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Le prix et la valeur des médicaments anti-cancer

Lundi 25.11.2019
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Les nouveaux traitements contre le cancer coûtent régulièrement plus de 100'000 francs par année. Ce prix des traitements reflète-t-il leur valeur pour la société ? Dans un système de santé national, comment établir des coûts équitables ?

Par Dimitri Kohler, Dr es sciences économiques, collaborateur scientifique, Ligue suisse contre le cancer, Berne

En Suisse, le cancer représente la deuxième cause de décès la plus fréquente derrière les maladies cardiovasculaires [1]. Au cours de ces dernières années, les traitements contre le cancer ont connu une évolution technologique spectaculaire. On est ainsi passé d’un traitement standardisé à un traitement personnalisé, permettant d’accroître significativement l’espérance de vie des patients atteints de cancer. Cette évolution n’est cependant pas sans conséquence : les coûts de ces médicaments explosent avec des thérapies combinées qui dépassent régulièrement 100’000 francs par année.

L’évolution des coûts et de l’espérance de vie

En l’espace de dix ans, le coût brut de l’assurance obligatoire des soins a augmenté de 10 milliards de francs pour s’établir à 33 milliards en 2018 [2], soit une augmentation de plus de 40%. Sur cette même période, la croissance des coûts des médicaments était relativement similaire. La part des médicaments dans le total est ainsi restée stable, aux alentours de 22%.

En se limitant aux médicaments contre le cancer, la croissance est en revanche beaucoup plus rapide. En effet, selon un rapport d’Helsana, entre 2014 et 2017, les coûts liés aux médicaments contre le cancer ont augmenté de 40% [3]. Cette tendance s’explique notamment par la flambée des prix des traitements oncologiques, par une multiplication de ces nouveaux traitements et également par le vieillissement démographique. Ces évolutions font peser un poids toujours plus lourd sur les systèmes de santé. Ainsi, certains pays imposent des rationnements au niveau de ces médicaments coûteux, comme ce fût le cas en Suisse pour l’hépatite C [4].

Les avancées dans le traitement du cancer ont contribué à l’amélioration des taux de survie. Actuellement, plus de 60% des patients atteints de cancer sont encore en vie cinq ans après leur diagnostic. Ce taux de survie à cinq ans varie néanmoins fortement en fonction du type de cancer avec, par exemple, un taux de plus de 85% pour le cancer du sein et, à l’inverse, un taux de survie très faible (environ 10%) pour le cancer du pancréas [5].

Pourquoi une telle augmentation des prix ?

Si cette tendance est en partie explicable par le développement de traitements toujours plus pointus, elle l’est également par le processus d’autorisation et de fixation des prix des nouveaux médicaments. En pratique, pour obtenir l’Autorisation de mise sur le marché d’un médicament, l’entreprise pharmaceutique doit fournir les données nécessaires à Swissmedic afin qu’ils analysent la sécurité du produit. Lorsque ces derniers donnent leur aval, le médicament est autorisé mais n’a pas encore de prix officiel : il n’est alors pas encore inscrit sur la Liste des Spécialités [6]. S’ensuit une négociation entre l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et l’entreprise pharmaceutique afin d’établir le prix auquel ce médicament sera remboursé.

L’Office va ainsi examiner les critères prévus pour un remboursement par l’assurance de base : l’efficacité, l’adéquation et l’économicité. Pour ce faire, il va dans un premier temps analyser l’efficacité du nouveau produit sur la base des essais cliniques. Il compare l’amélioration de l’efficacité par rapport aux alternatives déjà présentes sur le marché. Enfin, il évalue la plus-value liée au nouveau médicament. Selon le principe du prix de référence, l’OFSP doit également considérer le prix moyen pratiqué à l’étranger dans des pays ayant un niveau de vie comparable.

Ensuite, l’OFSP négocie avec l’entreprise pharmaceutique pour aboutir à l’inscription (ou non) du médicament sur la Liste des Spécialités avec un prix officiel pour la Suisse. Si, sur le papier, ce procédé fait du sens, il est caractérisé par une importante asymétrie d’information. En effet, d’une part, les prix officiels publiés à l’étranger ne tiennent pas compte des rabais octroyés, parfois importants, puisque ceux-ci sont confidentiels. Il en résulte que la comparaison se fait avec des prix virtuellement plus élevés que ceux réellement pratiqués. D’autre part, les essais cliniques sont généralement menés sur des patients présentant peu de comorbidités. Ils ne sont donc pas représentatifs du patient « moyen ». Au travers de cette sélection, l’efficacité du traitement peut donc être surestimée. Enfin, l’industrie pharmaceutique justifie parfois les prix élevés par des coûts de recherche et de développement importants. Il est cependant impossible de les connaître avec précision puisqu’ils ne sont jamais divulgués.

Quelle est alors la valeur d’un médicament ?

Un des arguments principaux provenant de l’industrie pharmaceutique pour justifier les prix élevés s’appuie sur la «valeur pour la société» qu’apporte un médicament contre le cancer. Il est indéniable qu’un certain nombre de découvertes ont permis d’augmenter grandement les chances de guérison des patients et ont ainsi apporté un bénéfice certain à la société dans son ensemble. Cependant, de récentes études se sont intéressées à l’efficacité de ces nouveaux médicaments quelques années après leur autorisation officielle. De manière générale, ces études amènent à un constat plus nuancé. En Europe, sur la période 2009-2013, une étude a conclu que la majorité des nouveaux médicaments contre le cancer avaient été mis sur le marché sans qu’ils n’aient pu démontrer une amélioration quantifiable de la survie ou de la qualité de vie. Le constat était identique plus de trois ans après leur mise sur le marché, lorsqu’ils ont été évalués dans des conditions « réelles » [7]. D’autres études, tant en Europe qu’aux États-Unis, tendent également à conclure à des bénéfices marginaux [8]. En termes de chiffres, une étude basée sur des tumeurs solides a montré que les nouveaux traitements amélioraient l’espérance de vie d’environ 2,1 mois [9].

A noter ici que ces études s’appuient généralement sur des indicateurs cliniques (espérance de vie, survie sans progression de la maladie). Longtemps, la vision du patient n’était que peu prise en compte. Ce n’est qu’au cours de ces dernières années que les études suivent plus systématiquement la situation vécue par le patient et l’évolution de sa qualité de vie. Les « Patient Related Outcome Measures » (PROM) ont alors pris plus d’importance dans l’évaluation du bénéfice apporté par un traitement. L’objectif ici est de compléter les valeurs cliniques par une description de l’état de santé par le patient lui-même et selon son vécu. Ces outils permettent aux patients d’informer précisément le médecin des symptômes qu’ils ressentent pour aider ce dernier à réagir plus rapidement. Pour des patientes atteintes d’un cancer du sein, il a même été démontré que l’utilisation de PROM pouvait améliorer les chances de survie [10].

Ces exemples montrent que la valeur d’un médicament est une notion très relative. Les indicateurs cliniques et les PROM, bien que très différents, sont néanmoins complémentaires pour estimer la valeur réelle qu’apporte un nouveau traitement à la société dans sa globalité.

Quel serait le prix normal ou équitable ?

Ces différentes notions de valeurs amènent donc naturellement à se demander quel prix la société devrait payer pour un médicament. D’autant plus que, comme évoqué plus haut, l’augmentation constante des coûts des traitements met en péril l’accès des patients aux meilleures thérapies contre le cancer. Il existe dès lors deux optiques pour fixer un prix susceptible de refléter la valeur réelle du médicament.

  1. Une estimation des coûts de R&D. Cette première méthode consiste à définir la valeur en se basant sur les coûts générés pour la recherche et le développement du nouveau traitement. En cas de transparence dans les coûts, il serait ainsi aisé de calculer le prix sur cette base en y ajoutant une marge raisonnable. Cette méthode, très concrète, se heurte actuellement à l’impossibilité d’obtenir ces données et à une importante opacité autour de cette question de la part des entreprises pharmaceutiques. De plus, certains arguent qu’elle n’encourage pas les entreprises pharmaceutiques à innover, ni à maitriser leurs coûts. Il y aurait donc un risque d’inefficacité.

  2. Une estimation de la valeur pour la société. Cette autre option regroupe les techniques dites « value based » qui s’attèlent à rechercher et à quantifier la valeur réelle qu’apporte le nouveau traitement à la société. Ici, les notions de gains d’espérance de vie et de qualité de vie jouent un rôle prépondérant et doivent être quantifiées. Ce type de méthode nécessite cependant que les responsables politiques fixent clairement leurs objectifs en matière de santé publique. Ils doivent ainsi être capable de définir les aspects importants pour les patients, de décrire le montant qu’ils sont prêts à payer pour les améliorations de la santé et enfin d’établir des priorités dans le cadre des budgets attribués à la santé publique.

L’urgence de nouvelles mesures

On observe donc bien une amélioration de l’espérance de vie des patients atteints de cancer grâce notamment aux nouveaux traitements disponibles. S’il est naturel de rémunérer l’innovation et les bénéfices qu’elle apporte aux patients et à la société, il convient d’établir des modèles permettant d’aboutir à des prix équitables qui ne mettent en péril ni l’accès des patients à ces traitements, ni les systèmes de santé dans leur ensemble tout en soutenant l’innovation. En effet, l’évolution des dépenses de santé rendent de plus en plus urgent la mise en place de mesures concrètes permettant de contenir la flambée des prix des nouveaux traitements contre le cancer. Cette mise en place garantira aux patients un accès aux meilleurs traitements possibles.

 

[1] Source : OFS, statistique des causes de décès 2018, en ligne

Cet article fait partie d’une série de trois articles de la Ligue suisse contre le cancer. Lire aussi: «Le prix de l’adaptation imposée par le cancer» et «Cancer colorectal : les bénéfices du dépistage».

[2] Source : OFSP, en ligne

[3] Source: Helsana, en ligne

[4] Source : Biotechlerncenter, en ligne

[5] Source : Nicer, en ligne 

[6] Liste des spécialités, en ligne

[7] Courtney Davis et al., 2017, en ligne

[8] Sources : Wieseler et al. 2019 ; Prasad et al. 2017 ; Kumar et al. 2016 ; Del Paggio et al. 2017

[9] Fojo et al. 2014, en ligne

[10] Jama Network, en ligne

Cet article appartient au dossier Le prix de la santé

Comment citer cet article ?

Dimitri Kohler, «Le prix et la valeur des médicaments anti-cancer», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 25 novembre 2019, https://www.reiso.org/document/5261

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