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Recension par Jean Martin : « Les soignants et la mort »

Jeudi 05.12.2013

Les soignants et la mort

Schepens Florent (dir. publ.), Toulouse : Editions érès, 2013, 250 pages.

Recension par Jean Martin, médecin de santé publique et bio-éthicien

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Le sociologue Florent Schepens, de l’Université de Bourgogne, a étudié les unités de soins palliatifs de deux centres universitaires [1]. Il commence son rapport par : « C’est à des soignants dépressifs et agressifs, encadrant des moribonds dans un mouroir, que je pensais avoir affaire. Mais on n’observe rien de tel (…) le turn-over est pour ainsi dire nul. »

Pour expliquer la sérénité rencontrée, il relève : « Contrairement aux autres services hospitaliers, en soins palliatifs la mort est envisagée comme un ‘processus naturel’. » Recherche du juste milieu : « Les soignants s’y interdisent aussi bien d’abréger volontairement une vie que de la maintenir par une obstination déraisonnable. » Et ce message qui au premier abord interpelle : « Face à l’impuissance de la science, les soignants vont chercher, selon leurs termes, la moins mauvaise solution, en affirmant avec conviction que la solution indiscutable n’existe pas. »

Plus avant : « Les soignants acceptent de ne pas être totalement sûrs de réaliser le bon choix et cela n’affecte pas leur sentiment de faire du bon travail. Parfois, personne ne sait ce qu’il faut faire. [Or,] qu’il soit normal de ne pas savoir n’est pas anodin dans le monde médical (…) le soignant en soins palliatifs doit connaître les limites, de la vie, de son savoir. (…) Il y a des situations difficilement supportables et on s’autorise à le reconnaître. »

A propos des professionnels (et alors même que beaucoup restent longtemps dans ces services) : « En soins palliatifs, la lutte contre la souffrance des soignants liée à la mort passe par une entreprise de mise en sens du travail et de ses conditions : il est normal pour un patient de mourir et le soignant n’en est en rien responsable. Par ailleurs, la confrontation avec la maladie et la mort, avec la souffrance du patient et de ses proches, ne sont pas insupportables. » Dans son chapitre, le palliatologue Régis Aubry, de Besançon [2] écrit : « Que peut faire un professionnel en situation d’incertitude ? Il va appliquer ce qu’il a appris à faire : traiter la douleur, les symptômes d’inconfort… Puis il va se demander ce que soigner veut dire lorsque guérir est impossible. » Chose dont il importe de débattre, y compris avec le patient et ses proches.

Schepens relève que la notion de moins mauvaise solution ne saurait en aucune manière mener à un relativisme indû, à une démobilisation, à des pratiques approximatives où il ne serait plus nécessaire de rechercher l’excellence. Simplement, l’optimal, le « bien », n’est pas le maximal. Rappelons ici la question-phare de l’éthique : « Comment faire pour bien faire ? »

Pour moi, ces propos illustrent la pondération, l’humanité, le non-dogmatisme des leaders actuels de médecine palliative. Avec par ailleurs des paroles surprenantes, ainsi le professeur lausannois G.D. Borasio : « On demande souvent [en exprimant une sympathie sincère] aux médecins de soins palliatifs comment ils font pour supporter une profession tellement en contact avec la mort. En fait, c’est l’inverse : le travail palliatif et dans l’accompagnement en fin de vie est un grand cadeau. » [3]

Régis Aubry parle aussi du statut de la mort : « Si la mort n’est pas seulement une affaire de soignants, force est de constater que soigner signifie être confronté à la fin de vie. Il est nécessaire que l’on investisse beaucoup plus dans la formation de tous les acteurs de santé (…) Il est possible que cette formation aboutisse à un certain degré de démédicalisation et de resocialisation de la fin de vie ». La mort ne doit pas être laissée aux seuls professionnels de santé, dont on a pu dire qu’ils l’ont confisquée. Rendre la mort à la société et à ce qui se joue en son sein, chez les personnes, les familles, les groupes culturels.

Finalement, j’aimerais préciser que la recherche persévérante des « moins mauvaises » solutions n’est pas une exclusivité de la médecine palliative. Dans la pratique qui a l’objectif de guérir, la problématique de faire au mieux (donc au moins mal - « primum non nocere ») a la même importance.

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