Santé environnementale et obstétrique
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Entre la grossesse, l’accouchement et le post-partum, les sage-femmes s’occupent de fœtus, de nouveau-nés et de femmes dans des moments de vulnérabilité particulière en matière d’exposition chimiques, biologiques et sociales. Survol des enjeux.
Par Gaël Brulé, professeur associé en santé environnementale, et Ornella Rouveirolles, sage-femme, chargée d’enseignement, Haute école de santé, Genève
Baptisée officiellement lors de la conférence d’Helsinki (OMS 1994), la santé environnementale s’intéresse aux liens multiples entre santé et environnement. Toutefois, elle existe dans les faits depuis bien plus longtemps comme en attestent les écrits de Florence Nightingale dans son ouvrage de 1862 Des soins à donner aux malades : ce qu'il faut faire, ce qu'il faut éviter ou même d’Hippocrate dans son Traité des airs, des eaux et des lieux. Le domaine de la santé environnementale se déploie de manière variable au sein des différentes institutions et professions de santé, en fonction de la proximité avec des pathologies liées à l’environnement (maladies respiratoires, hyperthermie, maladies professionnelles liées à l’amiante ou au bruit), l’impact des filières professionnelles ou la culture des métiers.
Parmi les métiers de santé, la santé environnementale trouve chez les sages-femmes un écho particulier. Premièrement, les étapes de la vie dont s’occupe cette profession, bien que susceptibles de varier d'un pays à l'autre [1], englobent toujours la période périnatale. La grossesse, l'accouchement et le post-partum, intégrés dans le cadre des cruciaux « 1000 premiers jours » (Baidal et al. 2016), représentent des phases de vie particulièrement délicates en termes d'exposition aux expositions environnementales. En effet, les nouveau-nés restent sensibles aux polluants, comme ils et elles l’ont été en tant que fœtus : le placenta ne constitue pas une barrière étanche face à toutes les expositions physico-chimiques, notamment celles liées aux perturbateurs endocriniens. Ensuite, parce que les sages-femmes, à la manière de Monsieur Jourdain, parlent de durabilité depuis longtemps sans nécessairement le savoir ou du moins sans le faire savoir.
La pratique sage-femme privilégie une approche physiologique de l'accouchement, laquelle accorde une attention particulière aux besoins et souhaits de la femme et vise une technicisation judicieuse (comme illustré par Miller et al., 2016, et Davies et al., 2021). Elle promeut une perspective de durabilité, qui va à l'encontre du « technosolutionnisme » prédominant dans le domaine médical et des soins. Au-delà des deux extrêmes identifiés comme « trop tard » et « trop tôt » (Miller et al., 2016) et dans la communication de cette alternative durable, il s’avère opportun de mettre en lumière les implications inhérentes à cette fonction, et de rendre explicite la vision de cette profession sur les liens à l’environnement. Cela constitue un moyen de présenter aux autres spécialités une identité distincte en termes de durabilité pour les sages-femmes, susceptible d'inspirer d'autres secteurs de la santé.
Comprendre et maîtriser l’exposome
L’une des clés de voûte permettant cette explicitation est « l’exposome », un outil méthodologique issu de la santé environnementale. Créé par l’épidémiologiste anglais Christopher Wild en 2005, il inclut l’ensemble des expositions et des facteurs protecteurs, de la conception à la mort, même s’il est principalement utilisé pour parler des premières. Il est particulièrement utile pour saisir l’étendue des expositions chimiques, biologiques et sociales auxquelles font face les individus au cours de leur vie, afin de possiblement y remédier. Il est compartimenté en trois familles : expositions internes (par ex. microbiote, protéines, métabolisme), expositions externes spécifiques (par ex. alimentation, tabac, styles de vie) et expositions externes générales (par ex. environnement urbain, espace vert, capital social) (Wild, 2005).
Loin d’être, pour l’instant du moins, un outil tout prêt à l’utilisation calculant un score à partir des facteurs d’exposition et protecteurs, il permet de lister ces dits facteurs, première étape avant de collecter les données probantes les concernant. Le défi est de taille. Par exemple, par rapport à la pollution chimique et uniquement pour les perturbateurs endocriniens — une famille de molécules interagissant particulièrement lors de phases-clés comme la vie intra-utérine, l’accouchement ou les phases de jeune enfance —, on estime à 1'400 le nombre de molécules avec un potentiel de perturbateur endocrinien avéré, sur un total de 140'000 molécules potentiellement présentes dans nos environnements et encore à tester (Bourguignon et al. 2021). Considérant la pollution médicamenteuse, qui recoupe partiellement la catégorie précédente, ce serait au moins 10’000 molécules qui se retrouvent dans l’environnement et qui impactent potentiellement la santé humaine et les écosystèmes (par exemple les benzodiazépines qui polluent les écosystèmes, les poissons que nous mangeons et l’eau que nous buvons).
Cette forme d'exposition ne prend même pas en compte la partie la moins comprise de l'exposome, qui englobe les expositions sociales. En effet, une composante de l'exposome social concerne les expositions environnementales accrues liées aux conditions socioéconomiques, comme la proximité des axes routiers et l'accès limité à une alimentation saine, ainsi que des influences directes telles que la violence symbolique et les stigmates sociaux, qui peuvent par exemple être associés à un vieillissement accéléré (Cherkas et al. 2006).
Lister pour favoriser les facteurs de protection
En ce qui concerne l'accouchement et la naissance, il est possible, par exemple, de distinguer entre les expositions et les facteurs protecteurs internes. Les perturbateurs endocriniens, les particules fines et le stress maternel peuvent être considérés comme des facteurs d'exposition, tandis que l'accouchement par voie basse, l'allaitement et le contact peau-à-peau relèvent des facteurs protecteurs. Les expositions externes spécifiques, telles que les pollutions physiques ou chimiques, à la fois intérieures et extérieures, ainsi que le tabac, sont des facteurs d'exposition, tandis que l'activité physique se présente comme un facteur de protection. Les expositions externes générales, comme le réchauffement climatique et la pollution de l'eau, agissent comme des facteurs d'exposition, tandis que la présence d'espaces verts et le capital social sont des facteurs de protection.
Cette liste non exhaustive aide à comprendre l’importance de nommer les expositions possibles. Ce processus favorise ensuite la possibilité de trouver un moyen de mettre en place des stratégies d’intervention avant d’empêcher, de réduire ou de remplacer l’exposition et de favoriser les facteurs de protection. Cet outil de l’exposome, loin d’être figé dans le temps, demande donc une certaine ouverture aux chercheur·ses afin d’accueillir de nouvelles données sur l’exposition et la protection, et de s’adapter en permanence aux contextes dans lesquels il est utilisé.
Conscientiser son impact sur la santé environnementale
Un dialogue nourri se développe entre la santé environnementale et l’obstétrique, une partie dans le domaine de l’explicite et de la connaissance, et une partie dans le domaine de la culture et des valeurs. Ce lien est porté par la mouvance actuelle des modèles de santé orientés vers la salutogenèse (Antonosky, 1996). Gardiennes de la physiologie pendant toute la période périnatale, les sage-femmes endossent un rôle central de promotrices de la santé pour le nouveau-né, la femme et la famille.
Plutôt que de chercher à modifier les pratiques, il est essentiel que la profession prenne conscience de son impact sur la santé environnementale, suivant ainsi l'idée de « cultiver son jardin » telle que préconisée par Voltaire dans Candide, ainsi que de son approche particulière de la durabilité. Cette conscience, favorisée par des outils tels que l'exposome, émerge comme un catalyseur pour aborder les enjeux de santé environnementale, incitant à une réflexion approfondie au sein de diverses professions liées à la périnatalité et à la petite enfance.
Références
- Antonosky, A. (1996). The salutogenic model as a theory to guide health promotion1. Health Promotion International, 11(1), 11‑18.
- Baidal, J. A. W., Locks, L. M., Cheng, E. R., Blake-Lamb, T. L., Perkins, M. E., & Taveras, E. M. (2016). Risk factors for childhood obesity in the first 1,000 days: a systematic review. American journal of preventive medicine, 50(6), 761-779.
- Bourguignon, J. P., Zoeller, R. T., & Parent, A. S. (2021). Perturbateurs endocriniens: Où se trouvent-ils? En quoi sont-ils dangereux? Comment s’en protéger?. Mardaga.
- Cherkas, L. F., Aviv, A., Valdes, A. M., Hunkin, J. L., Gardner, J. P., Surdulescu, G. L., Kimura, M. & Spector, T. D. (2006). The effects of social status on biological aging as measured by white‐blood‐cell telomere length. Aging cell, 5(5), 361-365.
- Davies, L., Daellenbach, R., & Kensington, M. (Eds.). (2020). Sustainability, midwifery and birth. Routledge.
- Miller, S., Abalos, E., Chamillard, M., Ciapponi, A., Colaci, D., Comandé, D., ... & Althabe, F. (2016). Beyond too little, too late and too much, too soon: a pathway towards evidence-based, respectful maternity care worldwide. The Lancet, 388(10056), 2176-2192.
- OMS (1994) Plan d’action en faveur de l’environnement et de la santé dans la region européenne. Consulté le 14.12.2023.
- Wild, C. P. (2005). Complementing the genome with an “exposome”: the outstanding challenge of environmental exposure measurement in molecular epidemiology. Cancer Epidemiology Biomarkers & Prevention, 14(8), 1847-1850.
[1] Par exemple, les sages-femmes en France assurent d'avantage le suivi gynécologique que leurs consœurs suisses
Cet article appartient au dossier Durabilité
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Gaël Brulé et Ornella Rouveirolles, «Santé environnementale et obstétrique», REISO, Revue d'information sociale, publié le 20 décembre 2023, https://www.reiso.org/document/11799