail. Elle doit produire des biens ou des services, avec une prise de risque économique, tout en ayant pour finalité l’insertion de personnes bénéficiaires de l’aide sociale. L’entreprise sociale productive doit pouvoir dégager des moyens financiers propres permettant la couverture partielle des salaires (marge d’autofinancement requise d’au minimum 50%).
L’entreprise sociale productive peut donc offrir du travail à un public dont on admet une plus faible productivité. Dans ce cas, l’entreprise est soutenue par une aide financière compensatoire des pouvoirs publics et s’engage à employer durablement la personne via un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) relevant du code des obligations.
Le but spécifique
Force est de constater que l’aide sociale ne se résume plus seulement en une intervention ponctuelle, mais que pour un certain nombre de personnes, elle est destinée à durer plusieurs années, voire jusqu’à l’âge de la retraite. Une part non négligeable de ces personnes exclues du marché du travail dispose cependant d’une certaine capacité de travail, d’un savoir-faire important et parfois d’une bonne formation.
L’impossibilité pour de nombreuses personnes d’avoir accès à un emploi salarié est devenue un problème de société fréquent. L’insertion sur le 1er marché du travail est difficile et particulièrement dans le canton de Neuchâtel qui possède un taux de chômage élevé (5.2% au mois de septembre 2013). De plus en plus de personnes sollicitent l’intervention de l’aide sociale de manière continue et complète car elles sont rejetées du dispositif d’assurances sociales fédérales (LACI, LAI [1]) et sont de facto exclues du marché du travail à long terme ou même définitivement. Devant ce risque d’exclusion durable et les capacités de travail inexploitées, les collectivités publiques doivent rechercher de nouvelles solutions dans une approche "gagnant-gagnant" : le bénéficiaire s’intègre davantage et les collectivités dépensent moins que par l’aide sociale complète.
L’entreprise sociale productive a pour mission d’insérer des personnes désireuses et capables de travailler, mais pas assez productives pour une intégration sur le 1er marché du travail. Au travers d’activités économiques, elle propose un emploi rémunéré à des personnes avec des capacités de travail réduites. En contrepartie, l’entreprise NE-ESO qui a conclu un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) perçoit une indemnité de l’Etat pour le défaut de productivité de la personne placée. Il s’agit d’une mesure complémentaire au dispositif d’insertion déjà mis en place à l’égard des bénéficiaires de l’aide sociale du canton de Neuchâtel (programmes d’insertion socioprofessionnelle ISP et programmes spécifiques d’emplois temporaires PSET).
Le public cible
Le public à qui s’adressent les emplois NE-ESO est constitué de bénéficiaires de l’aide sociale dont les perspectives de réinsertion sur le 1er marché du travail sont apparemment faibles. Ces personnes veulent et peuvent travailler, elles peuvent bénéficier d’un savoir-faire important et/ou d’une bonne formation, mais disposent d’une capacité productive résiduelle se situant a priori au-dessus de 50% mais pas à 100% (donc entre 60% et 90%). Elles ont leur place au sein d’une entreprise NE-ESO malgré une capacité de travail qui ne correspond plus aux exigences professionnelles actuelles, une santé déficiente sans reconnaissance par l’assurance-invalidité, des troubles de la dépendance, un âge relativement élevé ou encore un besoin de temps d’adaptation.
Selon les statistiques de l’aide sociale pour le canton de Neuchâtel (OFS 2012), on recense environ 12’000 personnes qui ont bénéficié en 2012 d’une aide matérielle, sur un mois ou toute l’année, de manière totale ou pour un complément de revenu. Déduction faite d’environ 30% de mineurs, près de 8’000 personnes sont en âge de travailler. Parmi celles-ci, environ un tiers sont qualifiées de personnes "actives occupées", ce sont des "travailleurs pauvres" pour lesquels des mesures d’insertion ne se justifient pas. Sur les quelque 5’500 personnes qui émargent ensuite à la statistique, nombre d’entre elles entreprennent des démarches d’insertion ou de requalification (notamment via le dispositif des programmes d’insertion du service de l’action sociale) en vue de retrouver un emploi et progressivement s’intègrent professionnellement. Il n’en reste pas moins qu’il subsiste tout de même un certain nombre de personnes connaissant des difficultés persistantes à intégrer le 1er marché du travail.
Le concept neuchâtelois d’entreprise sociale répond ainsi aux besoins des personnes de s’insérer socialement, économiquement et professionnellement, en clair de travailler dans un environnement adapté voire d’être accompagnées peu à peu vers un emploi plus classique du 1er marché. Il recouvre des emplois durablement occupés par des personnes sans perspective réaliste de retour sur le 1er marché de l’emploi, à court terme en tous les cas.
L’avantage social et psychologique pour le bénéficiaire de l’aide sociale est évident. L’intérêt pour les collectivités publiques est, quant à lui, de permettre de réaliser une économie sur les charges d’aide matérielle.
La prise de risques sur le marché
Une entreprise NE-ESO est avant tout une organisation de production de biens ou de services active sur le marché et prête à affronter une prise de risques économique significative [2]. Mais elle est sans but lucratif et vise l’insertion de personnes bénéficiaires de l’aide sociale.
Considérant la prise de risque entrepreneuriale, l’entreprise reconnue NE-ESO est soutenue par une aide financière compensatoire des pouvoirs publics et s’engage à employer durablement la personne via un contrat de travail à durée indéterminée relevant du code des obligations. Le défaut de productivité des personnes est ainsi couvert par une participation de l’Etat et des communes au salaire à hauteur de 50%.
Les postes proposés ne concurrencent pas les emplois du 1er marché du travail et impliquent un salaire soumis à cotisations sociales. Il est conforme à celui pratiqué dans la branche et la région, à 100%. L’entreprise NE-ESO n’entre, en principe, pas en concurrence avec les entreprises commerciales. Elle se concentre sur un ou plusieurs secteurs (marchés de niche) dont la rentabilité n’est pas suffisante pour intéresser l’économie privée (activités non réalisées, activités délocalisées, etc.) ou, si une offre privée existe, elle travaille aux prix du marché (pas de dumping sur les prix).
L’expérience poursuivie
Le concept établi par le service de l’action sociale a été concrétisé par une expérience-pilote avec Alfaset [3] en 2011-2012. A ce jour, 50 dossiers de bénéficiaires de l’aide sociale ont été présentés par les services sociaux régionaux ou les responsables de programmes d’insertion. 33 dossiers ont été sélectionnés par Alfaset. Après croisement avec les offres de poste, dans les domaines de la production, de la mécanique ou de la maintenance, et après une visite d’admission, 8 personnes ont été retenues afin d’effectuer un stage de 3 mois non rémunéré sur un site d’Alfaset.
Au final, 3 personnes sont sorties de l’aide sociale car elles ont été engagées par Alfaset.
Suite au bilan de cette expérience-pilote, tous les partenaires sont unanimes quant à la volonté de poursuivre sur cette voie. Le service de l’action sociale se réjouit d’ores et déjà de la collaboration avec l’Espace des Solidarités [4] qui débutera le 1er janvier 2014. Elle ouvrira la palette des activités proposées et permettra d’offrir de nouvelles places de travail. Au fil des mois, l’objectif est que d’autres collaborations se mettent en place.
[1] Loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité, Loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité.
[2] Logique entrepreneuriale menant à atteindre le chiffre d’affaires le plus élevé possible.
[4] Site internet d’Espace des Solidarités