Un lexique romand des logements pour seniors
Dans les cantons romands, les logements et les structures intermédiaires pour les seniors se mettent en place dans un foisonnement sémantique. Un lexique pose des balises pour s’y retrouver. Passage en revue de quelques mots-clés.
Par Neil Ankers, consultant et entrepreneur social, serdaly&ankers, Genève
Les logements pour les seniors et les structures intermédiaires ont le vent en poupe : la demande s’accroît, les projets fleurissent, la littérature abonde et les cantons légifèrent. Le tout avec une créativité sémantique mitonnée dans le creuset du fédéralisme, la politique médico-sociale étant l’apanage des cantons.
Sur la base d’une observation de la réalité romande, une proposition de lexique unifié [1] a été établie. Son ambition : aider, dans l’immédiat, les acteurs impliqués à se comprendre et les inviter à adopter des acceptions communes à l’avenir. Publié par Curaviva Suisse, ce lexique concerne non seulement la désignation des différentes formes de logements ou structures intermédiaires, mais aussi leurs contenus et leurs publics-cibles.
Entre le chez soi et l’EMS : la troisième voie
La population suisse vieillit, ce phénomène s’accélère et s’accompagne d’une augmentation des situations de maladies chroniques et de comorbidités : ces évolutions sont connues, largement décrites, et font partie des données de base de nombre de politiques publiques. Tout comme le constat que les besoins des personnes âgées de demain, issues du baby-boom et ayant côtoyé jusqu’ici un appréciable essor économique et une accélération technologique constante, ne seront pas les mêmes que ceux de leurs aînés d’aujourd’hui.
Dans ce contexte, les planifications médico-sociales cantonales font toutes le même constat : répondre à ces évolutions par la simple augmentation proportionnelle du nombre de lit de longs séjours en EMS ne serait pas pertinent ni financièrement possible.
L’alternative ? Sortir du choix binaire des années 80 – rester chez soi ou entrer en EMS pour un long séjour – et favoriser le développement des « structures intermédiaires ». Cette troisième voie constituée d’une offre aussi plurielle que l’est la diversité des personnes âgées et de leurs attentes répond – de manière progressive parce que composée de solutions intégrées et articulées entre elles – aux pertes progressives de certaines capacités fonctionnelles liées au vieillissement. Elles mobilisent dans le même temps l’autonomie restante de la personne elle-même et son entourage.
Vieillir chez soi : le souhait prédominant
Arrivées à la retraite, la plupart des personnes souhaitent, aussi longtemps que possible, ne pas avoir à quitter leur cadre de vie familier. C’est là qu’ils désirent, tant que leur santé physique et mentale le permet, pouvoir organiser leur vie.
Afin de le permettre, les trente dernières années ont vu, en Romandie et à des rythmes divers selon les cantons, une montée en puissance de l’aide et des soins à domicile. L’offre s’affine constamment – notamment face à l’actuelle diminution des durées de séjours hospitaliers – et cherche aujourd’hui à s’articuler le mieux possible avec les autres acteurs de la chaîne de soins.
Mais cette réponse a évidemment ses limites, auxquelles répondent justement les « structures intermédiaires », qu’il s’agisse de formules d’accueil temporaires ou d’un nouveau « chez soi » plus adapté. Ce sont précisément ces structures que le lexique romand définit le plus précisément possible tout en rappelant la variété des appellations utilisées dans les différents cantons [2].
Le boom des formules d’accueil temporaires
Axée sur l’intendance et/ou les soins, l’aide à domicile peut contribuer à l’isolement social de leurs bénéficiaires. Dans ce cas, elle pourra être complétée par la fréquentation régulière d’un « foyer de jour » (appelé « Centre d’accueil temporaire » dans le canton de Vaud ou « Centre de jour » dans celui du Jura). De tels foyers permettent également de décharger régulièrement les proches, notamment lors de troubles cognitifs moyens.
Certaines maladies chroniques peuvent générer des épisodes aigus nécessitant une institutionnalisation temporaire, ce qu’offrent les « courts séjours » (appelés « Unités d’accueil temporaire » à Genève ou « accueil temporaire » à Neuchâtel). Les courts séjours ont généralement lieu dans des EMS et peuvent également être utilisés pour soulager les proches aidants, les remplacer temporairement si besoin, faire face à un événement structurel temporaire (réfection de l’ascenseur par exemple). Ils sont aussi disponibles en cas d’urgence sociale, être prescrits à des fins d’observation du bénéficiaire, comme lieu de séjour temporaire suite à une hospitalisation ou encore, mais plus rarement, pour des soins palliatifs en fin de vie.
Un nouveau chez soi individuel plus approprié
Face à certaines limitations fonctionnelles (diminution de la vue, de la mobilité, pertes de mémoire), l’aide et les soins à domicile gagneront à être complétés par une adaptation du logement, afin de redonner de l’autonomie au bénéficiaire concerné ou de contribuer à la préserver.
Si cela n’est pas possible, le déménagement dans un « logement adapté », qui doit être abordable sur les plans financier, architectural et quant à son insertion dans la cité [3], permettra de préserver autrement son autonomie. Dans certaines circonstances, ou simplement pour des raisons de confort, il sera judicieux d’y prévoir un ensemble de prestations de base (présence d’un·e référent·e social·e et d’un système d’appel) ainsi que des prestations « à la carte » (prestations hôtelières par exemple), ce qui en fera alors un « logement protégé » (appelé « Immeuble avec encadrement pour personnes âgées » ou « IEPA » à Genève).
Le fort attrait que connaissent aujourd’hui les logements adaptés et protégés tient du fait qu’ils répondent au double souhait d’autonomie et de sécurité, et ce de manière flexible et réadaptable en cas d’altération des capacités.
Ci et là, cette recherche d’un autre chez soi mieux adapté débouche sur des « communautés privées d’habitations », formes de logement moins conventionnelles comprenant les « logements (semi) communautaires » ou les « logements ou l’habitat intergénérationnels ».
L’EMS transformé en centre de compétences
Forts de leur expertise dans l’accompagnement du grand âge, de leur implantation fine sur le territoire et de leur ouverture permanente, nombre d’EMS proposent et exploitent, aujourd’hui déjà et à côté de leurs lits de long séjour, une ou plusieurs de ces différentes structures intermédiaires. Ils sont ainsi devenus des pôles de prestations multiples autour de leur expertise dans l’accompagnement du grand âge. Dès lors, l’utilisation du terme « EMS » comme synonyme du seul « long séjour » semble devenue aujourd’hui inappropriée.
Les avantages de cette évolution sont pluriels. Pour les bénéficiaires, cela permet d’accéder à une panoplie évolutive de prestations en fonction de leurs besoins, avec la possibilité – plus tard et en cas de nécessité – d’accéder à un lit de long séjour tout en restant dans un cadre général qui leur sera alors devenu familier. Pour les résidants en longs séjours comme pour le personnel, c’est un moyen d’éviter une forme de « ghettoïsation », par l’ouverture de l’EMS vers des populations de seniors de différents âges, sous des formes ambulatoires comme stationnaires.
Les cantons légifèrent et définissent
Certes, les foyers de jour et les courts séjours ne sont pas nouveaux. Mais leur inscription formelle et progressive dans les politiques et législations médico-sociales des cantons romands comme pièces maîtresses du maintien à domicile leur donne, selon les cantons, un essor sans précédent. Certains cantons vont plus loin et mènent, dans le même but, une politique active également dans le domaine des appartements adaptés et protégés. C’est par exemple le cas du canton de Vaud, qui a ainsi pu maintenir l’une des densités de lits de long séjour en EMS les plus basses de Suisse [4] et éviter la construction de 1’300 lits supplémentaires.
Or qui légifère sur la fourniture de prestations doit en définir le contenu, les publics-cibles et le financement. D’où l’intérêt d’un lexique commun en la matière.
En conclusion, les EMS vont continuer, à l’avenir, à orienter leurs projets institutionnels vers un quotidien des résidants qui soit le plus proche possible de la vie « normale » et privée ; à intégrer dans leur offre la possibilité de choix individualisés et à s’ouvrir à la vie de leur propre quartier. Ces perspectives pourraient potentiellement être freinées par la médicalisation, en cours et croissante, des longs séjours en EMS. Dès lors, la transformation des EMS en centres de prestations intermédiaires et de long séjour permet justement d’éviter cet écueil.
[1] Neil Ankers, en collaboration avec Christine Serdaly et d’après H. Rüegger, « Habitat senior - Proposition de lexique romand unifié », Curaviva (éd), 28 pages, mai 2015. Présentation sur cette page de REISO
[2] Le lexique présente un tableau recensant, pour chacune des formes de logements pour seniors, son appellation dans les six cantons romands (sans Berne), en Suisse alémanique ainsi qu’en France qui complète la proposition d’appellation générale. On y trouvera également une bibliographie, en grande partie romande.
[3] En Suisse, la Loi sur l’égalité des handicapés (LHand), entrée en vigueur en 2004, impose l’absence de barrières architecturales pour tout nouveau projet ou rénovation de bâtiment accessible au public. Cette exigence concerne les bâtiments comptant plus de 50 places de travail et les immeubles dès 8 logements. Les cantons ont, depuis, repris ces dispositions dans leur propre législation, en abaissant le seuil de 8 logements pour certains, comme à Fribourg par exemple.
[4] En 2013, le canton de Vaud exploitait 6’230 lits de long séjour en EMS, soit 51.6 lits pour 1000 habitant de 65 ans et plus, pour 64.5 en moyenne suisse la même année. Seuls les cantons de Genève, Valais et Bâle Campagne présentent des densités inférieures.