Les seniors : adultes ou espèce à protéger ?
Comment interpréter le méli-mélo des appellations pour désigner les personnes de plus de 60 ans ? Et pourquoi les formations qui leur sont destinées sont-elles aussi peu reconnues par les politiques ?
Par Roland J. Campiche, professeur honoraire de l’UNIL et ancien président de l’Université des seniors du canton de Vaud 2002-2009
Il ne se passe pas de jour sans qu’un docte spécialiste ou un politicien bienveillant interpelle par médias interposés sur l’irrésistible vieillissement de la population. En 2050, selon les prévisions, 2 milliards de terriens auront plus de 60 ans. Les propositions pour faire face se distinguent généralement par leurs bonnes intentions, le méli-mélo des appellations pour désigner les intéressés et une tendance à privilégier les mesures de santé.
3ème Age, 4ème Age et bientôt 5ème Age. Vieux, Aînés, Personnes âgées, Sages, Retraités, AVS… Beaucoup de noms qui désignent un ensemble un peu flou, mais qui pourrait poser un problème ! Or, depuis des décennies, on dispose en Suisse comme ailleurs d’études qui montrent que cet univers indéfini ne renvoie pas qu’à des constructions d’EMS ou des accompagnements de fin de vie. De même que, dans les années 1990, on a mis en avant l’apparition d’un nouvel Age de la vie qu’on a appelé la Jeunesse (19 à 29 ans) dû au changement des conditions d’existence et à l’allongement de la vie, de même on voit se profiler en aval un autre nouvel Age qu’on pourrait nommer Les seniors (60 à 85 ans). Un découpage à ne pas prendre évidemment au pied de l’âge !
En général en bonne santé, actifs, dotés d’un savoir, les seniors prennent en charge leurs petits-enfants (2 à 3 milliards d’économie pour la société selon une recherche du Fond national suisse de la recherche scientifique), animent bénévolement des associations et fondations, votent, voyagent, font du sport, se cultivent… avec le secret espoir de se maintenir en santé. Ces éducateurs, animateurs, citoyens, soignants (souvent ils accompagnent leurs parents dans leur extrême vieillesse) ont une revendication : être considérés comme des adultes. Placés devant le chapelet de noms proposés à leur choix pour les désigner, ils ont en effet retenu à 70% cette appellation « adultes » suivie de celle de « seniors » (62%). Tel est un des résultats d’une recherche sur les modes de vie des seniors menée dans le canton de Vaud en 2006 et 2009 par le prof. Dario Spini de la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’Unil sur mandat de l’Université des Seniors du canton de Vaud, Connaissance3 [1].
L’expérience accumulée au fil des ans n’empêche pas l’usure des savoirs acquis. Les seniors doivent donc rafraîchir leurs connaissances et, surtout, être au courant des changements sociaux et culturels qui transforment nos sociétés et des innovations qui dans tous les domaines bouleversent les conditions de vie. Ils en ont besoin pour se maintenir en santé. Faire travailler son cerveau reste la première médication contre le vieillissement ! Ils en ont également besoin pour assumer leurs activités bénévoles et remplir leurs responsabilités citoyennes. Or, fait paradoxal dans notre société hyper-scolarisée, les seniors n’ont pas d’espace de formation reconnu.
Certes il existe depuis le milieu des années 1970 des Universités du 3ème Age. Elles sont étroitement associées et soutenues, comme dans le canton de Vaud, par les Universités, les HES et les Ecoles polytechniques. Elles élaborent un programme en considérant les besoins spécifiques des seniors. Elles sont gérées et organisées essentiellement par leurs participant-e-s. Ce qui les rend très bon marché. Mais elles ne sont toujours pas intégrées au système de formation.
Les Chambres fédérales discutent d’une nouvelle loi sur les universités (LAHE). Sollicitées par la Fédération Suisse des Universités du 3ème Age, les commissions d’études ont à ce jour rejeté la demande d’inscrire les Uni3 dans le paysage des universités suisses. Prétexte avancé : les universités forment à l’exercice d’une profession. La longue tradition qui voudrait que les Universités certes ouvrent à l’activité professionnelle mais veillent aussi à ce que leur savoir serve la vie de la cité serait donc oubliée. Plus, on renvoie les Uni3 vers la formation continue. Malheureusement, foi de lecteur du dernier rapport fédéral sur la question, la formation continue est étroitement conçue en relation avec la vie professionnelle. En Suisse, l’idée force reconnue par exemple par le Conseil de l’Europe que la formation est nécessaire « la vie durant » n’est encore qu’un slogan.
Une loi sur les Universités est concoctée tous les 20 ans. Le bataillon des seniors ne va que s’étoffer. Leur niveau de formation ne va que s’élever. Si 35 % des 25 à 64 ans ont acquis aujourd’hui un diplôme de formation supérieure, ils seront 60% en 2045. C’est une raison première pour situer les Uni3 dans le giron des Universités. De plus l’expérience professionnelle supplée souvent l’absence d’un degré universitaire. Enfin beaucoup de seniors n’ont pas pu accéder à l’Université et ont un rêve à rattraper. Comme me le disait un Combier après avoir vécu une formation de C3 à Dorigny : « Si c’est ça l’Université, c’est génial ! » Il serait dommage que la Suisse politique rate le train de l’histoire et n’offre pas aux seniors l’espace de formation propre à transmettre cette distance critique si nécessaire pour vivre aujourd’hui.
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- Photo : Visite du laboratoire L’Eprouvette de l’UNIL en 2010. © Connaissance3-S.Prada
[1] Rapport Spini disponible en téléchargement sur cette page du site de l’Unil