Les entreprises suisses et la diversité
La diversité des genres, des cultures et des générations. La diversité des situations familiales, des attitudes et des visions du monde… Autant de paramètres qui favorisent la créativité et la cohésion du personnel.
Par Ihsan Kurt, master en administration publique, IDHEAP (UNIL), Lausanne
Dans un contexte mondial de mutations sociales, démographiques, économiques et culturelles, la gestion de la diversité [1] prend de l’importance dans les entreprises publiques et privées. Au-delà des discours de marketing, l'idée a bel et bien fait son chemin. Le monde académique, mais aussi les milieux économiques réfléchissent à la gestion de la diversité des genres, des cultures, des générations, qui s'appuie sur le principe selon lequel chaque collaborateur représente une ressource en termes de créativité et d'esprit d'entreprise.
Mais que signifie le diversity management ? Ce concept qui englobe les différences, mais aussi les points communs et les similitudes entre les individus dans la vie en général. Pour le domaine qui nous occupe, il s'agit des différences et des similitudes entre les individus qui travaillent ensemble dans une entreprise: l'origine ethnique, la religion, la culture, l'âge, le sexe, le handicap, mais aussi la situation familiale, personnelle, les attitudes, les comportements et la vision du monde.
La gestion de la diversité se base sur le principe selon lequel chaque collaborateur est différent et porte une ressource en terme de créativité en lien avec les besoins de l'entreprise. Très précisément, c’est de la richesse et de la diversité des ressources disponibles que se dégage un potentiel de créativité élevé, bien évidemment à condition que la direction de l'entreprise soit à la hauteur du défi et à même de les gérer au service de la performance et de la cohésion du personnel. Autrement dit, la gestion de la diversité est la stratégie d'utilisation des meilleures pratiques avec des résultats prouvés afin de trouver et de créer un lieu de travail divers et inclusif.
La fin de la discrimination positive
Depuis les années 1980 en Europe, et depuis plus de cinquante ans aux Etats-Unis [2] et au Canada, la diversité croissante de la main-d’œuvre, y compris sur le marché local, pose de nouveaux défis en termes de marketing et d’innovation des produits, de performance mais aussi des modes d’organisation et des politiques de gestion des ressources humaines. La notion de diversité est réapparue au début des années 1990 aux Etats-Unis après l'échec des politiques d'affirmative action mises en place dans les années 1960 afin de résoudre les discriminations subies en particulier par la minorité noire. Les mesures de discrimination positive n'ont pas réussi à faire évoluer les mentalités et le concept de management de la diversité s’est alors développé. Aujourd'hui, de nombreuses entreprises privées et publiques déclarent s’engager pour l’égalité salariale et pour des politiques de ressources humaines non discriminatoires, à l’embauche et dans l’emploi. Si le concept de la diversité dans l’entreprise paraît nouveau en Suisse, ce n’est pas le cas pour d’autres pays.
Malgré un arsenal juridique fort en Europe et aux Etats-Unis, les discriminations sur certaines dimensions de la diversité (genres, cultures, âges, handicap, etc.) persistent sous différentes formes dans nos sociétés multiculturelles: discrimination à l’embauche, déqualification professionnelle, limitation de l’évolution de la carrière, différence dans l’accès aux formations, dans l’application des sanctions et des licenciements, niveau de rémunération plus bas, etc.
La diversité comme axe stratégique
Après être entré dans les entreprises privées, la gestion de la diversité est aujourd’hui également ancrée dans la vie des services publics et parapublics, quoiqu’avec des rythmes différents. Certains pays peuvent déjà en évaluer les effets bénéfiques, tant sociaux qu’économiques, alors que d’autres pointent du doigt l’urgence de mieux investir le sujet. Si, au départ, la recherche de diversité est restée centrée sur le recrutement et a été prise en charge par la fonction «ressources humaines», elle est maintenant un axe stratégique majeur et implique l’ensemble du cycle de carrière et de gestion des salariés.
La diversité permet à l’organisation de renforcer les liens entre l'employeur et les employés, de développer une culture commune au sein de l'entreprise. Reconnu dans sa diversité culturelle, de sexe, d'âge ou de handicap, le personnel s'identifiera à l'entreprise. Une organisation à caractère social, par exemple, donnera ainsi une image positive, attractive vis-à-vis de ses bénéficiaires et de ses employés. Par cette politique, elle contribue aussi au renforcement de l'Etat social, qui externalise des politiques publiques favorables à la famille, aux genres, aux séniors ou aux personnes handicapées. Concrètement, cette politique passe par une nouvelle règlementation du temps de travail, des postes à temps partiel et de télétravail adaptés aux personnes, l'égalité hommes-femmes aux postes à responsabilité, une crèche pour les enfants, des formations continues en lien avec la diversité du personnel et des bénéficiaires.
La Suisse en retard
La Suisse est critiquée par la Commission européenne et des organisations onusiennes parce qu’elle n’offre pas une protection suffisante contre la discrimination. C’est pourquoi ces organisations supranationales ont recommandé à plusieurs reprises à Berne de renforcer cette protection, notamment dans le domaine privé. La Suisse reste en retard en comparaison avec les pays de l’Union européenne dont l’évolution en matière de protection contre la discrimination est très dynamique. Si l’idée de «management, diversité, égalité des chances» fait bien son chemin sur le marché du travail aujourd'hui, notamment dans les entreprises privées, les services publics cantonaux ne semblent pas encore en avoir pris conscience. Ils devraient pourtant montrer le «bon exemple» en raison de leurs responsabilités d’intégrateurs pour la cohésion sociale et l’égalité, non pas seulement limitée à la présence hommes-femmes, à l’accès aux postes à responsabilité mais aussi à la diversité culturelle, générationnelle et liée au handicap.
Pour développer une culture d’entreprise forte et diverse, il faut d'abord une stratégie et une vision d’entreprise capable d’intégrer la diversité comme composante essentielle. Le système de management de la performance doit devenir extrêmement transparent et se développer méthodiquement, en consultation avec toutes les parties prenantes internes. Pour ce faire, les auteurs d’études sur la diversité proposent de prendre des mesures de performance sans distinction d’ethnie, de couleur de peau, d’âge, de sexe et de religion. Cette démarche est complexe, car la plupart des gens ne sont pas conscients de leurs propres filtres de perception.
Une autre mesure à prendre est l’établissement d’un état des lieux des diversités au sein de l’entreprise. Il faut tenir compte des compétences, des talents, des expériences et des attributs personnels (le sexe, l’âge, l’origine ethnique, etc.) des collaborateurs. Ce type de connaissances détaillées facilitera la poursuite de l’objectif avec la création probable d’équipes innovantes et dynamiques pour générer de nouvelles idées.
Construire les compétences
La construction des compétences interculturelles est un processus complexe qui se réalise au fil du temps et implique des capacités de réflexions, de transformations mais surtout une volonté d’entreprise. Les capacités interculturelles comportent la capacité des individus à se mobiliser de façon culturellement consciente, des connaissances, des habilités, des attitudes et des valeurs, qui permettent d’affronter des situations problématiques variables et non familières, dérivant de la rencontre avec des personnes de cultures différentes, dans le but de trouver de nouvelles solutions communes.
Partant de ce constat clé, construire des compétences de la diversité signifie agir sur les dimensions de l’expérience et des réflexions menant aux actions concrètes performantes pour l’organisation. Dans un contexte managérial de gestion des compétences, cela signifie savoir lire les comportements en terme de culture subjectives, savoir repérer et relativiser l’influence que les valeurs ont, en orientant nos actions et relations, nos façons de fonctionner, sans recourir à un relativisme incohérent. Cette démarche permet de reconnaître la capacité constructive des individus à trouver des solutions collectives.
Les avantages de la diversité
En guise de conclusion, la gestion d’équipes de travail multiculturelles et la capacité de manager la diversité deviennent des compétences clé à acquérir pour l’encadrement de demain. Il devient donc nécessaire d’insérer cette diversité dans un cadre cohérent et structuré qui permette une convergence des actions. C’est pourquoi, comme explique A. Guenette, le management de la diversité est aussi un acte essentiel pour reconnaître et valoriser les avantages de la diversité au lieu d’en subir les inconvénients.
Pour ce faire, il faut mettre en place une politique de la diversité avec la participation de toute l’organisation de manière cohérente. Il s’agit aussi de manière concrète de :
- créer des procédures de travail adaptées à la diversité du personnel et une nouvelle structure organisationnelle adoptant la culture de la diversité
- sensibiliser les cadres par des formations et activités diverses et participatives
- flexibiliser le temps de travail et favoriser la conciliation avec la vie familiale
- introduire des mesures d’aide à la carrière : coaching, après des congés et absences de longue durée
- adapter un système d’évaluation et de rémunération dans une perspective d’égalité
- mettre en place du parrainage et des réseaux de femmes.
[1] Cet article s’inspire du travail de master à l’IDHEAP «La gestion de la diversité au sein d'une organisation à caractère social».
[2] Lectures consultées:
Chevrier S., (2013), Le management interculturel, PUF, Paris
Guenette A. –M. et al. Gestion de la diversité, Dossier HRM, no : 21, Zurich, Jobindexmedia ag, 2011, p. 34
Hélène G.-M., «Gestion de la diversité et enjeux de GRH», Management & Avenir 2006/1 (n° 7), p. 23-42.
Kingsley J. Donald, (1944), Representative Bureaucracy, Yellow Springs, Antioch Press
Meier O., (2013), Management interculturel, Stratégie-Organisation-Performance, Dunod, 5e éd., Paris
Semache S., «La diversité au cœur des équipes : quels enjeux ? Quelles méthodes de management ? Quelle place pour le management intermédiaire», in Management & Avenir 2006/4 (n° 10), pp. 199-211.
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Comment citer cet article ?
Ihsan Kurt, «Les entreprises suisses et la diversité», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 9 juillet 2018, https://www.reiso.org/document/3250