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Liens intergénérationnels et transformation digitale

Mercredi 07.02.2024

Un colloque organisé par la HES-SO Valais-Wallis a rassemblé scientifiques, professionnel·les de terrain, et politiques pour réfléchir aux défis et opportunités des liens intergénérationnels face à la digitalisation de la société.

colloque age liens intergenerationnels sierre Joonas reiso 400© Jonas Raeber

Par Gaëlle Aeby, professeure associée, Institut Travail social, Marie Lequet, collaboratrice scientifique, Institut Travail social, et Florian Bürki, collaborateur économique, Institut Informatique de gestion, HES-SO Valais-Wallis

S’inscrivant dans les préoccupations fédérales et cantonales rattachées aux changements démographiques et initié en 2019 [1], l’axe interdisciplinaire « Âges et liens intergénérationnels [2] » a été conçu afin d’étudier les interactions entre les générations et les changements sociétaux actuels qui les touchent. Ces évolutions affectent en effet les liens intergénérationnels, la cohésion sociale et la participation à la vie publique. Bien que les liens intergénérationnels représentent des opportunités d’échanges, d’entraide, de solidarité et de transferts de connaissances, ils peuvent aussi entraîner des tensions, voire des oppositions.

En novembre 2023, l’axe « Ages et liens intergénérationnels » a organisé un colloque intitulé « Liens intergénérationnels et transformation digitale : quels scénarios pour l’avenir ? » [3], afin de mieux comprendre les enjeux et possibilités autour de ce qui rassemble ou divise les générations pour répondre à la transformation numérique. La digitalisation faisant partie des changements sociétaux majeurs actuels, le développement croissant du numérique a donné une place centrale aux pratiques digitales dans notre vie quotidienne, impactant nos habitudes et comportements. Ouvert à toute personne intéressée et tenu sur une demi-journée, l’événement proposait un moment de réflexion et de partage à travers des conférences, ateliers participatifs et une table ronde. L’intervention de chercheur·euses, professionnel·les de terrain et milieux politiques a contribué à faire le point sur la situation à l’échelle cantonale et nationale, et de proposer des pistes d’action.

Intérêt marqué à tous les âges

Ce colloque a montré que la transformation digitale a impacté en profondeur les vies de toutes les générations et qu’il existe un intérêt fort pour les technologies indépendamment de l’âge. Cependant, des différences entre générations existent en ce qui concerne les usages et les compétences.

Alexander Seifert, chercheur à la Haute école de travail social d’Olten (FHNW), remarque que seules 74% des personnes âgées de plus de 65 ans utilisent internet et cet usage se limite surtout à la recherche d’informations et aux services de messagerie [4]. Ce constat se retrouve en Valais dans l’étude de Sarah Balet et Alain Imboden, chercheur·euses à l’Institut Tourisme (HES-SO Valais-Wallis), qui soulignent que, si l’accès au numérique est omniprésent pour l’ensemble de la population valaisanne, les personnes âgées de plus de 60 ans recourent à internet principalement pour s’informer et maintenir du contact social, alors que les activités en ligne des autres groupes d’âge sont plus diversifiées [5]. Chez elles, ce sont les technologies « domestiques » comme la télévision et la radio qui restent prépondérantes [6]. En cela, elles se différencient fortement des générations plus jeunes pour lesquelles Marc Tadorian, chercheur à la Haute école de travail social de Fribourg, et Marianna Colella, chercheuse au Medialab de l’Université de Genève, constatent une imbrication de plus en plus marquée des pratiques de sociabilité en ligne et hors ligne [7]. Les jeunes s’approprient tant les espaces publics urbains que les espaces numériques et y naviguent de façon fluide, mais non dépourvue de codes.

Indépendamment de l’âge et des usages multiples, on voit bien que pour toutes les générations l’intérêt pour le numérique est ancré dans le désir d’être en lien. À cet égard, la pandémie du Covid-19 a certes renforcé le rôle du numérique comme moyen-clé pour maintenir les liens, mais n’a finalement pas révolutionné le rapport au digital des personnes âgées ni conduit à un élargissement de leurs usages [8].

Vieillir à domicile favorise l’usage du numérique

En miroir à la diversité des usages se pose la question des compétences qui les sous-tendent. Les études européennes et suisses d’Alexander Seifert, ainsi que l’étude valaisanne de Sarah Balet et d’Alain Imboden montrent clairement que le niveau de compétences diminue avec l’âge. Ce manque de compétences se reflète dans la (non)-utilisation des technologies numériques et par un sentiment d’exclusion face au digital [9] qui peut ensuite générer un sentiment d’exclusion plus global, étant donné son potentiel pour soutenir les liens sociaux.

Ils et elles soulignent que les facteurs explicatifs sont cependant pluriels et que le genre, le niveau d’éducation, et les revenus jouent également un rôle clé. Ainsi, être une femme, avoir un niveau d’éducation faible et/ou des bas revenus est associé à un plus grand risque d’exclusion du monde numérique. Alexander Seifert montre aussi l’impact des modalités de logement pour les personnes âgées, le fait de rester à domicile favorisant le fait d’être connecté par rapport à la maison de retraite.

Une initiative intéressante propose un « accompagnement digital » aux seniors pour les soutenir dans leur exploration du monde numérique. D’Angelo Bonvin et Sofiane Chakri, les fondateurs de la plateforme numérique SD Informatique, ont développé un concept autour du transfert de compétences entre générations qui rencontre un franc succès en Suisse romande. Pour sa part, Kevin Kempter, chercheur à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne, a conçu Elderli, un programme qui permet de mettre sur pied et d’accompagner des collocations intergénérationnelles entre seniors et étudiant·es. Dans ce cas, le numérique facilite l’appariement et la gestion administrative, tandis que le suivi est réalisé par un·e professionnel·le du travail social. De l’avis de Yann Bocchi, co-responsable de l’Axe « Transformation numérique » de la HES-SO Valais-Wallis, ces initiatives sont cruciales et aident à penser plus globalement l’intégration du numérique dans le quotidien. Au niveau des politiques, Delphine Maret Brülhart, coordinatrice cantonale en faveur des Générations 60+, ainsi que Cédric Bonnébault, délégué cantonal à la jeunesse pour le canton du Valais, soulignent l’importance de la prise en compte des liens intergénérationnels pour favoriser la cohésion sociale et remarquent qu’ils sont amenés de plus en plus à favoriser des projets qui ont une composante intergénérationnelle.

Soutenir les liens en ligne et hors ligne

Ce colloque a donc montré que parler de « fracture » ou de « fossé » entre les générations semble excessif étant donné que toutes les générations peuvent avoir accès à internet et considèrent qu’il s’agit d’une ressource pour la vie quotidienne. Les différences se retrouvent en termes d’usages et de compétences, mais cela peut être dépassé grâce à des initiatives intergénérationnelles qui renforcent les compétences spécifiques de certains groupes et/ou permettent aux générations de se rencontrer. Il est également important de penser à l’accès pour les personnes à bas revenus ou se trouvant plus isolées géographiquement.

Enfin, indépendamment de l’âge, les personnes ont également besoin de contact en face-à-face et ces espaces doivent être protégés et développés, surtout en période de crise. En conclusion, avec un soutien adéquat à l’intersection de la recherche interdisciplinaire, des terrains et du politique, la transformation digitale peut soutenir les liens intergénérationnels en ligne, mais aussi hors ligne.

[1] Ces démarches ont fait suite au rapport de la Commission consultative du canton du Valais pour le développement de la politique en faveur des personnes âgées.

[2] Axe âges et liens intergénérationnels... | HES-SO Valais-Wallis (hevs.ch)

[3] Ce colloque organisé en novembre 2023 par l’axe « Âges et liens intergénérationnels » de la HES-SO Valais-Wallis a rassemblé scientifiques, professionnel·les de terrain, et politiques pour réfléchir aux défis et opportunités des liens intergénérationnels face à la digitalisation de la société.

[4] Seifert, A. (2022). Digitale Transformation in den Haushalten älterer Menschen. Z Gerontol Geriat 55, 305–311.

[5] Imboden, A. & Schegg R., MONTNUM « La montagne connectée : Enquête sur l’accès, l’usage et les compétences numériques de la population valaisanne ».

[6] Seifert, A. (2022). Digitale Transformation in den Haushalten älterer Menschen. Z Gerontol Geriat 55, 305–311.

[7] Balleys, C. & Colombo, A. (2021-2024). L’appropriation des espaces urbains par les jeunes en Suisse : cultures juvéniles et enjeux de reconnaissance. Projet FNS

[8] König, R. & Seifert, A. (2023). Internet usage, frequency and intensity in old age during the COVID-19 pandemic—a case study for Switzerland. Front. Sociol. 8:1268613. doi: 10.3389/fsoc.2023.1268613

[9] Seifert, A. (2023). Subjektives Gefühl digitaler Ausgegrenztheit. Zeitschrift für Gerontologie und Geriatrie, 56(3), 181–188.

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