Migrants mineurs non-accompagnés : enjeux actuels
Le continent européen a comptabilisé l’arrivée de 90’000 jeunes en provenance d’Erythrée, d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie et d’ailleurs pour la seule année 2015. Comment les accueillir et les accompagner ?
Par Ariel Eytan, médecin adjoint agrégé responsable d’unité, HUG, et membre de la Société de prophylaxie mentale, Genève
« Tirer sur la même corde » : formule de ralliement ou ambition commune, toujours est-il que la volonté d’unir les énergies pour œuvrer en faveur des mineurs migrants non-accompagnés (MNA), enfants et adolescents en position de grande vulnérabilité pour la plupart, apparaît clairement sur le terrain. Elle a été fermement affirmée lors d’une soirée débat organisée par la Société genevoise de prophylaxie mentale [1]. Partant des aspects juridiques, en passant par les dimensions éducative, médicale et psychologique, ce débat avec le public a laissé une large part au social. La discussion a évoqué les conditions pratiques d’hébergement, de vie quotidienne dans les foyers et du rôle des bénévoles. Plus largement, elle a esquissé les besoins existentiels de ces jeunes ainsi que les enjeux à court, moyen et long terme pour les pays d’accueil.
L’ampleur de cette migration a été cernée par Elodie Anthony, du Service social international. Le continent européen a comptabilisé via Eurostat 90’000 arrivées de mineurs migrants non-accompagnés en 2015. Pour cette même année, 2’736 d’entre eux ont été accueillis en Suisse, ce qui représentait une hausse de presque 7% comparé à l’année précédente. Ils étaient 82% de garçons, majoritairement âgés de 15 à 17 ans et provenant d’Erythrée, d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie et de Somalie. Ces chiffres ne prennent pas en compte les jeunes migrants en situation irrégulière, dont le nombre est difficile à estimer avec précision. En 2014, le Service social international a publié le « Manuel de prise en charge des enfants séparés en Suisse », guide pratique à l’usage des professionnels [2]. Balisé en neuf étapes depuis l’enregistrement jusqu’au passage à l’âge adulte, le parcours de ces jeunes est sensé respecter leurs besoins de base. L’hébergement, l’entretien, la scolarité, la santé et l’assistance juridique sont mentionnés explicitement. La hausse rapide des arrivées rend encore plus aigus certains défis : accompagnement individualisé du jeune, identification des possibles traumatismes subis et formation professionnelle post-obligatoire en sont autant d’exemples.
Les enjeux de la scolarisation
La scolarisation des MNA pose des questions importantes. Christina Kitsos, chargée des affaires migratoires au Département de l’Instruction publique, a présenté la situation genevoise. Là, le Service de l’accueil du post-obligatoire a pour mission de recevoir des jeunes gens et des jeunes filles, de 15 à 19 ans, principalement allophones, et de les accompagner dans une première étape d’intégration dans le système scolaire. Ce service avait déjà accueilli près de 800 élèves fin septembre 2016, contre 500 à la même date pour l’année précédente. Force est de constater que le cumul de facteurs négatifs, tels que les traumatismes de guerre, le stress de l’acculturation ou l’instabilité géographique fragilisent le parcours scolaire de ces jeunes.
Avec un peu de recul, on observe que seulement un peu plus de la moitié d’entre eux parviennent à terminer une formation professionnelle. Les inégalités des chances de réussite selon le milieu social d’origine, phénomène bien documenté dans les pays développés, semble se reproduire en situation de migration. Des pistes d’amélioration existent. Afin de surmonter les barrières culturelles et linguistiques, une pédagogie axée sur l’oral et des classes d’alphabétisation associées à des interventions en langue maternelle sont utiles. Le DIP propose également de renforcer des liens entre l’école et les familles, lorsqu’elles existent, ainsi que d’augmenter les possibilités de préapprentissages d’intégration.
Les enjeux de santé physique et psychique
Sur le plan médical, les Dresses Anne Meynard de la Consultation santé jeunes et Saskia Von Overbeck Ottino, pédopsychiatre, toutes deux affiliées aux Hôpitaux universitaires de Genève, ont approfondi respectivement les enjeux de santé physique et psychique pour ces jeunes. Assurer l’accès aux soins et à la prévention constitue une exigence centrale. Le premier contact, par exemple autour de la mise à jour des vaccins, peut représenter une opportunité pour entrer en relation avec le jeune et, à partir de là, investiguer plus avant son histoire familiale et son parcours pré- et péri-migratoire.
Pédiatres ou généralistes sont souvent en première ligne pour repérer des signes inquiétants, notamment un arrêt du développement physique ou psychique. S’il est constaté, un tel arrêt entraîne une intervention rapide. Une perte de poids importante, des difficultés d’apprentissage, une rupture scolaire ou l’absence d’au moins une passion sont des signaux qui alertent le praticien. Sur le plan psychologique, les MNA cumulent plusieurs facteurs de risque mettant en danger leur développement et leur avenir. Ces jeunes ont bien souvent un passé difficile, voire traumatique et les conditions du voyage laissent souvent des traces aussi. Une fois arrivés, si la sécurité matérielle peut être bénéfique, l’adaptation dans un nouveau pays, une nouvelle langue et loin des siens n’en reste pas moins difficile. C’est même souvent une fois en sécurité, qu’ils développent des réactions aux événements vécus : stress post-traumatiques, dépressions, troubles anxieux et divers symptômes liés aux difficultés d’adaptation. Selon les études, 60 à 80% de ces jeunes présenteraient des troubles psychologiques, ce qui en fait un vrai enjeu de santé publique.
J’ai 16 ans, sur qui puis-je compter ?
A défaut d’une famille, le jeune devrait pouvoir s’appuyer sur les acteurs du réseau professionnel dans le pays d’immigration : avocat, éducateur, enseignant, soignant. Les initiatives citoyennes, familles d’accueil, mentorat, médiateurs culturels ou bénévoles ont aussi un rôle important à jouer. La rupture d’avec leur lieu d’origine et d’avec leurs proches, l’incertitude quant au statut légal, les stress psychologiques multiples, les antécédents de traumatisme, les risques d’affiliation à des réseaux mafieux et la discrimination par rapport aux autres jeunes sont autant d’éléments qui peuvent être atténués grâce à ces différents intervenants.
Pour aller de l’avant dans leur développement, ces jeunes ont besoin, plus que d’autres, d’un environnement stable, attentif et rassurant. L’avenir, par définition incertain et surtout à l’adolescence, l’est encore davantage ici. Réintégration dans le pays d’origine, intégration dans le pays d’accueil ou regroupement familial dans un pays tiers, autant d’issues possibles qui nécessiteront dans tous les cas de solides capacités d’adaptation.
Dès lors, on comprend mieux l’importance d’entourer ces jeunes. Des adultes formés, compétents et accueillants, peuvent contribuer de façon significative à restaurer les manques et les traumatismes du passé. Il s’agira pour le jeune de réussir à aborder la suite de son parcours avec autant de sérénité et de ressources internes que possible. Et cela tout en traversant au mieux l’adolescence, période cruciale pour tout un chacun.
[1] Société genevoise de prophylaxie mentale (SGPM), Rue Etienne-Dumont 20, 1204 Genève. Pour adresse : Dr Luisa JACOT DES COMBES