EMS: s’enrichir d’autres acquis pour mieux évoluer
Agrandissement, fusion avec une organisation d’aide et de soins à domicile ou regroupement en centres de soins intégrés sont des pratiques courantes des établissements médico-sociaux. Quels enseignements tirer de ces processus?
Par Neil Ankers, fondateur et associé, Serdaly & Ankers snc., Conches
Les statistiques sont claires [1] : depuis 2015, les regroupements et la diversification des EMS comme des organisations d’aide et de soins à domicile se sont accélérés. Si bien que, aujourd’hui, 30% des EMS font déjà partie de groupes. Pourtant, ces expériences de croissances et les savoirs ainsi glanés sont rarement documentés. A chaque fois, chacun·e semble ainsi invité·e à (ré)inventer sa propre roue. Les apprentissages observés auprès de quelques exemples de transformations organisationnelles récentes contribuent à tirer des enseignements utiles.
Aujourd’hui, diriger une institution médico-sociale demande des savoirs de plus en plus pointus et de bonnes capacités de résilience sur le plan financier, notamment. C’est qu’il faut pouvoir répondre aux exigences croissantes des bénéficiaires, qui demandent une prise en charge toujours davantage individualisée ; de leurs proches, qui ont plus d’attentes et moins de disponibilité ; du personnel, ayant de nouvelles attentes et dont la pénurie se fait sentir ; des partenaires, ainsi que des autorités et des assurances avec leurs exigences de qualité et économicité.
Cette situation a déjà été vécue par le passé par d’autres secteurs, comme des pharmacies et des cabinets dentaires ou médicaux, qui y ont répondu par d’importantes évolutions structurelles. Il n’est donc pas exclu que le secteur médico-social soit, lui aussi, entré dans une telle logique de croissances horizontales, à savoir l’agrandissement au sein de la même mission, du même métier.
Capitaliser les expériences pratiques
Par ailleurs, la population vieillit. Il en résulte une augmentation des maladies chroniques et des situations de polymorbidité, cela alors que le système de santé demeure largement organisé pour répondre avant tout aux besoins de soins aigus par spécialités. Pour cette raison, l’approche populationnelle de la santé — fondée sur les besoins de l’ensemble des personnes sur un territoire donné — et l’intégration des soins semblent constituer des réponses plus probantes. L’intégration verticale, les fusions ou alliances entre prestataires aux missions complémentaires, s’avère donc l’autre tendance observable dans ce nouveau contexte.
Faire croître une institution reste cependant un exercice délicat. Il s’agit de conserver les atouts de la PME en termes de proximité avec les équipes et acteur·trice·s locaux·les. En parallèle, il faut réaliser concrètement les gains de pertinence, de professionnalisme et d’efficience visés à travers cette croissance.
Ainsi, capitaliser et réinjecter, dans le secteur, les enseignements tirés des expériences de croissance d’institutions similaires sera un enjeux majeur ces prochaines années.
Placer la raison d’être au centre
Le premier facteur de succès observé est la capacité des organisations à (re)mettre leur raison d’être au centre, leur finalité, le « pour quoi ? » de leur existence. Là où l’organisation elle-même était souvent devenue la finalité, la focale se déplace alors sur le moyen le plus propice de servir cette finalité à l’avenir. L’organisation redevient un moyen et non une fin en soi. Ce changement de perspective aidera, par exemple, un conseil d’EMS à admettre plus facilement que ses buts statutaires peuvent être mieux atteints, demain, avec une organisation entièrement différente.
Ensuite, il va s’agir de traduire cette raison d’être en une vision et une mission claires et partagées. Cet exercice va permettre à l’organe stratégique — conseil ou comité — et à la direction d’avoir une conception commune du développement futur de leur(s) institution(s) et des moyens à mettre en œuvre. Il y a lieu ici de définir puis de communiquer les objectifs à atteindre. Pour y parvenir, il faut des ambassadeur·drice·s stratégiques et opérationnel·le·s enthousiasmant·e·s et pugnaces, capables de porter le projet dans sa durée, et ce tant au niveau stratégique (conseil) qu’opérationnel (direction).
Si l’exercice est réussi, alors cette vision et cette mission deviendront le vecteur naturel de motivation et d’implication des équipes pour la suite.
Le bon chemin et le bon rythme
Une fois qu’une décision de croître ou de regrouper des institutions est prise, par où commencer ? Les exemples observés sont unanimes : la première étape concerne l’organigramme de direction et des services supports, en regroupant ce qui peut l’être.
Dans ce cadre, la structure hiérarchique à mettre en place sur chaque site est réfléchie. Il est ainsi notamment décidé de l’encadrement des équipes de soins, d’accompagnement ou d’intendance, soit par des cadres sur chaque site, soit par des directions transversales. Dans le cadre d’une organisation agile ou libérée, un modèle d’équipes autonomes peut être adopté.
Dans cette première étape, il y a lieu d’aller aussi loin que possible en fonction du contexte, des opportunités et des ressources. Il s’agira en particulier de ménager les situations délicates, quitte à passer parfois par des organisations transitoires, alors expressément désignées comme telles, comme le maintien d’une fonction jusqu’au départ à la retraite de la personne titulaire.
La question de l’harmonisation des pratiques est traitée ensuite, via une réunion régulière des cadres de soins et d’accompagnement, entre autres, sur les différents sites. Cette harmonisation repose sur un travail de repérage et de mutualisation des bonnes pratiques dans un contexte de gouvernance partagée.
Une aventure collective
Une organisation médico-sociale n’est pas une chaîne de montage robotisée. Ses principales sources d’énergie et d’intelligence résident dans ses équipes. Leur participation est donc impérative lors d’importantes transformations organisationnelles.
Tout au long du processus, la création de groupes consultatifs ou de travail va permettre de bénéficier de la pluralité des points de vue. Cela contribue également à tester si les problématiques sont partagées et à assurer l’émergence de solutions pertinentes et largement soutenues.
D’autres facteurs de réussite ont encore été observés sur le terrain : d’abord, mentionnons la disponibilité et la proximité de la direction durant le processus de changement ainsi que sa communication transparente soulignant les bénéfices potentiels pour chacun·e, tout en restant à l’écoute des inquiétudes soulevées. L’adhésion des cadres intermédiaire au projet de transformation est aussi un enjeu fondamental, au vu de leur rôle de « rouage » pour faire descendre et remonter les informations et observations. Enfin, l’accompagnement et la formation, si besoin, des individus et des équipes vont aider chacun·e à trouver sa place et à s’impliquer pleinement dans l’aventure en cours.
Un schéma organisationnel révolu
Le monde — médico-social notamment — est devenu complexe. Le contexte évolue de manière aussi rapide qu’imprévisible. Le changement ne peut donc plus s’y concevoir dans une planification rigide et pluriannuelle, comme une partie de jeu dont on connaît les règles, immuables, à l’avance.
L’ancien schéma « 1) stabilité 2) problème et instabilité 3) solution 4) stabilité retrouvée » est périmé. Il doit être remplacé par des boucles constantes et rapides de récolte d’informations, d’analyse et d’actions adaptatives, le tout dans un jeu agile où l’organisation n’aura jamais atteint un stade définitif, à l’image du contexte perpétuellement évolutif.
C’est donc dire l’utilité de définir, en amont du changement, des objectifs et indicateurs de réussite. Puis de les relever en cours de route, d’en partager largement la lecture et l’analyse à l’interne pour ensuite réorienter le projet en continu, en fonction de ce qu’il est possible (ou non) de faire à chaque instant.
Des spécificités à chaque situation
Chaque institution est différente du fait de son histoire, des acteurs·trice·s qui la portent ou du contexte dans laquelle elle est née et se déploie. Toute situation doit être appréciée dans ce qu’elle a de similaire et de différent des autres, afin d’y composer une approche spécifique et adaptée selon le changement recherché.
Une partie de la route peut être inspirée des expériences observées ailleurs. L’autre est à créer de toute pièce. Diriger dans la complexité devient ainsi un art, bien plus enthousiasmant qu’une reproduction technique des solutions du passé.
[1] OFS, « Evolution de la prise en charge médico-sociale des personnes âgées, 2010-2019 », Actualités OFS, Neuchâtel 2021.
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Neil Ankers, «EMS: s’enrichir d’autres acquis pour mieux évoluer», REISO, Revue d'information sociale, publié le 20 juin 2022, https://www.reiso.org/document/9210