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«Une réponse juridique et systémique s’impose»

Mardi 01.08.2023

Pour Rahma Bentirou Mathlouthi [1], face aux vulnérabilités climatiques, les instances politiques devraient reconnaître la fragilité des peuples et des écosystèmes. Le point en trois questions.

Pour Rahma Bentirou Mathlouthi [1], face aux vulnérabilités climatiques, les instances politiques devraient reconnaître la fragilité des peuples et des écosystèmes. Le point en trois questions.

bentirou mathlouthi rahma 170Rahma Bentirou Mathlouthi © Ghislaine Heger / HETS-FR(REISO) Rhama Bentirou, Mathlouthi, vous avez dirigé la publication de « Vulnérabilité(s) environnementale(s) [2] », vous êtes également juriste de formation et vous occupez des questions de durabilité à la HETS Fribourg. Pourquoi vous êtes-vous intéressée au concept de vulnérabilité ?

(Rahma Bentirou Mathlouthi) Dans le cadre d’un travail de recherche effectué à l’Université de Barcelone entre 2020 et 2022 et soutenu par le Fonds nationale suisse, je me suis penchée sur la question de la vulnérabilité environnementale. Cette notion est récurrente dans les discours institutionnels et politiques, mais elle reste très floue. C’est un concept vague qui traverse plusieurs disciplines. La définition fournie dans cet ouvrage collectif est celle d’un état de fragilité de l’environnement face à des menaces d’origine anthropique, naturelle ou climatique et également celle de la fragilité humaine liée à l’environnement.

En réalité, il n’y a pas qu’une mais bien plusieurs vulnérabilités car elles prennent des formes très diverses. Par exemple, les atteintes à l’écosystème des récifs de Polynésie française. Ou encore les problèmes des peuples autochtones d’Amérique latine qui sont forcés de quitter leurs terres pour des raisons climatiques, en abandonnant ainsi leurs ressources et leurs savoirs. Il y a aussi le modèle d’agriculture familiale au Brésil qui est menacé par les effets du réchauffement. Les femmes ne trouvent plus d’eau près de leur exploitation et doivent se déplacer. Non seulement, elles risquent de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants, mais en s’éloignant elles sont parfois victimes de violences. Cet exemple, parmi d’autres, montre bien à quel point la notion de vulnérabilité est capable de mobiliser différents acteurs de la société civile et des instances politiques à une échelle nationale et internationale. Elle crée des synergies pluridisciplinaires et conceptuelles inévitables entre les sciences sociales, justice, droits humains, nature, société, économie. C’est pour cela qu’il faut une réponse globale à ces problématiques. Chercheur·euse·s, juristes, scientifiques, économistes doivent travailler de concert pour une meilleure appréhension du concept de vulnérabilité et de ses fonctions et ainsi trouver des solutions pour réduire les situations de fragilité environnementale et humaine.

Women sitting on their hands, closed their faces on dry ground in a warming world.© DepositphotosLes vulnérabilités doivent-elles être davantage reconnues juridiquement ?

Sans aucun doute et les choses commencent à bouger, bien que très lentement. La meilleure illustration est la mise en œuvre progressive de la notion de « justice climatique » qui est abordée dans le préambule de l’Accord de Paris de 2015. Cette reconnaissance internationale et officielle devrait permettre de protéger les droits humains des personnes fragilisées par le réchauffement climatique. Désormais, elles doivent avoir accès aux informations concernant les projets susceptibles d’avoir un impact sur leur environnement, elles peuvent participer aux décisions qui concernent de tels projets et enfin elles ont accès à la justice pour réparer les torts qu’elles auraient subies.

Il y a d’ailleurs eu un exemple récent en Suisse de la mise en œuvre de la justice climatique. Des femmes de plus de 65 ans, regroupées au sein de l’association Ainées pour la protection du climat, ont accusé la Confédération d’être responsables de leurs problèmes de santé liés aux émissions de C02. Elles se sont identifiées comme un groupe vulnérable et demandent des comptes à la Suisse. En mars 2023, elles ont déposé une plainte en ce sens à la Cour européenne des droits de l’Homme. Il n’y a pas encore eu de décision définitive, mais les juges sont sensibles à leurs arguments et surtout à considérer les personnes âgées comme étant un groupe vulnérable aux effets des changements climatiques.

Que peuvent faire concrètement les gouvernements pour les peuples fragilisés par les changements climatiques ?

Plusieurs actions sur le terrain sont déjà proposées par les différentes aides humanitaires. Il faudrait cependant aller plus loin et reconnaître le statut de réfugié·e climatique. Malheureusement, les pays ne veulent pas s’aventurer sur ce terrain car ils craignent une augmentation des demandes d’asile basées sur une menace ou une urgence climatique. Aujourd’hui, on reconnaît uniquement les réfugié·e·s de guerre, mais un grand nombre de personnes doivent fuir leur pays à cause des dégâts engendrés par le dérèglement du climat. Heureusement la diplomatie environnementale et la solidarité internationale agissent déjà, mais une réponse juridique englobante, systémique et respectueuse des droits humains et de notre écosystème s’impose face aux vulnérabilités climatiques.

(Propos recueillis par Yseult Théraulaz)

[1] Rahma Bentirou Mathlouthi est docteure et professeure à la Haute École de Travail social Fribourg où elle s'occupe également des questions de durablitié (HES-SO).

[2] « Vulnérabilité(s) environnementale(s) », Rahma Bentirou Mathlouthi et Adélie Pomade (dir.), Ed. Harmattan, 2023, 622 pages.

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