La contraception masculine: ça fait mâle?
En Suisse, bien que la contraception soit majoritairement assumée par les femmes, cela ne signifie pas que les hommes en soient désinvestis. Les intérêts de la pharma et, surtout, les représentations de genre expliquent ces blocages.
Par Valentine Schmidhauser, Master en psychologie de la santé, et Angélick Schweizer, première assistante, Université de Lausanne
En Suisse, environ 80% des personnes de 15 à 49 ans sexuellement actives ont recours à une contraception (Späth & al., 2017).
La recherche [1] présentée dans cet article s’est attachée à étudier le vécu de jeunes hommes dans ce domaine. Une première partie exposera les différents outils contraceptifs masculins existants ainsi que les points de tensions qui sous-tendent l’implication des hommes dans la contraception. La méthodologie sera ensuite brièvement décrite avec les principaux résultats issus de l’étude.
Une recherche qui capote
Si l’offre en matière de contraception féminine ne cesse de se diversifier, les outils destinés aux hommes restent encore mal connus et souvent appréhendés comme non réversibles et invasifs. Il existe pourtant plusieurs méthodes alternatives au préservatif.
La vasectomie est un procédé chirurgical visant à sectionner et ligaturer les canaux déférents [2]. La contraception masculine thermique permet une suspension temporaire du processus de spermatogénèse, c’est-à-dire la production de spermatozoïdes, en augmentant légèrement la température testiculaire. La contraception hormonale masculine a pour principal objectif de bloquer la spermatogénèse grâce à l’administration d’un androgène seul ou combiné à un progestatif.
Le développement de ces méthodes a toutefois accumulé du retard par rapport à leurs homologues féminins, en particulier au niveau d’une contraception hormonale. En effet, bien que des études dans ce domaine soient effectuées depuis les années 1950, la recherche s’est principalement axée sur la compréhension du système hormonal féminin, du fait notamment de la facilité de synthèse des œstrogènes et de leur rentabilité (Diller & Hembree, 1977). Par la suite, la collaboration entre les chercheurs et les laboratoires pharmaceutiques, ainsi que les enjeux économiques liés à la pilule féminine ont également participé à cette marginalisation (Spencer, 2013).
Si le souhait de développer des contraceptifs efficaces n’est généralement pas remis en question, force est de constater qu’il peut l’être quand il s’agit des outils destinés aux hommes (Spencer, 2013). Car au-delà des obstacles scientifiques et économiques, la contraception masculine se heurte également à des représentations genrées, qui participent plus largement à la définition d’une norme contraceptive majoritairement féminine.
Un monde majoritairement féminin
Bien que les pratiques contraceptives aient passablement évolué au cours des cinquante dernières années, la contraception reste aujourd’hui un monde majoritairement féminin, dans lequel les hommes sont souvent des acteurs difficiles à inclure (Spencer, 2013). Les conséquences physiques associées à la grossesse, ainsi que l’arrivée des contraceptifs médicalisés sur le marché, ont en effet contribué à légitimer le rôle actif des femmes dans ces dynamiques et à favoriser une opposition rigide entre une conscience féminine supposée « naturelle » et une irresponsabilité masculine quasi biologique dans ce domaine (Giami & Spencer, 2004). Par ailleurs, en considérant l’effet libératoire qui a suivi l’avènement de la pilule, l’inclusion d’un partenaire masculin dans ces dynamiques pourrait être vécue par les femmes comme une perpétuation de la domination masculine et une tentative de contrôle sur leur corps (Bajos & Ferrand, 2004).
La contraception masculine se heurte également à des représentations particulières de la masculinité, qui favorisent une association directe entre capacité reproductive et virilité (Desjeux, 2013). Dès lors, la question de l’implication des hommes dans ces dynamiques, notamment par la prise d’une pilule hormonale, est susceptible de venir ébranler, au niveau social et symbolique, le regard que les hommes portent sur leur masculinité et la façon qu’ils ont de la définir. En outre, les effets secondaires d’une contraception hormonale masculine, qu’ils soient réels ou imaginés, peuvent venir exacerber cette crainte de féminisation.
La question de la contraception masculine a ainsi « l’intérêt d’être un puissant révélateur des représentations sociales dans ce domaine » (Desjeux, 2013 : 16). Pour donner la parole aux hommes, notre recherche s’est basée sur un focus group de quatre participants âgés de 25 à 28 ans. L’objectif a consisté à relever leurs représentations et leurs pratiques en matière de contraception, ainsi que les appréhensions et les obstacles qu’ils sont susceptibles de rencontrer.
Une masculinité lourde de sens
Certaines représentations relatives à la masculinité ont été présentées par les participants comme des obstacles potentiels à l’implication des hommes dans la dynamique contraceptive.
Certains d’entre eux ont par exemple évoqué le sentiment d’être perçus par leur partenaire comme étant « sales » et susceptibles de leur transmettre des maladies. Dans leur discours, cette représentation s’articule notamment autour d’un imaginaire commun, dans lequel les hommes seraient considérés comme plus volages que les femmes. Cette opposition contribue ainsi à véhiculer l’image d’un homme indigne de confiance, parallèlement à celle d’une femme responsable mais sans sexualité.
« Il y a aussi cette image qu’on attribue aux hommes qui ont beaucoup plus multiplié les conquêtes entre guillemets sexuelles […]. Et que les femmes sont […] un peu plus droites sur cette question-là. »
La représentation d’un homme fort et actif, plutôt que réflexif, a également été évoquée lors du focus group. Comme l’a d’ailleurs souligné un des participants, aborder la question de la contraception et de l’intimité de manière plus générale déroge aux comportements attendus de la part d’un homme.
« Il y a un peu une remise en question de la masculinité […]. C’est vraiment une remise en cause de notre conception qui fait qu’on est des hommes quoi. Des hommes forts. » [3]
Parler d’intimité semble ainsi mettre les hommes dans une position de vulnérabilité qu’ils doivent pouvoir assumer, les exposant ainsi au risque d’être blessés ou dégradés.
« On n’a pas envie de se mettre vulnérable. De nous exposer finalement. Parce que parler de son intimité, c’est s’offrir quoi. Aux autres. Et potentiellement se prendre un coup. »
Une exclusion du monde médical
Au-delà de ces représentations souvent figées, force est de constater que le monde médical n’est généralement pas pensé pour accueillir un tiers masculin. L’analyse a en effet permis de montrer que l’accès des hommes y est souvent restreint, limitant ainsi le contact de ces derniers avec les professionnel·le·s de la santé et la possibilité d’avoir un espace de parole où déposer leurs questionnements et leurs appréhensions. Un participant a ainsi expliqué que, le jour où il a accompagné sa partenaire à la pharmacie pour obtenir une contraception d’urgence, il a été exclu de l’interaction par la pharmacienne qui l’a ainsi empêché de légitimer sa place dans la démarche.
« T’arrives là-bas et tu te fais foutre dehors. Une pharmacienne, elle va dire à la fille ‘Ah mais venez avec moi derrière’ […]. Si j’étais allé derrière, bah j’aurais peut-être appris quelque chose. Mais on m’a jamais invité non plus. »
On peut dès lors imaginer qu’une telle organisation participe au sentiment d’exclusion que les hommes peuvent ressentir lorsqu’ils souhaitent prendre part à la dynamique contraceptive, et probablement aux réticences qui les poussent à s’en retirer.
Redonner sens à l’acte sexuel
Dans un contexte social où le plaisir se dresse comme un but en soi, la sexualité ne déroge pas forcément à la règle.
« Donc aujourd’hui, on essaie de chimiquement transformer tout ça pour avoir du plaisir. Mais est-ce qu’avoir du plaisir c’est pouvoir baiser quand on en a envie ? Et à quel prix finalement ? »
Pour les participants, la question de l’implication des hommes dans la contraception invite en effet à redéfinir le rapport à la sexualité.
« Je pense qu’il y a vraiment une redéfinition du sens et des valeurs à ancrer dans la société. Ça pourrait justement déboucher sur d’autres méthodes de dialogue au niveau de la contraception que simplement imaginer une pilule pour hommes. »
La mise en place d’une contraception se construit en effet au travers d’un processus de négociation continu entre les partenaires. Dès lors, la question de l’implication des hommes dans la maîtrise de la fécondité ne s’appréhende pas seulement au travers de l’utilisation des méthodes agissant sur le corps masculin, mais inclut l’ensemble des pratiques qui la sous-tendent.
Une contraception en trois critères
Ce point invite dès lors à s’interroger sur la pertinence d’une catégorisation binaire et sexuée des méthodes contraceptives. A ce propos, Diller & Hembree (1977) proposent une typologie alternative, qui qualifie les méthodes contraceptives de féminines ou masculines selon trois critères : le sexe du partenaire qui prend l’initiative d’utiliser la méthode en question (male or female-initated), le sexe de la personne sur lequel elle agit physiologiquement (male or female-directed) et le sexe de l’individu dont le consentement est nécessaire (male or female-complied).
En conclusion, bien que la commercialisation de nouveaux contraceptifs masculins puisse encourager une participation active des hommes, elle ne se présente pas comme une solution à part entière. Redéfinir le sens de nos pratiques et notre rapport à la sexualité pourrait ainsi constituer le point de départ de nouveaux échanges, qui favoriseraient une prise en compte des vécus de chacun·e et une négociation constructive autour de la question du partage des responsabilités contraceptives. Pour penser la question de l’implication des hommes dans la contraception et l’encourager, il est donc indispensable d’interroger les représentations qui s’y rattachent et d’en ouvrir les contours.
Bibliographie
- Bajos, N., & Ferrand, M. (2004). La contraception, levier réel ou symbolique de la domination masculine. Sciences sociales et santé, 22(3), 117-142.
- Desjeux, C. (2013). La « contraception masculine » aujourd’hui. Une réalité plurielle. Dans J.-C Soufir et R. Mieusset (dir.), La contraception masculine (p. 3-30). Paris, France : Springer.
- Diller, L., & Hembree, W. (1977). Male contraception and family planning: a social and historical review. Fertility and sterility, 28(12), 1271-1279.
- Giami, A. & Spencer, B. (2004). Les objets techniques de la sexualité et l’organisation des rapports de genre dans l’activité sexuelle: contraceptifs oraux, préservatifs et traitement des troubles sexuels. Epidémiol Santé Publique, 52, 377-387.
- Späth, A., Schneider, C., Stutz, L., Tschudin, S. & Zemp Stutz, E. (2017). Schweizerischer Verhütungsbericht (Dossier OBSAN n°59). Neuchâtel, Suisse : Observatoire suisse de la santé.
- Spencer, B. (2013). La contraception pour les hommes, une cause perdue ? Dans J.-C Soufir et R. Mieusset (dir.), La contraception masculine (p. 191-200). Paris, France : Springer.
[1] Valentine Schmidhauser, «La contraception masculine : ça fait mâle ? Etude qualitative sur le vécu des hommes de 25 à 35 ans face à la contraception», travail de mémoire en Master de psychologie de la santé, sous la direction de Dr Angélick Schweizer, Université de Lausanne, 191 pages.
[2] Bien que la vasectomie soit souvent présentée comme une procédure irréversible, il est possible d’avoir recours à une vasovasostomie qui consiste à relier chirurgicalement les canaux sectionnés. Dans 70 à 90% des cas, l’opération est effective, et 50% d’entre elles aboutissent à une conception.
[3] REISO adapte légèrement les citations orales pour leur transcription écrite.
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Comment citer cet article ?
Valentine Schmidhauser et Angélick Schweizer, «La contraception masculine: ça fait mâle?», REISO, Revue d'information sociale, mis en ligne le 21 janvier 2021, https://www.reiso.org/document/6901
Bonjour, est-il possible de se procurer le travail de Mme Schmidhauser sur "la contraception masculine, ça fait "mâle" ?
Geneviève Preti, Genève
Ndlr: Merci pour votre intérêt. Nous avons transmis votre message aux autrices. Cordialement, Revue REISO