La vieillesse vue et vécue par les migrant·e·s
Des entretiens ont été menés à Fribourg auprès de migrants âgés. Ils montrent une méconnaissance des soins à domicile et des rentes complémentaires. Ils révèlent aussi des craintes sur le prix des EMS et des loyers.
Par Judith Camenzind Barbieri, cheffe de projet, Service de la prévoyance sociale du canton de Fribourg
Une étude [1] a évalué la manière dont la population migrante aborde sa vieillesse, l’état de ses connaissances du dispositif médico-social fribourgeois et son accès aux prestations de soin et d’accompagnement social. Mandatée par le Service de la santé publique du canton de Fribourg pour améliorer la prévention et la promotion de la santé des personnes migrantes et coordonner les plans cantonaux de promotion de la santé et de prévention avec le plan d’intégration cantonal, cette enquête est de nature qualitative et n’a pas de représentativité statistique.
Cinquante-trois entretiens ont été effectués avec des personnes retraitées ou approchant l’âge de la retraite (55 ans et plus) et avec divers acteurs du domaine de la migration et de la santé. La prévalence des entretiens avec des personnes expatriées d’Italie, d’Espagne et du Portugal reflète la composition de la population qui est arrivée dans le canton au cours des années 60 et 70 et qui a aujourd’hui atteint l’âge de la retraite.
La majorité des entretiens a été effectuée de manière spontanée dans des lieux de rencontre des différentes communautés migrantes. Ce procédé était basé sur la volonté d’intégrer dans ce travail de recherche des personnes qui ne sont pas forcément actives dans des associations culturelles, politiques ou sociales, et donc moins visibles.
La retraite, un moment décisif
Jusque dans les années 90, la politique migratoire suisse a été déterminée par les intérêts économiques. Les « saisonniers » étaient censés travailler quelque temps en Suisse, puis retourner dans leur pays d’origine. Beaucoup de ces travailleurs étaient confinés pendant des années, voire des décennies, dans un circuit professionnel étroit et restaient en marge de la vie locale. Peu d’efforts étaient faits pour les intégrer et leur permettre d’acquérir la langue de leur région de séjour en Suisse. Les conséquences de cette politique ont encore des répercussions sur la vieillesse des personnes qui sont arrivées en Suisse dans les années 60.
L’étude a démontré que l’âge de la retraite est souvent un moment crucial pour les personnes migrantes, car il se pose la question d’un retour dans le pays d’origine. La situation économique des pays concernés est un facteur important dans cette équation. Actuellement par exemple, et en lien avec la croissance économique du Portugal, on assiste à de nombreux départs des rentières et rentiers portugais.
D’autres personnes décident de faire la navette entre le pays d’origine et la Suisse, particulièrement s’ils ont des enfants et petits-enfants résidant en Suisse. D’autres n’ont pas la possibilité de choisir en raison de leur situation économique ou sanitaire.
Une situation économique parfois précaire
Les ouvrières et ouvriers qui travaillaient dans un premier temps de manière saisonnière en Suisse étaient exclus du système des assurances sociales et travaillaient dans des domaines difficiles et souvent mal payés. De ce fait, et en raison également de leur entrée tardive dans les caisses de pension, leurs cotisations ont souvent été minimes. Les questions liées à la situation financière personnelle sont souvent prédominantes dans les préoccupations des personnes questionnées. Dans les discussions, les questions tournent majoritairement autour des montants AVS, ou celles de la LPP, mais souvent aussi autour de l’idée de devoir changer de logement du fait des rentes insuffisantes.
La grande majorité des personnes interrogées dans le cadre de cette étude ne sont pas au courant de l’existence des assurances complémentaires. En outre, elles ont souvent des difficultés à comprendre les démarches nécessaires, les délais d’attente et le fonctionnement de ces prestations. Certaines personnes expriment la peur de devoir rembourser ces sommes plus tard parce qu’elles ont l’impression qu’il s’agit d’un prêt.
Santé et accès au dispositif fribourgeois
Le deuxième monitoring de la santé des migrantes et des migrants en Suisse [2] a révélé que la population migrante décrit son état de santé de manière nettement moins positive que la population autochtone et que cette population a en moyenne besoin de soins et de soutien à un âge plus jeune que la population autochtone.
Le recours aux prestations de soins généraux est globalement très bien accepté et les migrantes et migrants âgés sont relativement bien informés sur le fonctionnement des hôpitaux ou sur la manière de procéder pour une consultation auprès du médecin généraliste. Par ailleurs, de nombreuses personnes interrogées indiquent que leurs enfants connaissent bien le système de santé et jouent donc souvent un rôle de médiateur entre les besoins de leurs parents âgés et les prestataires de services médicaux. Certaines personnes font systématiquement appel à leurs enfants ou d’autres proches pour les consultations auprès des médecins, des dentistes ou d’autres prestataires médico-sociaux, notamment parce qu’elles n’ont jamais suffisamment appris le français ou l’allemand pour pouvoir communiquer efficacement.
La qualité des soins dans les hôpitaux fribourgeois est fortement appréciée. Pour la grande majorité des personnes interrogées, l’accès aux soins hospitaliers ne semble pas être problématique et il n’y a pas de craintes ou de réticences à faire appel aux services d’urgence si nécessaire.
En ce qui concerne les établissements médico-sociaux (EMS), l’entrée dans un tel établissement est envisagée si nécessaire, mais une grande partie des personnes interrogées a l’impression qu’une entrée en EMS n’est pas possible pour elles, du fait qu’elles ne seraient pas en mesure de payer les prix de pension. La majorité des migrant·e·s a toutefois de la peine à s’imaginer une vie dans un EMS, ressentie comme une mise à l’écart des personnes âgées, incompatible avec les traditions et les valeurs de la culture d’origine.
La solidarité familiale joue un rôle important dans la prise en charge des personnes âgées. Elle est souvent présentée comme une valeur immuable, transmise de génération en génération, et basée sur le principe de la réciprocité. Les personnes âgées s’impliquent fortement dans la garde des petits-enfants. A l’inverse, le soutien des familles aux personnes dépendantes est pour beaucoup le modèle le plus évident et l’intervention de tiers dans la prise en charge d’une personne âgée fragilisée est considérée comme un échec du réseau familial. Toutefois, cette charge s’avère parfois difficile pour les proches. Une partie importante des personnes interrogées dans le cadre de l’étude ignore l’existence des services d’aide et de soins à domicile.
Prévention et promotion de la santé
Le deuxième monitoring de la santé des migrantes et des migrants en Suisse a démontré que, du point de vue de l’alimentation, de l’exercice physique et de la consommation de tabac, les migrantes et les migrants ont un comportement moins sain et sont plus nombreux à présenter un excès de poids important.
Il a été relativement difficile d’aborder la question de la prévention avec les personnes qui ont participé à cette étude. Si certaines parmi elles sont très bien informées sur les bonnes pratiques en matière de santé, d’autres n’ont pas envie de s’exprimer sur leurs habitudes. Une bonne partie des personnes interrogées affirme que leur activité professionnelle a été physiquement astreignante et qu’elles n’ont pas envie de pratiquer une activité sportive. La nourriture, quant à elle, revêt une valeur identitaire importante, parce qu’elle permet de maintenir un lien avec le pays d’origine, ce qui laisse moins d’ouverture à d’éventuels changements de comportement lorsqu’ils seraient nécessaires.
Une action concertée
Dans le canton de Fribourg, plusieurs projets ont intégré des mesures pour mieux répondre aux besoins de la population âgée issue de la migration. Il s’agit notamment de la stratégie cantonale de promotion de la santé et de prévention, du concept cantonal pour les personnes âgées Senior+, du service d’interprétariat communautaire «se comprendre» de Caritas et des actions du Bureau de l'intégration des migrant-e-s et de la prévention du racisme (IMR) dans le cadre du Forum national «Âge et migration», qui visent à améliorer la situation des immigrés âgés dans le canton sur le plan social et de la santé.
Pour renforcer les actions en faveur des personnes âgées migrantes, la collaboration entre l’IMR et les divers services de l’Etat responsables de la prévention et de la promotion de la santé, de la politique cantonale en faveur des personnes âgées, de la politique du logement, etc., doit être renforcée. L’étude a établi qu’il est nécessaire d’assurer une information adéquate et de mettre en place les projets cantonaux visant les personnes les moins connectées. Ceci est d’autant plus important que l’organisation et la coordination du dispositif médico-social pour les personnes âgées fragilisées va profondément changer avec la mise en œuvre du projet Senior+. Les communes auront la responsabilité d’intégrer les populations expatriées dans l’élaboration de la politique locale en faveur des personnes âgées. Il sera également nécessaire d’intégrer la deuxième génération dans les groupes cibles des actions d’information et de prévention, ainsi que dans l’évaluation des possibilités d’accompagnement social des personnes âgées migrantes.
[1] L’étude sera mise à la disposition du public au début 2018.
Cet article appartient au dossier Inclure les étrangers
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Judith Camenzind Barbieri, «La vieillesse vue et vécue par les migrant·e·s», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 18 décembre 2017, https://www.reiso.org/document/2491